Entretien avec Philippe Lemanceau, qui dirige l'unité Agroécologie à l'Institut national de recherche agronomique (INRA).
- Pourquoi l'INRA a-t-elle fait de l'agroécologie un de ses deux champs de recherche prioritaires?
On s'est rendu compte que l'agriculture avait, certes, pour objectif la production et la sécurité alimentaire, mais aussi celui de rendre des services environnementaux – éviter de contribuer au réchauffement climatique, empêcher la détérioration des sols, garantir une eau pure, éviter les invasions de pathogène – le tout dans un contexte de forte croissance démographique au niveau mondial. C'est un changement de paradigme: on n'est plus dans l'affrontement entre agronomie et écologie, agriculture productiviste et écosystèmes, mais dans leur réconciliation.
- Etes-vous déjà arrivés à des résultats que les agriculteurs pourraient mettre à profit sur le terrain?
Pour l'instant, les recherches visent encore à développer les connaissances scientifiques et à tester leur faisabilité: est-ce satisfaisant au niveau agricole, en termes de rendement ; au niveau environnemental (diminution des intrants chimiques, des gaz à effet de serre...) ; au niveau économique, par rapport aux coûts de production et aux marges d'exploitation ; et au niveau social, en termes d'acceptabilité de ces pratiques par le plus grand nombre d'agriculteurs. Sans oublier la dimension politique: quelle sera la part des subventions dédiées à ce type d'agriculture plus écologique dans une future PAC (politique agricole commune de l'UE)?
Toutefois, certaines recherches ont déjà montré des preuves de succès. C'est le cas notamment de dispositifs expérimentaux sur les adventices [mauvaises herbes, dans la terminologie agronomique] : on peut réduire le recours aux herbicides – dont la France est une grande consommatrice – en travaillant le sol de manière particulière, en faisant des rotations de cultures adaptées, en utilisant des plantes "étouffantes", en retardant les dates des semis, en désherbant mécaniquement... Il s'agit de proposer des systèmes de culture innovants permettant de réduire l'utilisation d'intrants, et de répondre ainsi, en particulier, aux enjeux du plan Ecophyto 2018 visant à réduire l'usage des pesticides.
Lire les résultats de dix ans d'expérimentation de l'INRA Dijon
- Vous êtes professeur en microbiologie des sols. Qu'apporte cette discipline à l'agroécologie?
On a réalisé que les sols sont des environnements vivants, peuplés de milliards de micro-organismes dont on connaît peu la diversité, mais qui jouent un rôle déterminant dans leur fonctionnement biologique, et par conséquent leurs cycles biogéochimiques (stockage du carbone, azote), la biofiltration de l'eau, mais aussi la croissance et la santé des plantes. Certains d'entre eux protègent les plantes contre les maladies en stimulant leurs défenses et en produisant des antibiotiques. Ils peuvent également développer des symbioses qui contribuent à la nutrition minérale des plantes, en particulier en azote.
Un des enjeux de nos recherches est donc de mieux connaître la nature des interactions complexes entre plantes et microbes. L'idée est en particulier d'identifier les gènes d'une plante qui lui permettent d'attirer ou de nourrir tout ce cortège microbien autour de ses racines, ces microbes lui offrant en retour de mieux résister à telle ou telle maladie, et d'améliorer sa nutrition. Ces gènes ont pu être perdus au cours des processus de sélection qui ont permis la création de variétés performantes, mais seulement en situation de forte fertilité (grâce aux apports d'engrais). Une fois identifiés, ces traits végétaux favorables aux micro-organismes pourraient être intégrés à une variété par des programmes de sélection variétale.
De façon plus générale, il est essentiel de décrire l'immense biodiversité des sols pour mieux connaître ce patrimoine dont les applications potentielles concernent l'agriculture et l'environnement, mais également la biotechnologie, la pharmacie et la phytopharmacie.
Lire le reportage : L'agroécologie est-elle l'avenir de l'agriculture française?
Angela Bolis
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Posté Le : 25/04/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: Angela Bolis ; texte: Entretien réalisé par Angela Bolis
Source : lemonde.fr du mercredi 24 avril 2013