En Charente, des communes expérimentent un dispositif de vigilance citoyenne contre les incendies. Des volontaires parcourent et surveillent les forêts pour ne pas revivre les sinistres de l’été dernier.
Bors-de-Montmoreau (Charente), reportage
Le moulin de Perdrigeau s’élève au milieu d’une dense forêt de pins, tout près du bourg de Bors-de-Montmoreau. Son sommet offre une vue à 360 ° sur le sud Charente. Il se dit que, par temps clair, on peut distinguer l’estuaire de la Gironde, à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau.
Les promeneurs montent profiter du panorama après une balade, certains en VTT, d’autres à cheval ou après un pique-nique à l’ombre des arbres. Un écriteau «feu de camp interdit» sur fond rouge rappelle que la zone est sensible.
L’ancien moulin à vent représente l’un des meilleurs postes d’observation des environs et une tour de guet idéale. De là-haut, le paysage clairsemé par endroits révèle les stigmates de l’été dernier. Près de 1.200 hectares ont brûlé entre mi-juillet et fin septembre. «Une saison hors norme», disent les sapeurs-pompiers charentais.
«On pouvait apercevoir les colonnes de fumée au loin», se rappelle Jacky Renaudin, maire de la commune de Bors-de-Montmoreau qui, par chance, n’a pas été touchée. Il se souvient parfaitement de ce 15 septembre 2022, lorsque dix-huit feux se sont déclarés quasi simultanément au bord de la route départementale, ravageant 475 hectares en quelques heures.
Le département n’avait pas connu pareille catastrophe depuis la tempête de 1999. La prévention et la lutte contre les feux de forêt ont immédiatement été replacées au premier plan et, à l’approche de l’été 2023, la gendarmerie de Charente [1] a lancé un dispositif de participation citoyenne sur le même modèle que Voisins vigilants contre les cambriolages mais, cette fois, pour prévenir les risques d’incendie.
Des groupes de bénévoles se sont constitués dans une trentaine de communes pour réaliser des «patrouilles» dans les massifs forestiers au sud du territoire. Certains s’étaient créés spontanément l’été dernier, d’une volonté d’être actif pour ne pas céder à la panique mais nécessitaient un encadrement, en lien avec le Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) et la préfecture.
- «Compléter l’action des professionnels, pas s’y substituer»
Dans son village de 240 habitants, Jacky Renaudin a réussi à fédérer un réseau d’une dizaine de bénévoles. Des retraités, des actifs, tous prêts à donner de leur temps pour préserver leur environnement. La procédure veut qu’ils soient «déclenchés» lorsque les massifs sont en alerte maximale mais le collectif organise également des rondes préventives, chasuble jaune sur le dos.
«Quand on nous a présenté le projet, on a tout de suite adhéré. On est une commune pilote, dans les premières à s’être mobilisées!» s’enthousiasme l’élu. Leurs missions sont de repérer, d’alerter et d’assurer une présence humaine qui pourrait dissuader les incendiaires. «Compléter l’action des professionnels, pas s’y substituer», insiste le maire.
Plusieurs départs de feu ont été signalés ces dernières semaines, tous rapidement maîtrisés. Les «citoyens vigilants» et les secours sont sur le qui-vive. «Pour l’instant, la météo nous aide. Mais quand on allume la télé et qu’on voit ce qu’il se passe autour de la Méditerranée… C’est très inquiétant», dit Baptiste Renaudin, le fils de Jacky.
Comme les autres bénévoles de son groupe, le trentenaire estime que la forêt est «un bien commun» à préserver et l’affaire de tous. «Le réchauffement climatique a été pris à la légère. On aurait dû s’en occuper il y a quinze ans déjà», abonde son père.
- «On devrait tous se sentir concernés»
À une trentaine de kilomètres à l’ouest, Oriolles et ses moins de 300 habitants possède aussi un dynamique réseau de cinq volontaires. Il y a un an, 150 hectares ont été consumés sur la commune limitrophe de Boisbreteau, jusqu’où s’étend le massif de la Double.
«On avait fait des rondes de nuit à l’époque avec des membres du conseil municipal, qui connaissent bien le territoire et les petits chemins. En cas de besoin, cela facilite l’intervention des secours», dit Isabelle Lagarde, la maire.
Des retraités isolés du village, dont 70 % de la surface est boisée, lui ont fait part de leur inquiétude. «Ne pas être angoissé, ce serait être inconscient. On devrait tous se sentir concernés… Si on laisse brûler notre Terre, ça s’appelle de l’euthanasie, non?» réagit l’un des élus, Bruno, 52 ans et employé dans une imprimerie.
Pour le colonel Bruno Hucher, directeur du Sdis 16, les incendies de l’été 2022 à travers le pays ont contribué à une prise de conscience collective. «Nous, c’est une situation que l’on voit venir depuis des années. En Charente par exemple, on est passé dans la zone d’influence des pins maritimes, en termes de risques de feu de forêt, au même niveau que la Gironde ou les Landes. Nos forêts sont de plus en plus vulnérables, à la fois à cause de la nature du boisement et des conditions climatiques», détaille-t-il.
Dans le département, le nombre annuel de départs de feu a doublé depuis 2015. L’intérêt du dispositif citoyen est de pouvoir les maîtriser le plus tôt possible, ce que le colonel appelle «tuer l’incendie dans l’œuf». Les volontaires ont la possibilité d’envoyer des vidéos aux secours pour évaluer à distance le danger et les moyens à mobiliser.
Les effectifs charentais progressent mais toujours moins vite que les besoins: les vingt-quatre centres de secours ruraux sont en sous-effectif. «Dans nos coins, ce sont des casernes de volontaires. On sait comment ça fonctionne… Ils ont un travail à côté alors que nous, à la retraite, on peut se rendre disponible», considère Cathy, la première adjointe de Bors-de-Montmoreau.
- «On a le sentiment de devoir se débrouiller seuls avec très peu de moyens»
Toutes les communes concernées par les risques ne parviennent pourtant pas à mobiliser leur population. Courgeac — qui détient le triste record du pire incendie en 2022 (environ 350 ha), durant l’épisode des dix-huit départs de feu — ne dispose que d’un volontaire.
«Quand tout a brûlé, il y a eu un énorme élan de solidarité», relate Sébastien Piot, le maire de 47 ans. Plus de 550 pompiers ont été mobilisés dans ce village de 170 habitants, vivant principalement de l’agriculture. Sur certaines parcelles, des arbres carbonisés tiennent encore debout.
«C’est un réel traumatisme pour tout le monde. Il reste deux petits massifs pour lesquels on a peur, bien sûr, mais on a le sentiment de devoir se débrouiller seuls avec très peu de moyens», regrette-t-il.
Certaines municipalités n’ont pas signé le protocole dont elles déplorent une organisation qui repose essentiellement sur les maires. Tout comme le travail de prévention, autour des obligations de débroussaillage qu’ils sont chargés de contrôler ou de la création de pistes pour un meilleur accès aux massifs, «un gros billet pour les petites communes», signale un élu.
Ceux qui ont un emploi à côté avouent ne pas trouver le temps de démarcher leurs administrés. D’autres soulignent l’inaptitude de leur population vieillissante à patrouiller en forêt. «Toutes ces personnes se proposent spontanément mais qu’en est-il du dédommagement, pour le carburant? Ça grimpe vite. Ce serait encore à nous de le financer», dit Sébastien Piot.
- La participation citoyenne, «du préventif» à compléter
En 2021, une initiative similaire a été lancée sur la commune de Mulsanne, dans la Sarthe, département le plus boisé de la région Pays de la Loire, en lien avec la gendarmerie et le Sdis 72. Deux étés plus tard, une quarantaine de communes font désormais partie des «Sentinelles de la forêt».
Le commandant Benoît Guérin, référent départemental feux de forêts dans la Sarthe, analyse: «La participation citoyenne, c’est du préventif. Cela doit s’accompagner d’un travail sur d’autres aspects, complémentaires: la formation des secours, l’aménagement d’une forêt résiliente, l’installation de caméras pour détecter les fumées.» Ces dernières sont nombreuses à avoir été installées cet été, en Gironde ou sur les hauteurs de Nice par exemple. En Charente, le sujet est à l’étude.
Notes
[1] Sollicitée par Reporterre, la gendarmerie de Charente n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Photo: Fin juillet 2023, dans la forêt charentaise. - © Yohan Bonnet / Reporterre
Par Lisa Douard
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Posté Le : 18/08/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Lisa Douard et Yohan Bonnet (photographies) - 10 août 2023
Source : https://www.geo.fr/