«Nous choisissons, dès maintenant, de désobéir»: dans cette tribune, cinq lycéens expliquent pourquoi ils font grève, chaque vendredi depuis mi-octobre, contre l’A69 et tous les projets écocides.
Sacha de Laporte, Eloane Dupart, Gianni Enselme, Suzie Labeyrie Parrot, Shaymaa Oummali sont lycéens et lycéennes. Depuis le 13 octobre, ils sont en grève pour le climat tous les vendredis.
Nous grandissons dans une société dont nous devons être spectateurs et spectatrices jusqu’à nos 18 ans. Mais comment ne pas quitter la salle lorsque le film montre le massacre de la vie et la culture de la tristesse?
C’est ce que nous avons fait le vendredi 13 octobre: nous avons quitté la classe, pour nous mettre en grève d’école contre l’A69. Depuis, chaque vendredi, inspiré.es par les Fridays for Future [«vendredis pour le futur»], nous nous réunissons devant les hôtels de Ville de plusieurs villes de France (à Bordeaux, à Lyon, à Brive dans le Limousin), rassemblé.es grâce aux réseaux sociaux à partir des appels de Thomas Brail, grimpeur arboriste connu pour sa défense des arbres, et de Gianni Enselme [l’un des rédacteurs de cette tribune].
Évidemment, nous sommes attaché.es aux valeurs de l’éducation et sommes convaincu.es de sa nécessité pour la société, mais nous ne supportons plus l’apathie face à ce monde qui s’ancre toujours plus dans le béton. On artificialise des milieux extraordinairement riches, parfois fruits de centaines d’années de maturation, pour créer de la croissance économique. Que vaut la croissance économique lorsqu’elle implique la destruction de tels écosystèmes?
- Il faut réveiller les adultes
La communauté scientifique alerte depuis des décennies sur l’urgence à bifurquer pour conserver d’optimales conditions de vie sur Terre, ces mêmes conditions qui ont permis il y a des centaines de milliers d’années aux papillons, aux lions et aux humains d’exister. Le phénomène est étonnant: la sixième extinction de masse est une crise planétaire qui ne fait pas de bruit. La société reste en léthargie totale.
Aujourd’hui, notre devoir n’est plus d’aller à l’école, il est de réveiller notre civilisation en crise. Il faut réveiller les adultes, comme on réveillerait une pote en relation toxique. Nous ne pouvons pas rester à l’école, comme si cette crise n’existait pas ou comme si elle était gérée collectivement par les adultes. Elle ne l’est pas.
En 2023, des adultes ont décidé de ressortir un projet vieux de plus de trente ans, l’autoroute A69. Cette autoroute appuie typiquement sur l’accélérateur. 1 500 scientifiques ont décrié ce projet dans une tribune. En plus de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, elle détruira des centaines d’hectares de terre agricole, 200 arbres d’alignement et bétonnera des écosystèmes très fragiles.
Les changements climatiques sont en train de rendre inhabitables plusieurs régions géographiques de la planète. L’artificialisation des sols est déjà en train de menacer notre sécurité alimentaire. Le massacre des écosystèmes détruit déjà des piliers sur lesquels nous reposons, la Covid-19 en a été un sombre exemple.
- «Nous voulons retrouver les oiseaux»
Nous ne voulons pas d’un monde en guerre pour l’eau, la nourriture, contre les pandémies et les inondations. Nous voulons retrouver les oiseaux et les paysages dont nous parlaient nos grands-parents.
Au-delà de ça, nous trouvons le monde terriblement triste. Les réseaux sociaux sont-ils vraiment source de bonheur quand, à cause d’eux, nous restons fixé.es à nos téléphones pendant des heures avec un sentiment final de déprime? Travailler toute la semaine pour faire un métier qui ne nous laissera même plus le temps de rire et de danser est-il désirable? Et construire une vie qui attende tristement la retraite, de plus en plus lointaine? Vivre dans des villes tristes l’hiver et étouffantes l’été, sans arbre contre lequel s’embrasser? Partir à l’autre bout du monde et avoir l’impression, en rentrant, d’avoir vécu trop vite? Voir passer les dépressions et la tristesse, de plus en plus fréquentes dans notre classe d’âge, et les adultes répondre par des promesses?
. Lire aussi: Écoanxiété: ces jeunes racontent le mal qui les ronge (A lire sur site)
Si ce monde n’est pas tenable, il n’est pas non plus souhaitable. Nous voulons plus de rencontres avec les écureuils dans nos jardins, plus de papillons dans nos prairies, plus de forêts naturelles. Nous voulons pouvoir nous ressourcer près d’un ruisseau encore plein d’eau claire après nos chagrins de cœur, nous voulons avoir plus de temps pour danser, pour aimer et pour parler.
Nous voulons moins de stress, moins de précipitation, plus de calme, plus de rêves, plus de projets fous, plus de confiance, plus de respect. Oui, nous sommes pour la croissance de tout cela.
- On invente, on crée, on parle, on s’écoute
Nous refusons de retourner à l’école le vendredi, parce que si nous cédons dès maintenant aux menaces de conseil de discipline des établissements scolaires, si nous courbons l’échine face au désintérêt des grands médias, quand nous battrons-nous pour ce monde? Aller à l’école, pour finalement, ne jamais agir? Attendre, alors que, chaque année, on nous dit que l’urgence est plus forte, que les forêts ont encore brûlé et que les adultes n’ont encore rien fait? Pourquoi attendre?
Notre jeunesse est atypique. Les adultes lui transmettent un avenir effarant de violence et d’irresponsabilité, tout en lui demandant de continuer à se plier à la discipline sociale pour nourrir le PIB. Nous choisissons, dès maintenant, de désobéir. Oui, désobéir, comme les suffragettes, comme [la militante contre la ségrégation raciale aux États-Unis] Rosa Parks, comme Gandhi. Nous ne savons pas si cette grève fera avancer notre lutte, mais honnêtement, est-ce qu’eux et elles le savaient?
Notre génération ne sait pas quoi faire, mais elle sait que ne rien faire l’envoie droit dans le mur. Donc on tente, on agit, et on verra. Et puis, à plusieurs, on invente, on crée, on parle, on s’écoute. On sensibilise les passants, les passantes qui viennent à notre rencontre, et on discute enfin entre nous sans être interrompu.es par des adultes plus ou moins pressé.es de caricaturer nos actions. Finalement, reconnaître le clivage générationnel nous permet de discuter entre nous, hors de tout jugement, et d’analyser: comment organiser la lutte pour le vivant et contre les projets écocides comme l’A69?
. Précisions
Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.
Photo: Quatre des cinq lycéens en grève contre l'A69 devant l’hôtel de Ville de Bordeaux, le deuxième vendredi de grève, le 20 octobre. - Sacha de Laporte
Pour accéder et lire l'article cité en annexe: https://reporterre.net/Lyceens-nous-nous-sommes-mis-en-gre%CC%80ve-contre
Cinq lycéennes et lycéens
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Posté Le : 23/11/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Cinq lycéennes et lycéens - 16 novembre 2023
Source : https://reporterre.net/