Bien qu’étant une des principales préoccupations des Français, le sujet a été quasiment absent des débats. Pas assez vendeur pour les candidats?
À peine 4,6 % des votes. C'est le score du candidat écologiste à la présidentielle 2022. Un mauvais résultat qui a de quoi surprendre, alors que l'urgence à lutter contre le réchauffement climatique est dans toutes les têtes. Avec Jean-Luc Mélenchon, considéré comme aussi écologiste que l'écologiste, on atteint à peine les 30 %. Dimanche 10 avril, Yannick Jadot s'est étonné que l'enjeu du siècle n'ait pas séduit plus d'électeurs que ça et a regretté que l'écologie soit «absente du second tour», avançant que «ces enjeux vitaux ont été largement ignorés dans cette campagne confisquée». C'était le refrain des Verts ces derniers jours pour expliquer leur débâcle annoncée: si leur candidat n'imprime pas, c'est parce qu'on ne parle pas d'écologie dans la campagne.
Les occasions n'ont pourtant pas manqué de parler de l'urgence climatique. Deux volets du rapport du Giec ont été publiés durant la campagne, occultés par la guerre en Ukraine. Une marche pour le climat a été organisée le 12 mars, à laquelle ont d'ailleurs participé Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Anne Hidalgo. Puis une deuxième, samedi 9 avril, à la veille du premier tour, pour alerter une dernière fois avant que les Français ne se rendent aux urnes
- Moins de 3 % du temps d'antenne
De fait, malgré les alertes et la mobilisation, le climat n'a eu que très peu de place dans la campagne et dans les médias. Début février, les associations à l'origine de l'Affaire du siècle, qui ont fait condamner l'État pour son action insuffisante face au réchauffement climatique, calculaient que seulement 2,7 % du temps d'antenne de la campagne était consacré au sujet. Quand les candidats sont sur les plateaux télé, ils sont rarement interrogés sur l'écologie, ou alors très brièvement… Si ce n'est Yannick Jadot, le candidat écologiste. Comme si le sujet était l'apanage d'un seul parti, comme si l'immigration était un débat sur lequel on n'amènerait que l'extrême droite.
Au grand regret de Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, qui estime que «le sujet n'a pas eu la place qu'il mérite dans le débat». Une série d'entretiens des candidats entièrement consacrée à l'écologie a bien été organisée, mais sur la plateforme en ligne Twitch. «On avait sollicité plusieurs médias, aucun n'a souhaité programmer ce débat», regrette Abdoulaye Diarra, membre de Notre affaire à tous, l'une des associations de l'Affaire du siècle. «On voit que c'est sans cesse relayé au second plan.»
L'environnement est pourtant, derrière le pouvoir d'achat et la guerre en Ukraine (ou la crise du Covid-19 avant l'offensive russe), régulièrement cité comme l'une des priorités des Français dans les enquêtes d'opinion. Alors la plupart des candidats traitent le sujet dans leur programme, un progrès par rapport à 2017. Plus personne ne nie l'urgence. Mais les propositions sont rarement à la hauteur. Mis à part pour Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon, les différentes notations des programmes organisés par les ONG les ont jugés insuffisants. La coalition de l'Affaire du siècle estimait notamment qu'il est «improbable» qu'Emmanuel Macron et Valérie Pécresse parviennent à sortir la France de l'illégalité avec leurs propositions (les candidats d'extrême droite n'ont pas été évalués).
- Distorsion entre les préoccupations et le vote
Quand on est en campagne électorale, difficile de tenir le rôle du mauvais flic qui vient demander des efforts aux Français pour lutter contre un mal encore difficilement palpable. «Les politiques savent que ça ne rapporte pas beaucoup d'électeurs, c'est donc plus ou moins sciemment qu'ils évitent d'en parler», analyse Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof et spécialiste de l'écologie politique. L'environnement a beau être la troisième priorité des Français, les deux premières, notamment le pouvoir d'achat, écrasent tout. «L'immédiat et le concret comptent beaucoup, on a toujours ce problème entre la fin du monde et la fin du mois.»
- Un élu municipal écologiste
«Plusieurs candidats n'en ont que faire de l'écologie, d'autres maîtrisent mal le sujet et ne le mettent pas en avant ou ont des réponses qui ne sont pas du tout à la hauteur des enjeux», acquiesce Jean-François Julliard. La seule proposition sur le terrain de l'écologie qui est parvenue à occuper le débat, c'est le nucléaire, entre la construction de nouveaux réacteurs annoncée par Emmanuel Macron et la guerre en Ukraine qui nous force à aborder la question de notre indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Dans le débat, la droite tape sur les éoliennes, la gauche – le communiste Fabien Roussel à part – appelle à sortir, plus ou moins vite, du nucléaire en développant le renouvelable. S'en tenir à l'opposition entre les types d'énergie a l'avantage d'être un débat «beaucoup moins compliqué» que de parler véritablement d'écologie, estime Daniel Boy.
«30 % des Français qui ont voté pour l'écologie, c'est pas mal, mais on se retrouve à la fin avec un second tour entre des candidats qui ne brillent pas par leur action écologique, regrette Jean-François Julliard. Ça montre qu'on souffre collectivement du manque d'un imaginaire collectif pour penser à quoi ressemblerait une société écologique, que beaucoup imaginent comme triste.» «Il y a une distorsion entre les préoccupations des gens et le vote, relève un élu municipal écologiste. Il y a une grande préoccupation sur la qualité de l'air, et pourtant, dès que vous dites que vous allez réduire la voiture en ville, c'est la bronca.»
Une position délicate pour quiconque souhaite porter des mesures écologistes, condamné à jouer le mauvais rôle que les élus aimeraient bien éviter, analyse un doyen d'EELV. «Nous sommes les messagers de mauvaises nouvelles. On essaie de dire qu'il faut de la sobriété joyeuse, mais qu'est-ce qu'il y a de joyeux pour le citoyen moyen à manger moins de viande, à rouler moins vite?» De l'aveu de l'écolo, difficile d'éveiller les consciences tant que les gens ne sont pas directement confrontés aux effets du changement climatique. «Un jour, quand on sera à 2 degrés, qu'on aura eu un accident nucléaire, les gens demanderont des comptes. Mais il sera trop tard.»
Photo ajoutée par Akar Qacentina pour illustration: Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle française 2022
Par Thibaut Déléaz
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Posté Le : 15/04/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Thibaut Déléaz
Source : https://www.lepoint.fr