Un nouveau cadre mondial pour la biodiversité a été adopté par les États, lundi à Montréal. Pour de nombreux observateurs, il s’agit d’une feuille de route efficace, voire historique pour une décennie déjà bien entamée. Décryptage avec le Nantais Julien Rochette, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).
Les États engagés pour défendre la biodiversité aux Nations unies ont adopté un accord majeur pour tenter d’enrayer le déclin de la nature, lundi à Montréal. Après quatre années de négociations difficiles, dix jours et une nuit de marathon diplomatique…
Ce nouveau Cadre mondial sera-t-il plus efficace que celui d’Aïchi, en 2010 au Japon? Quelles sont ses forces et ses faiblesses? Julien Rochette, coordinateur de l’initiative Gouvernance internationale de la biodiversité post-2020 pour l’Iddri, répond aux questions d’Ouest-France.
- Vous travaillez depuis quatre ans sur ces négociations internationales pour mieux protéger la nature. L’accord trouvé lundi est-il historique?
Je ne sais pas s’il est historique, mais il y a des avancées significatives dans le Cadre mondial pour la biodiversité adopté à Montréal. Il y a tout dans cette feuille de route pour que la communauté internationale protège avec davantage d’efficacité la biodiversité sur la décennie, jusqu’à 2030. En l’état actuel du monde, c’est le meilleur accord qu’on pouvait avoir, et cela va donc dans le bon sens.
- Est-ce une réussite chinoise?
La présidence chinoise a été à la hauteur de ce qu’on attendait. On peut dire que, dans le final des négociations, elle a montré sa capacité à arbitrer et à faciliter des compromis.
«Chaque État va devoir participer à l’effort en fonction de ses propres problématiques»
- Les réservoirs de biodiversité ne tiennent pas compte des frontières nationales. Comment la mesure phare – 30 % de terres et de mers sous protection – peut-elle se mettre en place?
Effectivement, le 30 % est un objectif global. Chaque État va devoir participer à l’effort en fonction de ses propres problématiques nationales. Forcément, on ne peut pas demander à la Suisse et au Brésil, qui sont des États de tailles différentes et avec des écosystèmes extrêmement différents, de faire la même chose. Par contre, on demande à chaque État de faire des efforts en pour créer des réseaux d’aires protégées sur terre et en mer. C’est ça, cet objectif dit de «30 par 30». C’est quand même intéressant parce que cela fixe un cap chiffré à la communauté internationale.
- Les autochtones qui vivent sur des territoires riches en biodiversité ont dit leurs craintes d’être victimes de ces aires protégées. Ont-elles été entendues?
Dans l’accord qui a été adopté, les droits des peuples autochtones et plus largement aussi des communautés locales sont largement reconnus, ainsi que leur grand rôle dans la conservation de la biodiversité. Le texte final les mentionne 18 fois, notamment dans cette cible du «30 par 30».
Il est bien précisé que la création d’aires protégées doit se faire dans le respect des droits des communautés locales et des peuples autochtones. C’est quand même une avancée. À la fin de la Cop, les représentants des peuples autochtones et des communautés locales étaient plutôt satisfaits de voir que leurs intérêts avaient été inscrits à plusieurs reprises dans cet accord.
«Il y a plein de mesures intéressantes qui concernent l’océan»
- Comment protéger l’océan, dont certaines parties ne sont ni connues ni dépendantes d’un État?
Déjà, on n’est pas obligé de tout connaître parfaitement pour créer des aires marines protégées. Deuxièmement, on a de plus en plus de connaissances scientifiques sur la vulnérabilité de certains écosystèmes, sur les menaces qui pèsent du fait des activités humaines.
. Lire aussi - Cop 15 biodiversité: l’océan, parent pauvre de l’accord de Montréal (A lire sur site)
Actuellement, nous avons à peu près 8 % des océans qui sont sous statut d’aires marines protégées. On va donc avoir un saut quantitatif. Mais on sait aussi qu’il y a des limites à la création de ces zones sous protection. Certains États jouent très bien le jeu; d’autres délimitent des sites mais n’y appliquent aucune réglementation. Parallèlement, nous devrions avoir là, un saut qualitatif.
Plongeur évoluant au-dessus d’un récif corallien coloré, en Indonésie. Diver swimming above a colorful coral reef, Indonesia. (Photo : Corinne Bourbeillon / Ouest-France)
- Des environnementalistes estiment que l’océan est «le parent pauvre» de cet accord…
L’accord a une vocation globale et vise à protéger la biodiversité terrestre comme marine. D’une manière générale, je ne peux pas dire que le texte final se désintéresse complètement de l’océan parce qu’il y a plein de mesures intéressantes qui le concernent. Outre les aires protégées, on peut rajouter la question de la suppression des subventions nuisibles à la biodiversité, ainsi que l’objectif de réduction de moitié du risque lié à l’usage des pesticides. Et on sait à quel point les activités agricoles ont des conséquences importantes pour l’océan.
«On ne va pas poursuivre un État qui ne remplit pas ses obligations»
- Existe-t-il des instruments dans l’accord pour vérifier que ces «cibles» soient bien atteintes d’ici 2030?
Par rapport à ce qui existait avant, on est plutôt dans un mécanisme qui augmente l’ambition et la responsabilité des États. Le nouveau cadre mondial comprend tout un cycle d’examens des efforts, ou non, entrepris, par les États. D’ici 2030, on a à la fois des obligations individuelles pour les États de rapporter ce qu’ils ont fait et ce qu’ils vont faire sur la biodiversité, et aussi ce qu’on appelle des bilans mondiaux. Ils seront réalisés en 2026 et en 2030 pour voir globalement si la communauté internationale est sur la bonne trajectoire… Par rapport au précédent accord d’Aïchi (2010), le mécanisme post-2020 est plus robuste en termes de traçabilité des engagements des États.
- Mais toujours pas de contraintes…
On ne va pas poursuivre un État qui ne remplit pas ses obligations devant une Cour internationale de justice environnementale qui n’existe pas. Par contre, des objectifs ont bien été adoptés lundi par l’ensemble de la communauté internationale; les États sont quand même redevables de leur mise en œuvre.
- Néanmoins, il n’existe aucun engagement à rehausser les efforts…
Effectivement. Le fait qu’il n’y ait pas d’obligation de rehaussement des ambitions, alors que les scientifiques constateront peut-être dans deux ou quatre ans qu’il le faut, est sans doute la limite la plus importante de cet accord. La société civile devra donc rester vigilante et inciter les États à agir si on constate que des efforts additionnels doivent être fournis.
- Vous êtes donc plutôt optimiste?
Tout va dépendre de la manière dont les États vont appliquer l’accord, évidemment. Mais pour une fois, on a un certain nombre d’avancées significatives.
Photo: Les États se sont engagés à défendre davantage le monde sauvage, comme ici en Espagne le lynx ibérique. AFP/JORGE GUERRERO
Pour accéder et lire les articles cités en annexe: https://www.ouest-france.fr/environnement/biodiversite/entretien-cop15-biodiversite-en-l-etat-du-monde-c-est-le-meilleur-accord-pour-la-nature-2f0449d4-8067-11ed-9952-2b90a03a1be7
Recueilli par Christelle GUIBERT
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Posté Le : 21/12/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Ouest-France - Recueilli par Christelle GUIBERT. Publié le 20/12/2022
Source : https://www.ouest-france.fr