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Planète (France/Europe) - Des Pyrénées à Paris, ils parcourent 900 km à pied contre les pesticides



Planète (France/Europe) - Des Pyrénées à Paris, ils parcourent 900 km à pied contre les pesticides


Joseph Garrigue, ex-conservateur de la forêt de Massane dans les Pyrénées-Orientales, marche avec sa compagne Françoise depuis le 13 janvier pour réclamer l’arrêt des pesticides. Leur arrivée à Paris est prévue le 1er mars.

Ferrières-en-Gâtinais (Loiret), reportage

Avec leur drapeau qui flotte dans le vent, on les voit venir de loin. Tout de vert vêtu, des parapluies aux imperméables en passant par les bonnets, malgré la pluie battante, l’allure est rapide, le pas déterminé. Il faut dire que Joseph Garrigue et sa compagne Françoise n’ont pas de temps à perdre. Le couple doit rallier Paris d’ici vendredi 1er mars, pour participer à l’émission «La Terre au carré», sur France Inter, afin de parler de leur périple et alerter sur les dangers des pesticides.

Partis le 13 janvier de la réserve de la Massane (Pyrénées-Orientales), à 60 et 62 ans, Joseph et Françoise traversent la France à pied à raison de 20 kilomètres par jour. Pour transporter leurs duvets, vêtements et nourriture, ils ont une remorque de 40 kilos tirée par un vélo que Joseph pousse. «On ne pédale pas, on a pris un vélo car porter toutes nos affaires sur le dos serait trop lourd», précise-t-il. Bientôt à la fin de leur périple de 900 kilomètres, Reporterre a marché un bout de chemin avec eux le 26 février, à partir de Ferrières-en-Gâtinais (Loiret), aux portes de l’Île-de-France.

- «La biodiversité s’effondre»

Sur la place de l’Église, ce midi, il n’y a personne. Alors que Joseph cherche un endroit pour s’abriter, le seul café est fermé, «encore un signe de la désertification de nos villages», déplore-t-il. Mais finalement, ce n’est pas bien grave: «Ça fait du bien de voir la pluie, on n’en a pas eu beaucoup depuis le départ et chez nous dans les Pyrénées-Orientales, c’est la sécheresse depuis trois ans.»

Si l’ancien conservateur de la réserve naturelle de la Massane s’est lancé dans une telle expédition, c’est pour défendre «sa» forêt et réclamer l’arrêt de l’utilisation des pesticides.

. «Ça fait du bien de voir la pluie», dit Joseph Garrigue, avec sa compagne Françoise. © Mathieu Génon / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

D’une diversité exceptionnelle avec ses 45.000 espèces recensées, la Réserve de la Massane, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, est en danger. «La biodiversité s’effondre, selon Joseph. C’est très visible, notamment sur les insectes volants comme les papillons, les abeilles et les mouches.» En trente ans, il a vu les espèces décliner année après année. Certaines, comme l’alouette des champs, ont carrément disparu de la réserve. Pour lui, la raison principale de cet effondrement est liée à l’utilisation massive de pesticides.

- Une eau «aussi pourrie que les vases du port industriel à Marseille»

Des analyses réalisées avec des chercheurs de l’université de Perpignan en novembre 2023 ont confirmé ses observations. «Ils ont prélevé de l’eau dans les dendrotelmes, ces petites mares présentes dans le creux des arbres, très riches en micro-organismes», explique-t-il. Les résultats sont sans appel: mercure, plomb, arsenic, sulfate de cuivre, cadmium… «On a trouvé des quantités de métaux lourds absolument incroyables, l’eau était aussi pourrie que les vases du port industriel de Marseille», assure le spécialiste. Selon lui, ces métaux lourds proviennent des pesticides. Par exemple, «on a trouvé à chaque fois beaucoup de sulfate de cuivre juste après le traitement des vignes».

Pour Joseph, pas de doute, cette pollution provient des activités agricoles de la plaine, transportée par le vent: «La réserve est entourée de vignes, on y diffuse du glyphosate et d’autres fongicides.» Le problème, c’est que les mammifères, oiseaux, insectes, batraciens et reptiles de la réserve viennent s’abreuver dans ces dendrotelmes. Alors qu’il pensait la forêt protégée, «elle est en train de devenir une coquille vide».

. «La réserve est entourée de vignes, on y diffuse du glyphosate et d’autres fongicides.» © Mathieu Génon / Reporterre

Aussitôt, à la découverte de ces résultats, il a démissionné de son poste de conservateur de la réserve qu’il occupait depuis trente ans pour se rendre à Paris. «Il fallait que je me mette en marche, c’était comme une pulsion, je ne me sentais plus en capacité de protéger cet espace dont on m’avait confié la gestion», raconte le sexagénaire, l’air déterminé. S’il militait déjà pour l’environnement autour de chez lui, c’est la première fois que le naturaliste se lance dans une telle aventure.

- Rejoindre «l’appel de la forêt»

La genèse du projet expliqué, le froid se fait ressentir et le couple se remet en marche, après avoir avalé un rapide déjeuner, toujours sous la pluie. Il leur faut rejoindre la ville de Dordives, à quelques kilomètres au nord où ils passeront la nuit. Tandis que Joseph pousse le vélo, Françoise gère l’itinéraire sur son téléphone.

. Françoise s’occupe de l’itinéraire sur son téléphone. © Mathieu Génon / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

«L’objectif de la marche, poursuit Joseph, est de sensibiliser le plus grand nombre aux dangers des pesticides» et ainsi rejoindre «l’appel de la forêt». Amis, naturalistes, associatifs, simples citoyens… sur les voies vertes, les marcheurs ont rencontré du monde. Si ce lundi ils sont seuls, «on était accompagnés presque à chaque étape par des gens, en tout 500 personnes ont marché avec nous quelques kilomètres».

- «Le plus dur, ce n’est pas la marche, mais les témoignages des victimes des pesticides»

À chaque fois, le couple est agréablement surpris par l’accueil: «Tous ceux que l’on a croisés nous encourageaient à poursuivre et ça nous donne de l’énergie. Les pesticides, ils n’en veulent plus», indique Françoise. Alors qu’ils pensaient au départ dormir dehors sous la tente, «on n’a pas eu besoin de la sortir, on a été hébergés toutes les nuits par des bénévoles d’associations ou dans des locaux mis à disposition par des mairies».

Narbonne, Montpellier, Avignon, Valence, Lyon, Nevers, mais aussi beaucoup de villages… À chaque étape ou presque, ils organisaient un débat ou diffusaient un film sur les pesticides avec des associations locales. Que ce soit sur leur page Facebook ou dans des articles de la presse locale, chacun peut suivre leur avancée et les rejoindre.

Au moment où Joseph aperçoit un passage de grues dans le ciel le long du Loing, il marque une pause. «Ces images font du bien, car on n’a pas croisé beaucoup d’oiseaux sur le chemin, pourtant à cette période on aurait dû voir des vols de chardonnerets ou de verdiers», se désole-t-il. Tandis qu’ils se rapprochent de l’agglomération parisienne, ces derniers instants dans la nature sont précieux. Un peu plus loin, un martin-pêcheur s’envole.

. Le couple n’a pas croisé beaucoup d’oiseaux durant son périple, «pourtant à cette période on aurait dû voir des vols de chardonnerets ou de verdiers», selon Joseph Garrigue. © Mathieu Génon / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)

«Le plus dur, ce n’est pas la marche, mais les témoignages des victimes des pesticides», assure Françoise qui s’est pourtant fêlé une côte il y a quelques jours après une chute. Elle se souvient de ce viticulteur à Bagnols-sur-Cèze (Gard), tombé malade après avoir utilisé des produits contenant de l’arsenic pour traiter sa vigne. «Il a perdu la vue et sa pathologie n’a jamais été reconnue comme une maladie professionnelle.» Il y a eu aussi ces deux femmes près de Lyon qui ne peuvent rien cultiver dans leur jardin à cause des polluants éternels. Sans oublier ce jeune homme de 20 ans à Montpellier dont le père, agriculteur, est décédé des suites d’un cancer lié à l’utilisation de pesticides. «On a échangé avec certains agriculteurs en conventionnel, eux-mêmes nous disaient de continuer notre combat», rapporte Joseph.

Hasard du calendrier, leur périple a démarré quelques jours avant les manifestations des agriculteurs. «On n’est pas contre eux, au contraire, ce sont les premiers à pâtir des pesticides, mais ce système productiviste ne fonctionne plus», estime Joseph. Soudain, il réalise qu’il s’est trompé de chemin, il faut faire demi-tour.

Découragé par la mise en pause du plan Écophyto par le gouvernement, le naturaliste «ne supporte pas» la stratégie de la FNSEA, le syndicat dominant, qui «encourage à avoir des exploitations toujours plus grandes avec des recours toujours plus importants aux pesticides». Lorsque le couple a croisé des agriculteurs manifestant à Pont-Saint-Esprit, «on s’est trouvés tout petits à côté d’eux, perchés sur leurs tracteurs». N’empêche qu’eux aussi parviennent à faire entendre leur voix.

Après l’émission radiophonique de vendredi 1er mars, le couple a rendez-vous le lendemain à l’Académie du climat, avant de se rendre au Salon de l’agriculture dimanche, à chaque fois pour alerter sur les pesticides. Objectif: faire autant de bruit que la visite d’Emmanuel Macron le week-end dernier.


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Photo: Le naturaliste Joseph Garrigue et sa compagne Françoise traversant Ferrières-en-Gâtinais, dans le Loiret, pour rejoindre Paris, le 26 février 2024. - © Mathieu Génon / Reporterre

Pour voir l'article dans son intégralité avec toutes les illustrations: https://reporterre.net/Des-Pyrenees-a-Paris-ils-parcourent-900-km-a-pied-contre-les-pesticides

Par Jeanne Cassard et Mathieu Génon (photographies)






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