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Planète (France/Europe) - Cinema: «Le lynx est un fantôme des bois, ce qui rend sa rencontre si fascinante»



Planète (France/Europe) - Cinema: «Le lynx est un fantôme des bois, ce qui rend sa rencontre si fascinante»


INTERVIEW: Depuis treize ans, le photographe et réalisateur Laurent Geslin suit les traces du lynx dans le Jura. De ses rencontres avec le plus grand félin de France, réintroduit il y a cinquante ans, il en a fait un film d’une beauté époustouflante, en salles ce mercredi. Rencontre.

. Si le lynx avait totalement disparu de France au début du XXe siècle, il y a été réintroduit par l’Homme il y a cinquante ans. D’abord dans le Jura, côté suisse et français, puis dans les Vosges et en Allemagne.

. Discret, s’attaquant rarement aux troupeaux domestiques, on en oublie la présence du plus grand félin d’Europe dans nos massifs forestiers. Pourtant, le prédateur vaut le détour, raconte le photographe et réalisateur Laurent Geslin.

. Dans les forêts du Jura, qu’il parcourt chaque jour, le photographe et réalisateur s’est lancé il y a treize ans sur les traces du lynx et en sort ce mercredi un film dépaysant. Sans pour autant évincer le statut toujours très fragile du félin.

C’est une pause bienvenue quand l’actualité tourne en boucle sur le Covid-19 et la présidentielle. Pendant 1h20, avec des images grandioses, prise à ras du sol comme depuis un drone, le photographe naturaliste et réalisateur Laurent Geslin nous embarque dans la vie d’une famille de lynx boréal​ sur les contreforts du Jura.

Ce film documentaire – Lynx, tout simplement – sort ce mercredi en salles, programmé dans 120 cinémas. Laurent Geslin en est certain: peu savent que ce félin, le plus grand d’Europe, reconnaissable à ses longues oreilles triangulaires ornées d’une touffe de poils noirs, peuple certains de nos massifs forestiers. C’est d’ailleurs tout le point de départ de son film: «Le constat que rien n’avait jamais été fait sur le lynx boréal, du moins aucune image d’individus sauvages et dans leur milieu naturel.»

Pas simple, il faut le dire, tant le prédateur est insaisissable. Laurent Geslin a pris son mal en patience. Voilà treize ans qu’il est sur les pas du lynx, et sept ans qu’il travaillait sur ce film. Il explique à 20 Minutes pourquoi.

- Combien y a-t-il de lynx en Europe?

Il faut distinguer deux espèces. Il y a le lynx ibérique, dont la population se concentre dans le sud de l’Andalousie et une petite partie du Portugal. Mais il est devenu l’un des félins les plus rares au monde, tant le nombre d’individus est faible aujourd’hui*

Et puis il y a le lynx boreal , dont la zone de présence s’étend sur toute l’Eurasie. Au total, avec les populations russes et scandinaves, on dépasse plusieurs dizaines de milliers d’individus. Mais sa situation reste fragile dans certaines régions. Notamment en France, où l’espèce est sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Il y a à peu près 150 lynx sur toute la chaîne du Jura, où la population est stable mais reste fragile. Dans les Vosges, il n’y a plus que quelques mâles, si bien qu’on peut considérer la population éteinte. S’ajoutent quelques individus dans le nord des Alpes. C’est tout.

- C’est déjà mieux qu’il y a cinquante ans?

Le lynx avait tout simplement disparu en France au début du XXe siècle, victime du braconnage et de la réduction drastique, à une époque, de nos forêts, entraînant une raréfaction de ses proies. Le lynx boréal a été réintroduit dans le Jura, il y a cinquante ans seulement. On le doit à Léo Linert, un forestier suisse, qui a beaucoup poussé pour ce retour dans nos régions. Le premier lâcher a eu lieu dans le canton d’Obwald: un couple de lynx capturé en milieu sauvage dans les Carpates slovaques. C’était le 23 avril 1971. Jusqu’en 1972, une vingtaine d’individus ont ainsi été réintroduits sur les contreforts du Jura, tous depuis la Slovaquie.

D’autres programmes de réintroduction ont ensuite eu lieu dans les Vosges donc, au début des années 1980, mais aussi en Allemagne. Ce qui est intéressant est que ce retour n’est pas à l’initiative de «joyeux écolos bobos», mais d’ingénieurs forestiers et de bûcherons. Ils se rendaient compte que la forêt ne parvenait plus à se renouveler en raison des populations de chevreuils et de chamois devenues top importantes – ces derniers mangeant les jeunes pousses des arbres. Il fallait replacer le rôle essentiel du prédateur dans nos sous-bois afin qu’il régule les herbivores. Le lynx est parfait pour cela, non pas parce qu’il a un fort appétit, mais parce que sa seule présence suffit à disperser ces herbivores, en particulier dans des zones difficiles d’accès pour les chasseurs. On évite ainsi qu’ils s’agglutinent à un même endroit et y dévorent tous les jeunes pousses.

- Ce retour du lynx profite-t-il ainsi à toute la forêt?

C’est d’autant plus vrai dans des massifs forestiers comme celui du Jura, où il y a une gestion un peu particulière. On parle de «forêt jardinée», avec ce souci de faire cohabiter plusieurs essences, de laisser les jeunes arbres pousser et les vieux mourir, pour éviter les monocultures et favoriser une riche biodiversité. Le lynx participe à cette démarche en dispersant les herbivores. Il contribue à un meilleur couvert forestier, à la survie d’un plus grand nombre d’arbustes, ce dont profitent ensuite d’autres animaux. C’est le cas de la gélinotte des bois, que l’on voit dans le film, ou du grand tétras, un autre gallinacé.

- Qu’est-ce qui vous intéresse tant chez le lynx?

On ne peut pas nier que c’est le plus beau félin du monde. Il a un charisme incroyable, qui rend les rencontres avec lui si fascinantes. Encore plus dans le Jura, où la présence de l’homme n’est jamais loin. Tout à coup, vous pouvez tomber nez à nez avec ce grand prédateur. Il ne vous fera rien, mais il n’a pas peur non plus. Au contraire, il vous observe d’un regard supérieur, un peu dédaigneux, avant de retourner à ses affaires.

Déjà gamin, j’étais fasciné à l’idée qu’on le réintroduise dans les Vosges. Plus tard, je suis devenu guide naturaliste en France, en Afrique du Sud, en Namibie, avant de m’installer à Londres comme photographe naturaliste professionnel. Les péripéties de la vie ont fait que je suis venu m’installer dans le Jura il y a une quinzaine d’années. Tout de suite, je me suis ré-intéressé au lynx boréal, en me rendant compte que rien n’avait été fait sur cet animal dans son habitat sauvage.

La panthère des neiges, le lion, le léopard et même le lynx ibérique ont été filmés et photographiés en long et en large. Ils vivent en milieu découvert, les repérer est plus facile. En trois mois, j’avais suffisamment d’images pour un docu pour la BBC sur le lynx ibérique. Ça ne marche pas ainsi avec le «boréal». C’est un animal forestier qui se fond parfaitement dans son milieu. Vous pouvez passer à 15 m de lui, s’il ne bouge pas, vous ne le verrez pas. Son territoire est grand – entre 90 et 150 km² pour un individu – et on connaît assez peu ses habitudes. Je pouvais ne pas avoir de nouvelles d’un individu pendant huit mois. Un vrai fantôme des bois. C’est sans doute une raison pour laquelle sa présence en France est méconnue, mais c’est aussi ce qui rend les rencontres avec lui si particulières.

- Comment vous y êtes vous pris, justement, pour réaliser ce film?

Avec patience, en m’aidant de pièges photo, en multipliant les affûts, en accompagnant les scientifiques sur le terrain… Il a d’abord fallu que je comprenne son comportement, que je repère ses habitudes d’une saison sur l’autre, et identifie les signaux qui m’indiquent sa possible présence. Il y a ces cris, par exemple, que poussent les animaux pour se prévenir que le lynx est dans les parages. Et le Graal, c’est de tomber sur une carcasse d’animaux qu’il n’a pas finie de manger. Vous avez alors de grandes chances qu’ils viennent la rechercher.

J’ai fini par avoir assez de matières pour sortir trois livres. Mais le métier évolue et on nous demande de plus en plus des projets vidéo. Je partais sur un documentaire, jusqu’à ce qu’une maison de production suisse (JMH SA), qui avait demandé à avoir les images, m’incite à en faire un film pour le cinéma.

- Parmi les trois jeunes que l’on suit dans «Lynx», deux meurent au bout de quelques semaines, l’un braconné, l’autre écrasé par une voiture. Pourtant, vous dites que la principale menace qui pèse sur le lynx boréal est la consanguinité…

Seulement en ce qui concerne la population du Jura. Il n’y a pas eu de nouvelles réintroductions depuis le début des années 1970. Et le lynx n’a pas la capacité de parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour se chercher un nouveau territoire. Encore moins si cela nécessite de traverser une longue plaine agricole. Nos massifs forestiers sont morcelés, il n’y a pas de corridors naturels qui permettraient aux jeunes lynx du Jura de passer dans les Vosges, en Forêt-Noire (Allemagne), dans les Alpes…

Y remédier peut être un des axes de travail du plan national d’action en faveur du lynx, que la France met en place à partir de cette année **. On pourrait aussi s’inspirer de ce qui se fait dans le Palatinat (Allemagne), où des programmes de réintroduction ont aussi été lancés et où la politique est de remplacer chaque lynx braconné ou tué sur la route par deux lynx femelles, prélevées dans de nouvelles régions pour ramener du sang neuf.

Il faudra aussi, plus largement, travailler sur une meilleure acceptabilité du lynx par l’Homme. Son retour est moins problématique que celui du loup, ne serait-ce parce qu’il s’attaque très peu aux troupeaux domestiques. Bien que protégé, le lynx est régulièrement victime du braconnage. En particulier dans les Vosges, où c’est la principale explication à sa quasi-disparition.


* Le lynx ibérique a passé le cap des 1.000 individus en 2020, signale le WWF. Ils étaient 100.000 au début du siècle dernier.

** Ce plan, une première en France, s’appliquera sur la période 2022-2026 et vise à déterminer les actions à mettre en œuvre afin de rétablir l’espèce dans un bon état de conservation, selon le ministère de la Transition écologique. Il prévoit notamment de « lutter contre les destructions illégales de lynx », de « réduire la mortalité liée aux collisions » et les « conflits avec les activités d’élevage », ou encore d' « améliorer les échanges entre les populations de lynx » sur le territoire.




Photo: Le lynx, ce fantôme des bois si compliqué à observer, ici photographié dans le Jura. — ©All images Laurent Geslin

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen


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