Avec le changement climatique, certaines espèces exotiques profitent de la hausse des températures pour coloniser de nouveaux milieux, y compris en France. Explications avec Clara Singh et Yohann Soubeyran, chargés de mission au Comité français de l’UICN.
- Qu’est-ce qu’une espèce exotique envahissante ou invasive?
«Il y a plusieurs choses à prendre en compte. La première c’est que c’est une espèce qui est introduite par l’homme, volontairement ou accidentellement, hors de son aire d’origine, et qui, dans son nouvel environnement, va s’installer, se reproduire, et s’étendre, en occasionnant des dommages dans son nouvel écosystème, explique Yohann Soubeyran, chargé de mission espèces outre-mer France au Comité français de l’UICN. Les dommages peuvent être à la fois écologique, économique, ou sanitaire.»
- Quel est le lien entre l’invasion des espèces et le réchauffement climatique?
Il y a différentes étapes pour que l’invasion d’une espèce exotique soit réussie: elle doit survivre au déplacement, elle doit s’installer, se nourrir, se reproduire, et se disperser. L’espèce doit dépasser ces différentes barrières, et c’est à leur niveau que le changement climatique va avoir une influence, rendant ces barrières plus perméables au processus d’invasion.
«Le premier critère d’invasion, le déplacement, peut être facilité par le réchauffement climatique, via l’intermédiaire de l’homme. Par exemple quand on a des poissons détenus en bassins d’aquaculture, s’il y a une augmentation de la fréquence des inondations, cela peut faciliter les échappées dans nos cours d’eau. C’est déjà arrivé en métropole», indique Clara Singh, chargée de mission espèces exotiques envahissantes au Comité français de l’UICN.
D’une manière générale, en réponse au changement climatique et à l’augmentation des températures, on assiste à des migrations d’espèces, y compris envahissantes, vers le nord, ou en altitude, afin de bénéficier des conditions qui leur sont favorables. «D’après les grandes tendances qui ressortent des études, les régions continentales et tempérées seront donc particulièrement exposées aux invasions biologiques, dont l’Europe, et donc la France», révèle Yohann Soubeyran.
Il existe de nombreux exemples d’invasion d’espèces en France qui ont déjà été observés. On peut citer le cas du Frelon asiatique, présent en France depuis 2004, et qui progresse de plus en plus vers le nord. Il est déjà en Angleterre, et va continuer sa remontée vers le nord jusqu’à ce que le climat devienne une barrière trop importante à son développement. Autre exemple avec le Xénope lisse, un amphibien qui pourrait connaître une expansion vers le nord-ouest de la France. Ou encore le Moustique tigre, signalé début des années 2000 en Camargue et qui est présent aujourd’hui dans plus de 60 départements . Quant à la Tortue de Floride, présente en France métropolitaine et dans les outre-mer suite à des relâchés de particuliers, c’est l’augmentation de la température qui a permis une amélioration de son succès reproducteur en métropole.
Ce phénomène d’invasion accentué par le changement climatique est également observé dans les outre-mer, avec un autre mécanisme. Les événements climatiques extrêmes comme les cyclones participent à la dispersion des espèces. «Cela a été le cas avec des poissons-lion dans les Caraïbes, mais aussi avec des plantes d’ornement détenues dans des jardins, comme le Miconia calvescens, une espèce très problématique qui s’est retrouvée propulsée dans le milieu naturel», continue Clara Singh.
Et il est fort à parier que de nouvelles espèces vont arriver, favorisées par le changement climatique. «Avec la fonte des glaces, de nouvelles voies maritimes vont s’ouvrir dans l’Arctique. Cela veut dire des bateaux, des porte-conteneurs, des cargos qui vont emprunter ces nouvelles voies, et qui seront autant de vecteurs d’introduction et de dispersion de nouvelles espèces exotiques, qui étaient jusque-là bloquées par la banquise», s’inquiète Yohann Soubeyran.
- Quelles nouvelles espèces pourraient envahir la France?
Parmi les espèces invasives qui pourraient arriver en France dans le futur se trouve par exemple la Petite mangouste indienne. «C’est l’une des espèces envahissantes les plus problématiques à l’échelle mondiale, affirme Yohann Soubeyran. Dans les îles où elle a été introduite, elle a eu un impact négatif très important sur les espèces endémiques. Pour le moment elle se trouve en Europe principalement dans les Balkans. Mais à l’horizon 2050, une étude récente a montré qu’elle pourrait avoir étendu son aire de répartition jusqu’à la France, avec des conséquences potentiellement graves sur les écosystèmes.»
Autre espèce qui pourrait étendre son aire de répartition vers le nord à cause du réchauffement climatique, l’Ambroisie à feuilles d’armoise. Principalement présente dans le couloir Rhodanien, cette plante invasive très allergisante, a, elle, des conséquences sur la santé humaine. «L’augmentation du C02 atmosphérique a un effet sur le potentiel allergène de cette plante, décuplant les impacts sanitaires associés», signale Clara Singh.
- Les conséquences de l'invasion d'espèces exotiques
Si l’invasion de certaines espèces a pu avoir quelques aspects positifs, tous les scientifiques sont unanimes pour dire que les impacts sont majoritairement négatifs. Dans les outre-mer, qui ont de nombreuses espèces endémiques, l’introduction de prédateurs fait toujours de nombreux dégâts, notamment sur les oiseaux et les reptiles. A cause d’eux, des espèces se retrouvent en danger critique d’extinction. Ce fut le cas avec la Petite mangouste indienne, qui a été introduite sur certaines îles auparavant sans prédateur, et qui aurait été à l’origine de la disparition d’espèces.
En terme de coût économique, la pire espèce invasive est le moustique. Des scientifiques du CNRS, de l'Université Paris Saclay, du Muséum National d'Histoire Naturelle et de l'Université de Rennes 1 ont d’ailleurs publié en septembre l'estimation des coûts engendrés par les espèces envahissantes en France: entre 1,1 et 10,2 milliards d'euros en seulement 25 ans. Et comme le changement climatique va se poursuivre, les conséquences économiques et écologiques vont aussi s'amplifier.
- Les conséquences indirectes
Le réchauffement climatique peut aussi agir de manière indirecte lors de l’introduction d’espèces exotiques. Ce fut notamment le cas en 2017, lorsque l’ouragan Irma a dévasté les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Afin de reverdir ces îles, il y a eu un effort national et international, avec l’envoi de plantes et de matériel, via des conteneurs par bateaux, notamment en provenance de Floride.
«Sauf que, lorsqu'on introduit des arbres comme ça, ils n'arrivent jamais seuls, indique Yohann Soubeyran. Des agents de l’agence territoriale de l’environnement de Saint-Barthélemy ont contrôlé des conteneurs et ont découvert de nombreuses espèces exotiques qui n'étaient pas présentes sur l’île, comme des lézards. Cela montre bien que les flux humains peuvent permettre l'introduction d'espèces invasives. Cela fait s'interroger sur quelles sont les bonnes mesures de biosécurité, même dans un contexte d'aide humanitaire, où les flux humains et de matériels sont plus importants, pour aider à la reconstruction.»
Avant d’ajouter: «Il y a aussi d'autres questions qu'il faut traiter. On parle de changement climatique et de politique d'adaptation au changement climatique. Il faut s'assurer que ces politiques ou stratégies ne soient pas vectrices d'introduction de nouvelles espèces, devenant contre-productives. Une réflexion est menée pour rendre nos forêts plus résilientes face au réchauffement climatique. Et parmi les propositions, il y a la plantation d'arbres exotiques. Or on ne sait pas comment cela va évoluer dans 20, 30 ans. Est-ce qu'on n'est pas en train de planter les futures plantes exotiques envahissantes?».
- Que faire face à l’invasion d’espèces exotiques?
Il est possible d’agir face à l’invasion d’une espèce. Mais tout dépend du stade où l’on intervient. «Quand l’espèce n’est pas encore arrivée, il y a la prévention, avec la mise en place de mesures de surveillance et de détection, détaille Clara Singh. Si l’espèce est déjà là, il faut intervenir le plus tôt possible. Moins l’espèce sera installée et plus il sera facile d’intervenir. Une fois que l’espèce a atteint un stade d’invasion trop important, cela devient beaucoup plus compliqué et coûteux. Il faudra faire de la régulation et du cantonnement, avec des chances de réussite plus limitées.»
Avant de conclure: «On parle des liens entre le changement climatique et les invasions biologiques , mais c'est difficile d'isoler une pression des autres qui s'exercent sur les milieux telles que les pollutions et l’artificialisation des sols par exemple. Elles agissent en synergie, et à partir du moment où un milieu est perturbé, il peut être plus favorable aux espèces exotiques. Plusieurs pressions dont le changement climatique peuvent perturber les milieux et faciliter les invasions».
Photo: La petite mangouste indienne pourrait arriver en France dans les prochaines décennies © wikimedia commons
Chloé Gurdjian
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Posté Le : 28/10/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Chloé Gurdjian - Publié le 25/10/2021
Source : https://www.geo.fr