Sous une pluie fine, quatre petites brebis noires d'Ouessant paissent tranquillement sur un terrain en friche. Nous ne sommes pas en Bretagne mais dans le 19e arrondissement de Paris, sur un espace vert de 2.000 m2 appartenant au service des Archives de la ville. Là, le chant des oiseaux se mêle timidement aux klaxons des voitures et aux sirènes des ambulances qui affluent sur le boulevard périphérique tout proche.
Objectif affiché de cette expérience d'écopâturage urbain, la première dans la capitale, débutée le 3 avril: évaluer la faisabilité en milieu urbain dense d'une technique censée limiter l'usage d'engins et de désherbants.
RACE RUSTIQUE
Trois "sessions de pâturage" de 15 à 21 jours sont ainsi prévues jusqu'au mois de septembre pour tondre l'ensemble du terrain. Entre chaque période, les brebis doivent séjourner à la Ferme de Paris, exploitation agricole de la mairie à vocation pédagogique et environnementale, située dans le bois de Vincennes, où elles seront suivies sur le plan sanitaire.
"Le fait qu'elles broutent et ruminent signifie d'ores et déjà qu'elles se sont bien acclimatées, assure Marcel Collet, le responsable technique de l'établissement, qui a acheté les bêtes à une bergerie et les prête aux Archives de Paris. Elles ne sont pas gênées par le bruit et disposent une cabane pour s'isoler."
"On ne leur donne rien d'autres que les graminées et légumineuses qu'elles trouvent dans leur espace, ajoute-t-il. Elles appartiennent à une race très rustique, qui se contente de nourriture peu riche en protéines et qui ne se révèle pas très sensible aux maladies." Cette race endémique de l'île d'Ouessant, peu productive en viande, avait commencé à disparaître dans les années 1970 sous l'effet de l'intensification de l'élevage. Elles se sont vu offrir une seconde vie à l'initiative du Conservatoire du littoral et de l'écomusée de Rennes: l'écopâturage.
NOMBREUSES EXPÉRIENCES
De fait, l'expérience parisienne est loin d'être nouvelle. Depuis une dizaine d'années, de nombreuses villes françaises utilisent des ruminants pour tondre une partie de leurs espaces verts. A Lyon, Lille, Besançon, Rennes, Laval, Montreuil ou Bagnolet, des brebis, agneaux, chèvres, poneys et même un taureau tondent et débroussaillent des pelouses, prairies ou friches.
"Le déclencheur a été l'agenda 21, plan d'action sur le développement durable adopté par les collectivités territoriales, explique à l'AFP Alain Divo, président de la société Eco Terra, qui planifie et encadre l'écopâturage en milieu urbain. Ensuite le Grenelle de l'environnement a été dans le sens, avec des engagements de réduction de pesticides d'ici 2018. Cela a un peu contraint les collectivités."
A Paris, la mairie multiplie ainsi les expériences écologiques pour l'entretien de ses espaces verts depuis la mise en place en 2007 de son Plan Climat, dont l'objectif est la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 75 % en 2050.
MANQUE D'ÉTUDES
Toutefois, aucune étude scientifique n'a été réalisée quant aux gains environnementaux de l'écopâturage. Quelles sont les émissions de gaz à effets de serre économisées par l'abandon de tondeuses à gazon? Celles, au contraire, provoquées par la digestion des ruminants? La quantité d'herbicides qui ne viendront pas polluer les sols? Ou encore les espèces qui pourraient réapparaître du fait de cette moindre pollution? "Nous n'avons pas procédé à ce genre d'analyse", reconnaît Gilles Buna, adjoint au maire de Lyon chargé de l'urbanisme et des espaces verts.
La ville mène un projet d'écopâturage depuis dix ans sur le Fort de Loyasse sur un espace de 28.000 m². "Le site était adapté à des moutons, car pentu et très enherbé, donc peu pratique pour des salariés avec des tondeuses, explique l'adjoint. On est passés de trois moutons de Soay à l'origine à douze aujourd'hui, ce qui prouve qu'ils se sont bien acclimatés." Malgré tout, l'expérience n'a pas été étendue à d'autres espaces verts. "Il faut que l'espace s'y prête: qu'il soit clôturé, pas fréquenté du public et qu'il ne comporte pas de massifs de fleurs, que les moutons pourraient manger. Cela restreint considérablement les possibilités", justifie-t-il.
RUPTURE CULTURELLE
"En réalité, l'introduction de moutons dans la ville a peu d'impact pour l'environnement, tranche François Léger, agroécologue à AgroParisTech. Mais là n'est pas la question. L'important, c'est la rupture cognitive et culturelle que cette réintroduction des animaux dans la ville représente. La relation des urbains à la nature, qui a longtemps été vécue sur le mode de l'éradication de l'autre, est reposée. Les animaux ont maintenant leur place dans la ville, en remplaçant la mécanique. La cohabitation est possible."
"L'idée est de réintroduire la nature au centre de la ville avec des animaux qui n'y sont pas habituellement. On souhaite montrer que la frontière entre la nature et la ville est de moins en moins opérante", confirme Fabienne Giboudeaux, l'adjointe au maire de Paris chargée des espaces verts. Grâce à l'arrivée des moutons, les Archives de Paris veulent ainsi attirer le public, et notamment les enfants, dans une volonté "d'éducation citoyenne" à la biodiversité.
D'ici six mois, la municipalité dressera le bilan économique et écologique de l'expérience. Si celle-ci s'avérait concluante, elle pourrait être reproduite ailleurs, par exemple au Parc floral de Paris. "Il faut un cadre avec des demandeurs qui s'impliquent et sont responsables, tempère Marcel Collet. Il faut qu'ils aient l'œil de l'éleveur, qu'ils repèrent assez rapidement s'il y a un problème avec un animal et qu'ils sécurisent le site." Et Fabienne Giboudeaux d'avancer, optimiste : "Cela demande des ajustements, mais je pense qu'on peut le faire dans pas mal d'endroits à Paris."
* Photo: "L'idée est de réintroduire la nature au centre de la ville", affirme Fabienne Giboudeaux, l'adjointe au maire de Paris chargée des espaces verts. | AFP/MIGUEL MEDINA
Audrey Garric
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Posté Le : 14/04/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: AFP/MIGUEL MEDINA ; texte: Audrey Garric
Source : Le Monde.fr | 12.04.2013