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Planète - France: Corinne Lepage «Le lobby automobile a vidé la loi sur l'air»



Planète - France: Corinne Lepage «Le lobby automobile a vidé la loi sur l'air»




INTERVIEW Alors que l'on reparle des effets néfastes du diesel, l'ancienne ministre de l'Environnement déplore les dix-sept années où l'on savait et rien n'a été fait.

Par MARIE PIQUEMAL

Difficile de tourner la page du tout diesel. Le parc automobile français est aujourd'hui composé à 60% de véhicules diesel, notamment en raison des avantages fiscaux dénoncés par la Cour des comptes dans un rapport que Libération s'est procuré. Les émanations de ce carburant ont par ailleurs été classées «cancérogène certain» par l’Organisation mondiale de la santé en juin 2012. «Mais sa dangerosité est clairement établie depuis des années», rappelle l’avocate Corinne Lepage. Ancienne ministre de l’Environnement, elle avait fait adopter en 1996 une loi contre la pollution de l’air, en partie vidée de sa substance «sous l’influence du lobby pétrolier.» Voici son éclairage sur la polémique actuelle et les solutions proposées par le gouvernement.

- Vous dites que les effets néfastes du diesel sur la santé sont connus depuis longtemps?

Oui, comme pour l’amiante, le danger est identifié depuis des années. Dès 1996, quand j’étais au gouvernement, j’ai chargé le comité de la prévention et de la précaution de se pencher sur la question: l’avis rendu était très clair, établissant la dangerosité des particules fines et la nécessité à agir rapidement. On savait que c'était toxique. Je me suis battue, à l'époque, pour que des mesures soient prises. Mais j’ai perdu.

- Votre loi sur la pollution de l’air a pourtant été adoptée en 1996.

Le lobby automobile a détricoté tout ce que j’avais fait. La loi sur l'air de 1996 a été vidée de sa substance. Elle prévoyait des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et des mécanismes de surveillance de la qualité de l’air. Les mécanismes existent, c’est le seul point qui a, à peu près, réussi. Depuis, on sait quand il y a des pics de pollution. Sauf que cela s’arrête là. Les plans d’urgence, prévus par la loi, n'ont quasiment jamais été mis en place. De mémoire, en dix-sept ans, ce n’est arrivé qu’une seule fois: en 1997, Dominique Voynet est la seule à avoir appliqué la loi en imposant la circulation alternée dans Paris lors d’un pic.

- Comment expliquez-vous cette réticence à agir?

Le poids des lobbies. En France, il y en a trois, étroitement liés à l’appareil d’Etat. Le nucléaire, le pétrole et l’automobile. L’industrie automobile a toujours été puissante car elle représente beaucoup d’emplois. C’est une vieille habitude des constructeurs de se battre contre les mesures environnementales pour repousser au maximum leur application. Sur les filtres à particules, ils ont gagné quinze ans avant que cela ne devienne enfin obligatoire. Résultat: 42.000 personnes sont mortes et l’industrie automobile est en grande difficulté. Pour moi, ce n’est pas un hasard si la filière se porte mal. On a dix ans de retard sur les véhicules hybrides parce que l’industrie automobile française a tardé à s'engager dans la construction de véhicules moins polluants... Alors que nos voisins allemands, eux, ont fait de la lutte contre la pollution un outil marketing.

- Que pensez-vous des propositions évoquées par le gouvernement comme la «prime de reconversion»?

C'est une fuite en avant. Cela ne résoudra pas du tout le problème. Les nouveaux véhicules diesel sont équipés de filtres à particules mais ils ne sont pas suffisants. Je propose plutôt un rattrapage des prix, en baissant celui de l’essence et montant le prix du diesel. En parallèle, il faut prendre des mesures pour que les vieilles voitures diesel ne rentrent plus dans les centre-ville, mais sans pénaliser les gens, en proposant des parkings gratuits à l’entrée des grandes villes et en augmentant à l’intérieur la flotte de véhicules électriques à louer. Dans tous les cas, si nous avions agi en temps et en heure, nous ne serions pas dans cette impasse.

- Jean-Vincent Placé, le président du groupe Europe Ecologie-Les Verts au Sénat, évoque la «responsabilité pénale» du gouvernement, misant sur un procès d’ici quelques années.

Oui, c’est tout à fait possible. Même si sur le plan juridique, ce n’est jamais facile. Comment prouver le lien de causalité entre air pollué et pathologies? Ce n’est pas évident. Le droit à respirer un air qui ne nuit pas à la santé est inscrit dans la loi de 1996 et indirectement dans la Constitution, dans la charte de l’environnement.

- Pourquoi la France agit-elle toujours trop tard?

Cela fait trente ans que je lutte pour le respect de l’environnement et contre les scandales sanitaires, et c’est à chaque fois la même histoire. Regardez les pesticides, l’amiante... A chaque fois, c’est pareil. Il faut des années et des années avant que l’on commence à en parler alors que la toxicité est avérée depuis longtemps. Pourquoi? L’Etat a toujours été dans le déni de l’impact sanitaire de nos comportements, avec cette idée prégnante que ce qui doit primer, c’est la technologie. L’une des grandes responsables, c’est l’académie des sciences qui continue par exemple à nier tout impact de la téléphonie mobile alors que l’Organisation mondiale de la santé a établi l’existence d’un risque.




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