Les manches retroussées jusqu’au coude, mains recouvertes de gants, certains internautes se prêtent à un étonnant rituel. La tête dans une poubelle de magasin, ils cherchent à dénicher des trésors abandonnés par les grandes enseignes. Cette étonnante pratique a un nom: le «Dumpster diving» ou «déchétarisme» en français. Explications.
Prostrée par-dessus le rebord d’une benne à ordure presque aussi haute qu’elle, la tiktokeuse glamourddive cherche la perle rare. Là où d’autres voient des poubelles répugnantes, la jeune Américaine voit des opportunités. D’une main experte, elle éventre les sacs plastiques abandonnés par les magasins pour révéler à ses près de deux millions d’abonnés leur contenu. Cosmétiques, maroquinerie, vêtements… Le butin de ses expéditions - revendu sur son site d’achat en ligne - peut rapidement grimper à plusieurs milliers d’euros. Bien qu’elle en soit un des visages les plus reconnaissables, cette influenceuse américaine n’est pas la seule à avoir fait du «Dumpster diving» («déchétarisme» ou «trésordure» en français) son fonds de commerce.
Aux yeux de la société, fouiller les poubelles n’est pas vraiment glamour. Considérée comme un acte dégradant, l’activité est historiquement assimilée à l’extrême précarité. Pourtant, il suffit de se rendre sur TikTok pour le réaliser: fouiller les ordures de la grande distribution est devenu une mode. Sur le réseau social, le hashtag «Dumpster diving» rassemble plus de 100.000 vidéos. Loin d’être limités à la plateforme chinoise, des contenus similaires engrènent plusieurs millions de vues sur YouTube et des communautés entières dédiées à la pratique fleurissent sur Facebook.
- «Éviter que le monde ne se noie dans les ordures»
Pratiqué par choix ou contrainte, le «déchétarisme» est autant une réponse à la situation économique qu’à la crise écologique. Écrasés par l’augmentation du coût de la vie, certains se tournent vers les poubelles pour trouver de la nourriture à moindres frais. Pour d’autres, la démarche est environnementale. Allonger la durée de vie d’un objet évite qu’il rejoigne les monticules d’une décharge. «Je fouille les poubelles pour éviter que le monde ne se noie dans les ordures», a ainsi déclaré à nos confrères britanniques du Guardian, Annemarie Cox, sexagénaire californienne qui pratique le «Dumpster diving».
Sur internet, le déchétarisme est aussi et surtout un acte militant, que cela soit voulu ou non par les créateurs de contenu. Vidéo après vidéo, le «déchétarisme» expose à des millions d’internautes l’ampleur du gaspillage engendré par la grande distribution. Dans l’espace commentaire, la curiosité se mêle souvent à l’indignation: «Comment peuvent-ils se permettre de jeter des paquets de couches en parfait état?», s’indigne une internaute en réponse à une vidéo visionnée huit millions de fois.
Sans surprise, les entreprises voient la pratique d’un mauvais œil. Pour cause, elle peut révéler des pratiques peu vertueuses, voire illégales. En France, depuis le 1er janvier 2022, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AEGC) oblige les producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires, à réemployer, recycler ou réutiliser les invendus. Mais voilà: les professionnels du secteur sont encore une grande majorité à ignorer - volontairement ou non - cette nouvelle obligation légale. Une étude publiée en 2023 par Comerso (une entreprise qui souhaite agir contre le gaspillage) montre que 70 % des acteurs non alimentaires français déclarent ne pas avoir connaissance de l’interdiction de détruire des invendus non-alimentaires neufs.
- Jeter c’est jeter, reprendre c’est voler
Alors, si certains commerçants sont dans l’illégalité, qu’en est-il des «déchétaristes»? Aussi populaire soit le «déchétarisme» sur les réseaux sociaux, cette pratique est-elle autorisée en France? Difficile à savoir puisqu’il n’existe pas de législation précise sur la question. Par contre, il est mentionné à plusieurs reprises dans le droit civil que les objets jetés dans une poubelle sont «res derelictae». Cela signifie que lorsque le propriétaire d’un objet le jette en toute conscience, il abandonne tout droit qu’il a sur ce dernier et ne pourra demander sa restitution. Pour résumer: jeter c’est jeter, reprendre c’est voler!
Plusieurs maires ont néanmoins pris des arrêtés municipaux ces dernières années. Comme le relate TF1, en 2017, à Puteaux, un homme a par exemple écopé d’une amende de 35 € pour avoir voulu récupérer des pommes et des citrons dans les poubelles d’un supermarché. Pour justifier cette décision controversée, les élus locaux ont invoqué les potentiels troubles à l’ordre public et le désordre que la fouille des poubelles peut engendrer. Jugés dénigrants envers les personnes dans le besoin, la plupart de ces arrêtés ont été contestés devant les tribunaux notamment par la Ligue des droits de l’Homme.
Par Alice Martin
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Posté Le : 07/08/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Alice Martin - Publiè le lundi 5 Août 2024
Source : https://www.ouest-france.fr/