Dans les Carpates roumaines, le bois fait l’objet d’un intense trafic. Associations et ONG tentent d’inverser la donne en utilisant de nouveaux outils de lutte.
Préservées par le régime du conducator Nicolae Ceausescu, qui en avait fait son terrain de chasse, les forêts des Carpates ont fait l’objet de toutes les convoitises à la chute du communisme, en 1989. Les exploitants, peu regardants sur les règles, s’en sont alors donné à cœur joie, balafrant en de nombreux endroits certaines des dernières forêts primaires d’Europe.
Entre 1993 et 2013, quatre-vingts millions de mètres cubes de bois auraient ainsi disparu illégalement des forêts roumaines, pour partie inscrites par l’Unesco sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité. Un chiffre qui, selon le ministère de l’Environnement roumain, serait loin de ralentir, s’établissant désormais à vingt millions de mètres cubes coupés sans autorisation chaque année.
- Une application pour surveiller les plaques d’immatriculation des camions
En mettant la pression sur les gouvernements successifs, associations et ONG ont tenté d’inverser la donne. «Les scientifiques estiment que 120.000 hectares n’ont jamais subi d’intervention humaine en Roumanie, relève Ciprian Galusca, coordinateur des campagnes de l’antenne locale de Greenpeace. Depuis 2016, un cadre légal a été adopté au Parlement, et 28.000 hectares, notamment de hêtraies, ont déjà été classés. Mais cela ne représente qu’un quart des forêts séculaires des Carpates.»
Le combat contre la déforestation illégale continue. Les coupes claires, encore nombreuses au début des années 2000, ont laissé la place à un abattage plus sélectif. Plus discret et donc difficile à détecter, celui-ci nécessite l’introduction de nouveaux outils de lutte. Le système SUMAL en est un: «Cette application développée en Roumanie et lancée en 2015 permet à la population de surveiller les plaques d’immatriculation des camions, vérifier s’ils ont ou non le permis requis et donner l’alerte le cas échéant, explique Ciprian Galusca. C’est très efficace: dans certains comtés, plus de 50 % des cas qui font l’objet d’une enquête des autorités résultent de ces signalements. Mais le système doit encore être renforcé et étendu.»
- Des panneaux solaires pouvant détecter le bruit d’une tronçonneuse
Sur l’immense domaine du château Mikes (XVIe siècle) à Zabala, c’est une autre technologie innovante qui est testée par l’ONG roumaine Agent Green, à l’occasion d’une campagne baptisée Screaming Trees, «les arbres qui crient». Dans cet écrin de verdure situé dans l’extrême sud-est de la Transylvanie, quatre boîtiers ont été installés à la cime des arbres: alimentés par des panneaux solaires et capables d’envoyer des SMS, ils peuvent détecter le bruit d’une tronçonneuse ou la détonation de l’arme à feu d’un braconnier dans un rayon d’un kilomètre.
Péter Levente, natif du village, veille sur ces 500 hectares de bois. A chaque bruit suspect, le garde forestier reçoit un message sur son téléphone. «J’ai aussitôt les coordonnées GPS et le type de bruit détecté, que je peux même écouter grâce à un lien audio, dit-il. En cinq à dix minutes, je peux être sur place.» Un temps record dans une forêt touffue où les missions de surveillance sont compliquées par l’absence de routes.
«Le système a fait ses preuves, poursuit Péter Levente. Grâce à lui, j’ai déjà pu repérer des personnes qui se livraient à du braconnage ou des coupes prohibées.» Une fois signalés à la police, les trafiquants risquent jusqu’à sept ans de prison. Mais, face à un système mafieux, la lutte n’est pas sans danger. Depuis 2014, six agents de la Régie nationale des forêts ont été tués en Roumanie alors qu’ils tentaient d’empêcher des coupes illégales.
Photo: © Teddy Seguin
Par Sylvain Moreau
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Posté Le : 15/03/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Sylvain Moreau - Publié le 10/03/2021
Source : https://www.geo.fr/