Entretien: Pour Rémy Knafou, géographe, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et fondateur du festival international de géographie de Saint-Dié-des-Vosges, la pandémie peut être l’occasion de réinventer le tourisme et de réfléchir à une façon de voyager plus durable.
- La Croix: Les Français voyagent davantage, cet été, en France et en particulier dans des régions rurales et peu fréquentées habituellement… Les comportements des touristes sont-ils en train de se modifier en profondeur?
Rémy Knafou: Partir dans son propre pays est le lot commun des Français. Sur une longue période, trois quarts d’entre eux partent dans l’Hexagone, tandis que le séjour à l’étranger reste minoritaire, même si sa part avait progressé avant la pandémie de Covid-19. Avec la fermeture des frontières, cet effet de structure a été renforcé, tandis que le risque sanitaire a accentué le souhait d’éviter des lieux trop concentrés, au profit de l’espace rural en général et de l’espace proche en particulier.
Difficile de dire si ces comportements conjoncturels se transformeront en tendances durables. N’oublions pas que la France tente d’encourager depuis longtemps le tourisme rural, mais que les résultats n’étaient pas au niveau attendu. Aujourd’hui encore, les Français qui partent en vacances se rendent majoritairement sur le littoral, soit un espace limité où la concentration de touristes est fréquente. Le phénomène de «fuite» pour l’éviter au profit de la ruralité ne concerne encore qu’une minorité.
- Comment améliorer la visibilité des régions les moins connues?
R. K.: La quasi-totalité du territoire français a un potentiel touristique. Pour qu’un territoire devienne «intéressant», trois conditions doivent être réunies. L’accessibilité est un préalable. Il faut ensuite une offre adaptée aux demandes d’une clientèle de plus en plus exigeante, ce qui suppose des investissements, parfois difficiles à réaliser pour des territoires jusque-là peu dynamiques. Enfin, et on l’oublie parfois, il faut que les habitants aient envie de participer à l’économie touristique. Dans des endroits aujourd’hui très courus, tels que la vallée de Chamonix, il a fallu du temps pour que la société rurale comprenne ce qui se passait quand les premiers touristes sont arrivés dans des montagnes jugées hostiles ou improductives.
- Quels leviers utiliser en France pour mieux répartir les flux de touristes?
R. K.: Remettons en cause le concept de «morte-saison»; réfléchissons à la sous-utilisation des capacités d’accueil pendant certaines périodes. Si on prend le cas des stations des Alpes françaises, fermées en dehors de l’hiver et d’un ou deux mois en été, il y a des marges de progression. Franchissez la frontière vers la Suisse ou l’Autriche, et vous verrez des stations équivalentes pleines à l’automne. Réfléchissons à un meilleur équilibre des flux sur l’année, en remobilisant le thème d’un «tourisme des quatre saisons».
- Vous avez proposé, dans votre dernier livre, de réinventer le tourisme, pour «sauver nos vacances sans détruire le monde»(1). La réflexion autour d’un tourisme durable a-t-elle cours dans les autres pays occidentaux?
R. K.: Le courant favorable à une refonte du tourisme est dominant dans le champ des idées. Mais force est de constater que depuis la première conférence internationale sur la relation entre tourisme et environnement, en 1989, suivie de la charte du tourisme durable en 1995, les avancées restent limitées. Nous sommes plus souvent dans le marketing.
- À l’issue de la pandémie, ne risque-t-on pas d’assister à une reprise du tourisme de masse?
R. K.: Il est illusoire de penser que la pandémie mettra un terme aux flux touristiques internationaux. Mais elle nous fournit l’occasion de ne pas repartir comme avant et de réinventer le tourisme dans un monde confronté au réchauffement climatique. Je fais confiance aux jeunes générations pour cela. Il leur faudra concilier leur désir de voyager avec ce nouvel impératif.
(1) Réinventer le tourisme, Éditions du Faubourg, mai 2021, 128 p., 12,90 €.
Photo: Des touristes sont accueillis par Christian Eckert propriétaire du gîte « La Demeure d'Anthylla » à Hunawihr le 27 juillet 2021.VANESSA MEYER/L'ALSACE/MAXPPP
Recueilli par Mathieu Laurent
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Posté Le : 28/08/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Recueilli par Mathieu Laurent, le 30/07/2021
Source : https://www.la-croix.com/