Les incendies à Hawaï ont été aggravés par des plantes importées qui ont envahi, au fil du temps, les terres des anciennes cultures coloniales abandonnées.
Leur paradis est devenu un enfer. Les flammes qui ont dévoré l’archipel d’Hawaï dès le 8 août laissent dans leur sillage une population traumatisée et des scènes d’apocalypse. Au moins 106 personnes sont décédées, selon le dernier bilan des autorités. Près de 1.300 Hawaïens sont portés disparus. Attisés par des rafales de vent à plus de 100 km/h et des épisodes de sécheresse, ces incendies hors normes ont démarré dans les prairies de l’île de Maui avant de ravager l’ancienne capitale Lahaina.
La superficie brûlée chaque année dans l’archipel a quadruplé ces dernières décennies par rapport à la moyenne du XXe siècle, selon le département des ressources naturelles et de la gestion de l’environnement de l’université d’Hawaï. Suspect idéal, le changement climatique n’est pas le seul coupable. S’il a réduit les précipitations et accru les températures, facilitant les départs de feu en été, il a pour complices les vestiges de la colonisation et de l’agriculture intensive.
- Des exploitations abandonnées et inflammables
L’année 1848 marque une date charnière dans l’histoire d’Hawaï. Poussée par la volonté de moderniser son pays et par son gouvernement partiellement composé d’Américains, le monarque Kamehameha III venait alors de procéder au «Grand Mahele». Toutes les terres ont été redistribuées entre le roi, son cabinet, l’aristocratie et le peuple. Cela a acté la fin du système foncier féodal au profit de propriétés privées d’inspiration européenne. Surtout, des étrangers pouvaient désormais acquérir des terrains [1].
En quelques dizaines d’années, les exploitants occidentaux ont constitué de grands domaines achetés ou loués à des prix très bas sur de longues périodes. Les systèmes traditionnels de gestion des terres à l’échelle des bassins versants par la population locale ont été remplacés au profit d’une agriculture de plantations et d’élevages intensifs. La culture de la patate douce a ainsi cédé sa place à l’élevage bovin et aux champs de sucre de canne.
Selon les données collectées par Clay Trauernicht, spécialiste de la gestion des incendies de forêt à l’université d’Hawaï, l’intensification des incendies dans l’archipel est la corrélation directe de l’abandon des terres agricoles.
Ces vastes exploitations ont été progressivement abandonnées à partir des années 1960. Les terres laissées en friche sont depuis envahies par des graminées importées par les Européens telles que l’herbe de Guinée, l’herbe fontaine et l’herbe à mélasse. Ces plantes invasives et extrêmement inflammables forment des lits de combustibles continus à travers les îles, capables de repousser plus vigoureusement après un incendie que la majorité des plantes indigènes, plus résilientes face au feu.
«Avant l’arrivée de l’Homme, on suppose que les sources d’inflammation des feux de forêt à Hawaï se limitaient à l’activité volcanique et à de rares coups de foudre secs», théorise une étude menée en 2015 par l’université d’Hawaï sur l’historique de ces incendies.
Selon cette même étude, près de 90 % des 760.000 hectares de terres agricoles d’Hawaï sont actuellement en jachère, «faisant de l’abandon de l’agriculture le principal moteur de la dominance actuelle des graminées non indigènes» et donc du carburant des flammes: «La plupart des incendies ont débuté dans des prairies sèches non indigènes et des arbustes qui composent actuellement 24 % de la couverture terrestre totale d’Hawaï. Ces paysages dominés par l’herbe permettent aux incendies de se propager rapidement des zones à haute fréquence d’allumage aux marges boisées des bassins versants de l’État, mettant en danger l’habitat naturel, l’intégrité des bassins versants et la sécurité humaine.»
Si cette végétation n’est pas jugulée, les chercheurs hawaïens craignent que les incendies empirent d’année en année.
Notes
[1] Le problème foncier aux Hawaii, dans Les Cahiers d’outre-mer, de Christian Huetz de Lemps.
Photo: Un membre de la Garde nationale traverse un quartier calciné à la suite des incendies de forêt de Maui à Lahaina, Hawaï, le 16 août 2023. - © AFP / Patrick T. Fallon
Par Moran Kerinec
Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent cet été, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que 2023 comportera de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes, tout au long de l’année.
Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs: nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année?
Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires: le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.
Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.
Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.
Soutenir Reporterre
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 24/08/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Moran Kerinec - 18 août 2023
Source : https://reporterre.net/