Début août, des incendies ont ravagé la ville de Lahaina, sur l’île de Maui. En cause: plus d’un siècle de monoculture par des colons américains et européens.
Un terrible drame. Le 8 août dernier, de violents incendies se sont déclarés à Lahaina, une ville située sur l’île de Maui, dans l’archipel d’Hawaï. La commune a été ravagée par les flammes et une centaine de personnes ont perdu la vie –nombre d'habitants et habitantes manquent encore à l'appel, et le bilan final pourrait être bien plus lourd encore.
L’explication pourrait se trouver dans le passé, dans un pan de l’Histoire qui implique des magnats du sucre et de l’ananas blanc, rapporte le Guardian, dimanche 27 août. Pour en comprendre les ressorts, il faut remonter longtemps en arrière, à la fin du XVIIIe siècle. Le royaume hawaïen, à cette époque-là, est devenu un État souverain. La ville de Lahaina jouissait alors de ressources en eau abondantes. Au point que les premiers explorateurs lui auraient attribué le nom de "Venise du Pacifique".
Les arbres à pain, les étangs à poissons – qui nourrissaient la faune et plusieurs générations de familles autochtones hawaïennes – ou encore le taro (tubercule alimentaire des régions tropicales), proliféraient dans une surabondance de zones humides naturelles.
Pendant plus d’un siècle, les colons américains et européens ont développé des plantations agricoles. Ce phénomène a épuisé les cours d’eau dont Lahaina était dotée. Les forêts vivrières, qui regorgeaient de biodiversité, se sont transformées en poudrières.
- "Un capitalisme extractif et sans entraves"
Les conséquences sont encore prégnantes. Désormais, l’archipel d’Hawaï est forcé de dépenser, chaque année, la somme de 3 milliards de dollars dans le simple but d’importer jusqu’à 90 % de sa nourriture. Par ailleurs, des experts cités par le quotidien britannique estiment que les dommages portés à la biodiversité ont entraîné les récents incendies.
L’historien Kamana Beamer s’est exprimé à ce sujet. Cet ancien membre de la commission hawaïenne sur la gestion des ressources en eau a fustigé "un capitalisme extractif et sans entraves", au détriment de l’écosystème et des ressources naturelles.
C’est au début des années 1800 que les magnats du sucre et de l’ananas blanc ont débarqué sur les îles d’Hawaï, attirés par le climat tempéré de l’archipel. Pendant une grande partie des deux siècles suivants, les propriétaires de plantations – parmi lesquels "Maui Land & Pineapple Company" et "Alexander & Baldwin" – ont engrangé une fortune très importante.
Cette richesse s’est faite au détriment des arbres qui ont été déracinés, ainsi que des ressources en eau utilisées pour faire pousser des cultures assoiffées, dont la canne à sucre.
De nos jours, les plantes envahissantes introduites par les colons, comme le fourrage pour le bétail, recouvrent un quart de la superficie de l’archipel –des herbes folles qui constituaient un danger d'incendie connu, mais que personne n'a pris en compte, a expliqué le Wall Street Journal. Sur les champs d’ananas de Maui, enfin, l’utilisation intensive de pesticides a provoqué l’empoisonnement des puits situés aux abords.
- La monoculture s’est substituée à une plaine fertile
Sur l’île de Maui, l’agriculture à grande échelle a altéré les pratiques foncières. Avec l’arrivée des colons, les ressources naturelles ne servaient plus de mode de production alimentaire, ni d’habitat pour les oiseaux, explique l’historienne Lucienne de Naie au Guardian.
Le but était de générer rapidement de l’argent. La monoculture s’est substituée à une plaine fertile, où poussaient de multiples cultures, dont les fruits à pain et les bananes.
En 1848, une loi révolutionnaire du nom de "Grand Māhele" a légitimé la propriété foncière privée, rappelle Jonathan Likeke Scheuer, consultant en politique de l’eau. Cette loi a permis aux grands promoteurs d’accumuler de grandes quantités d’eau dans un but lucratif: "Même si la loi n’a pas privatisé l’eau, la création de la propriété privée a permis aux sociétés agricoles d’exercer un pouvoir politique et oligarchique sur les élus."
Des décennies plus tard, en 1893, la reine Liliuokalani du royaume d’Hawaï était renversée par un groupe de magnats du sucre. Cet événement, souligne The Guardian, a ouvert la voie à l’annexion d’Hawaï par les États-Unis cinq ans plus tard.
En 2016, lorsque l’ultime entreprise sucrière a fermé ses portes, les fermes ont été rachetées à des fins de spéculation immobilière par de grands investisseurs. Elles ont été laissées en jachère et envahies par des herbes, qui sont le carburant idéal pour les feux de brousse. En parallèle, des promoteurs ont pris le contrôle de fossés d’irrigation. L’eau a été détournée... pour alimenter des lotissements de luxe.
- Des batailles juridiques
De nos jours, sur l’archipel d’Hawaï, l’eau est détenue dans un fonds public. Celui-ci est contrôlé par le gouvernement, pour le compte de la population. Toutefois, 16 des 20 principaux utilisateurs d’eau, sur l’île de Maui, sont des centres de villégiature, des multipropriétés et des locations de copropriétés, équipés de terrains de golf et de piscines.
La station balnéaire de Grand Wailea est la plus grande consommatrice d’eau sur l’île. Chaque jour, elle nécessite l’équivalent de ce que consomment plus de 1.400 maisons unifamiliales.
Ces vingt dernières années, les autochtones ont mené des batailles juridiques. Des dizaines d’agriculteurs, en 2021, ont remporté une affaire historique concernant les droits sur l’eau. Plus récemment, en juin, la commission de l’eau étatique a voté pour accorder une désignation spéciale au secteur aquifère de Lahaina, qui fournit les résidents de l’ouest de Maui. Le but: que soit limitée l’utilisation de l’eau par les stations balnéaires et les promoteurs.
Toutefois, le processus a récemment été mis à mal par les incendies, qui ont réalimenté le conflit concernant l’utilisation de l’eau à Maui. Le gouverneur, Josh Green, a jugé que l’État était "allé trop loin" en matière de préservation de l’eau, observe The Guardian. En fin de compte, à la suite d’une demande faite par West Maui Land (qui exploite le réservoir), le gouverneur a assoupli la réglementation sur le débit des cours d’eau.
Photo: Lahaina, une ville située sur l’île de Maui (Hawaï), a été en proie à de violents incendies. © Getty Images / Robert Gauthier / Contributeur
CHARLINE VERGNE
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Posté Le : 29/08/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : CHARLINE VERGNE - Publié le 29/08/2023
Source : https://www.geo.fr/