Algérie

Planète - Erika: le "préjudice écologique", une révolution juridique



Planète - Erika: le




Pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, "la décision de la Cour de cassation est véritablement historique". Interview.

Arnaud Gossement est avocat spécialisé en droit de l'environnement, enseignant à la faculté de Paris I.

La bataille juridique était incertaine, et pourtant la Cour de cassation a fait un choix clair : Total est condamné dans l'affaire de la marée noire de l'Erika au titre d'un "préjudice écologique". Qu'est-ce que cela signifie?

- C'est le point le plus important de l'arrêt de la Cour de cassation. Elle a choisi de consacrer la notion de 'préjudice écologique'. En cela, sa décision est véritablement historique. Car il y avait des raisons d'être pessimiste. Le risque était fort que la Cour de cassation accepte la solution, proposée par l'avocat général, de casser la procédure.

Mais la page 255 de l'arrêt l'énonce très clairement : la notion de "préjudice écologique, consistant en l'atteinte directe ou indirecte portée à l'environnement et découlant de l'infraction", en l'occurrence une faute de témérité. Cette notion est désormais inscrite dans notre droit. C'est un nouveau chef de préjudice.

Comment ce préjudice écologique est-il défini?

- Pour qu'il soit constitué, il faut trois éléments:

1. une dégradation de l'environnement
2. que l'entreprise ait commis une faute
3. un lien de causalité directe entre les deux.

L'arrêt de la Cour de cassation est d'une extrême sévérité, puisqu'il estime en page 316 que le représentant de la compagnie Total avait "nécessairement conscience" qu'elle prenait un risque inconsidéré pouvant amener à "un dommage par pollution".

Passé la bonne surprise, il faut mesurer le poids de la décision de la Cour de cassation. La seule dégradation d'un environnement est un préjudice, sans qu'un homme ou une personne morale soit victime. La définition retenue par la Cour de cassation est donc très ambitieuse, elle accepte et consacre que la notion de préjudice puisse concerner notre environnement au sens général.

Quelles vont être les effets immédiats de cette consécration du "préjudice écologique"?

- Cela aura des conséquences politiques et judiciaires. Il faut maintenant que le Parlement se saisisse de cette question. Non pas que l'intervention du législateur soit nécessaire pour confirmer la décision de la Cour de cassation. Mais il va devoir intervenir pour éclairer l'application de cette notion de préjudice écologique.

C'est-à-dire?

- Il serait bon par exemple de faire évoluer l'expertise judiciaire afin qu'elle prenne en considération le préjudice pour l'environnement.

Doit-on aussi s'attendre à des conséquences pour les entreprises?

- C'est même une révolution, au sens que c'est une demande ancienne d'associations et de responsables politiques qui est accueillie en droit. Désormais, les entreprises devront, dans leur évaluation du risque financier, prendre en compte le risque écologique. Il faudra donc que la science économique prenne à bras le corps la question de l'évaluation de ce risque, afin que l'entreprise puisse mieux évaluer le rapport coût/avantage. Par exemple, pour réaliser que le risque de faire disparaître un pétrolier en mer n'est pas rentable.

Cette révolution du droit peut devenir une incitation très forte pour les entreprises à engager une démarche volontariste afin de mieux prévenir les risques environnementaux. Mais les entreprises devront y être aidées, au risque que cela devienne un frein à l'activité.

Le navire Erika a sombré en dehors des eaux territoriales françaises, et pourtant la Cour de cassation a confirmé que la justice française était compétente. Quelle est son argumentation?

- La Cour de cassation a validé une lecture environnementaliste, consistant à interpréter le droit maritime en fonction du droit de l'environnement. Elle a considéré que l'intervention des juridictions françaises était légitime dès lors que le territoire français était touché ; et elle a considéré qu'aucune disposition internationale ne s'y opposait.

Cependant cette évolution de la jurisprudence française n'est pas encore satisfaisante puisqu'elle ne s'applique pas partout. Il faudra aussi que le droit international évolue. Il faudra une harmonisation par le haut.


Propos recueillis par Baptiste Legrand le mardi 25 septembre 2012



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