Le rapport consacré aux mesures d’atténuation du réchauffement climatique des scientifiques de l’ONU appelle à agir dans tous les secteurs et à modifier nos modes de vie
Après avoir exploré la physique du réchauffement climatique, puis les risques pour les humains et les écosystèmes, dans le 3e volet de son 6e rapport sur le climat le GIEC investigue cette fois les mesures de mitigation pour lutter contre le réchauffement climatique.
. Retrouvez notre dossier consacré à l'urgence climatique selon le GIEC. (A voir et à lire sur site)
Créer des villes compactes où l’on peut se déplacer à pied, électrifier les transports en combinaison avec des sources d’énergie à faibles émissions, tendre vers un stockage plus efficace du carbone par les espaces naturels… Les solutions pour limiter le réchauffement climatique existent. C’est précisément ce qu’ont voulu montrer les 278 scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui ont rédigé le troisième volet de son sixième rapport, publié ce lundi 4 avril.
«Nous sommes à la croisée des chemins, a déclaré Hoesung Lee, président du GIEC dans un communiqué publié ce même jour. Les décisions que nous prenons maintenant peuvent nous garantir un avenir vivable. Les mesures climatiques prises dans de nombreux pays sont encourageantes. Transposés à plus grande échelle et appliqués plus largement et équitablement, des politiques, réglementations et instruments de marché qui s’avèrent efficaces peuvent favoriser d’importantes réductions des émissions et stimuler l’innovation.»
- Une bonne et une mauvaise nouvelle
Commençons par la bonne nouvelle: nous disposons des outils et du savoir-faire nécessaires pour limiter le réchauffement climatique. A titre d’exemple, rien qu’en 2020, les nouvelles capacités de production d’électricité à partir de sources renouvelables ont augmenté de 45%, soit la plus forte augmentation en une année depuis 1999. Les coûts de l’énergie solaire, éolienne et des batteries ont par ailleurs fortement diminué depuis 2010.
- L'interview de Julia Steinberger coautrice du rapport: «L’acceptation des politiques climatiques passera par la participation des citoyens» (A voir et à lire sur site)
«Il existe des options disponibles aujourd’hui dans tous les secteurs à même de réduire de moitié les émissions d’ici à 2030», confirme Céline Guivarch, directrice de recherche au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) et l’une des autrices principales de ce volet.
La mauvaise, maintenant? Le temps presse et le monde n’est pas sur la bonne trajectoire pour limiter le changement climatique et éviter ses effets les plus graves. Sans réductions immédiates et profondes des émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs, limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C sera tout simplement hors de portée. Pour atteindre cet objectif, selon les scénarios évalués par le GIEC, les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient atteindre un pic avant 2025 au plus tard, et être réduites de 43% d’ici à 2030. Dans un même temps, les émissions de méthane devraient diminuer d’environ un tiers, la principale source d’émission anthropique étant l’agriculture (145 millions de tonnes en 2020), selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
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Même si nous y parvenons, il est presque inévitable que nous dépassions temporairement ce seuil, mais nous pourrions revenir en dessous d’ici la fin du siècle, pointent les experts, avant d’ajouter que «si les politiques ne sont pas renforcées d’ici à la fin de la décennie 2020, les émissions de gaz à effet de serre devraient augmenter au-delà de 2025, entraînant un réchauffement planétaire médian de 3,2°C d’ici à 2100». «Nous subissons déjà aujourd’hui des dommages liés au changement climatique dans toutes les régions du monde, appuie Céline Guivarch. A chaque fraction de degrés en plus, les risques augmentent et deviennent toujours plus difficiles à gérer. Nous devons donc instaurer des actions fortes et immédiates.»
- Intensifier le financement des énergies propres
Alors, que mettre en place? Premier point: parvenir à une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, en visant une électrification généralisée, une amélioration de l’efficacité énergétique et la promotion de l’usage de combustibles de substitution, comme l’hydrogène. Selon l’AIE, le déploiement des énergies solaire, photovoltaïque et éolienne doit être deux fois plus rapide que ce qui a déjà été annoncé au niveau mondial pour rester sur une trajectoire de 1,5°C. Le financement des solutions d’énergie propre doit aussi être intensifié, de nombreuses technologies nécessaires aux secteurs difficiles à décarboner étant en cours de développement.
Les véhicules électriques alimentés par de l’électricité produite avec de faibles émissions offrent le plus grand potentiel de décarbonation pour le transport terrestre, souligne le rapport. Les biocarburants durables, l’hydrogène à faibles émissions et les carburants synthétiques peuvent aussi, selon les scientifiques, contribuer à l’atténuation des émissions de CO2 du transport maritime, de l’aviation et du transport terrestre lourd, mais ils nécessitent pour cela des améliorations au niveau des processus de production et une réduction de leurs coûts. A souligner que de nombreuses stratégies d’atténuation dans le secteur des transports auraient des avantages connexes, comme une amélioration de la qualité de l’air, et des bénéfices pour la santé.
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Autre aspect important: réduire les émissions dans différents secteurs comme l’industrie (responsable d’environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre), mais aussi l’agriculture, la sylviculture et les autres utilisations des terres, qui y contribuent à hauteur de 22%, la production de bétail et la culture du riz étant les principaux responsables. La transformation de ce dernier domaine pourrait à la fois réduire les émissions – en modifiant les méthodes d’élevage et d’agriculture –, mais aussi éliminer le carbone dans l’atmosphère, par exemple par la protection des forêts existantes et la plantation de nouvelles, même si cela ne représente toujours, au maximum, que 30% de l’atténuation nécessaire pour rester en dessous de 1,5°C.
- Concilier objectifs climatiques et sociétaux
Les zones urbaines sont aussi passées sous l’œil des experts. «Toutes les villes peuvent contribuer à atteindre l’objectif de zéro émission nette de CO2, qu’il s’agisse de villes établies, en croissance ou émergentes», estime la professeure Siir Kilkis, membre du Conseil de la recherche scientifique et technologique de Turquie et coauteure principale du rapport.
Parmi les stratégies permettant de réduire les émissions de carbone: l’amélioration, la réaffectation ou la modernisation du parc immobilier, le rapprochement – dans les villes à croissance rapide – des emplois et des logements afin de pouvoir se déplacer à pied ou avec des transports à faibles émissions, ou encore la promotion des toits végétalisés et des espaces verts, afin de luter contre les îlots de chaleur.
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Par ailleurs, pour la toute première fois, un rapport du GIEC consacre l’un de ses chapitres à l’atténuation par la demande, à savoir comment les changements de comportement de mode de vie permettent de réduire les émissions, par exemple par la modification des régimes alimentaires (moins de viande), le choix des transports ou une utilisation efficace de l’énergie. Ces choix individuels, soutenus par des politiques publiques, auraient un potentiel de réduction de 40 à 70% des émissions mondiales.
«La majorité des études montrent que la réduction des gaz à effet de serre entraîne un ralentissement de la croissance économique, modeste mais existant, précise Franck Lecocq, directeur du Cired et coauteur du rapport. Sur un plan sociétal, certaines régions et secteurs économiques les plus émetteurs vont a priori voir des emplois disparaître et d’autres être créés dans des secteurs moins émetteurs. Même si en termes de bilan net la situation va s’équilibrer, la transition sera très importante et les enjeux très difficiles à gérer afin que toutes les personnes concernées soient compensées et trouvent leur place dans un monde décarboné.»
Autre bonne nouvelle: selon les experts, les capitaux et les liquidités disponibles au niveau mondial sont suffisants pour assurer ces changements de fond. Le défi consistera à les mobiliser et à les réorienter vers le financement des secteurs et régions critiques pour la transition climatique.
Photo: Image d'illustration: un iceberg fondant au soleil en 2005 au Groenland. — © JOHN MCCONNICO / KEYSTONE
Voir l'article et les autres mentionnés comme suit: https://www.letemps.ch/sciences/planete-peril-lheure-lurgence
Sylvie Logean
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Posté Le : 10/04/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Sylvie Logean - Publié lundi 4 avril 2022
Source : https://www.letemps.ch