Chaque jour, l’électricité est coupée pendant plusieurs heures en Tanzanie, au Zimbabwe et en Zambie en raison du faible niveau d’eau de barrages hydrauliques.
Aux confins du Zimbabwe et de la Zambie, un immense arc de béton s’élève depuis la fin des années 1950 sur les eaux tumultueuses du fleuve Zambèze. Le barrage de Kariba, d’une capacité totale d’environ 2.000 mégawatts (MW), est encore aujourd’hui l’une des plus grandes centrales hydrauliques d’Afrique et fournit à lui seul 70 % de l’électricité consommée au Zimbabwe. Mais il est actuellement à sec: son gigantesque réservoir n’est rempli qu’à 3 % en raison de sécheresses à répétition.
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«N’ayant pas d’autre choix», Harare procède depuis début décembre à des coupures de courant massives, jusqu’à dix-neuf heures par jour, dans un pays déjà en proie à une vertigineuse crise économique. Des habitants de la capitale ont raconté à l’Agence France-Presse qu’ils se levaient au cœur de la nuit pour tirer profit des rares heures d’électricité disponibles et charger ainsi leur téléphone, ou repasser une chemise. De l’autre côté du fleuve, la Zambie, qui exploite également Kariba, a elle aussi annoncé des délestages.
Plus au nord, en Tanzanie, le faible niveau d’eau des barrages, couplé à des problèmes de maintenance, a conduit les autorités aux mêmes décisions drastiques. «En ce moment, ils coupent le courant entre six et huit heures par jour, parfois douze», témoigne Aviti Thadei Mushi, professeur au département d’ingénierie électrique de l’université de Dar es-Salaam.
- Ressource la moins chère
La capitale économique, plutôt préservée des «rationnements» en temps normal, est particulièrement touchée, raconte l’universitaire, parfois incapable de dispenser ses cours dans des amphithéâtres privés de courant. «Dans les foyers, si le frigo n’a pas d’électricité pendant huit heures, toute cette nourriture part à la poubelle. Les gens se plaignent beaucoup», ajoute-t-il. Plus largement, c’est toute l’économie qui est affectée. «Prenez le barbier qui tient un petit salon, dans la rue. Sans électricité, il ne peut plus rien faire», observe M. Mushi.
«Les études scientifiques récentes ont montré que la variabilité entre années extrêmement humides et sèches va augmenter à travers l’Afrique de l’Est»
David Mwangi, un expert kényan qui a travaillé pour le programme d’accès à l’électricité Power Africa, souligne que de telles coupures affectent lourdement les industries. Certes, les grosses usines sont équipées de générateurs, mais ces derniers sont gourmands en diesel. Leur usage prolongé est bien plus cher que l’électricité du réseau et fait exploser les coûts de production. «Les plus petites industries, qui n’ont pas forcément de générateurs, vont devoir arrêter de produire ou réduire le nombre d’heures travaillées», ajoute-t-il.
De nombreux pays d’Afrique orientale et australe sont très dépendants de l’hydroélectricité, parfois au-delà de 90 % du mix électrique, comme en Ethiopie ou au Lesotho. On y a profité de larges fleuves et d’une topographie accidentée, notamment par la faille du Rift, pour miser sur cette énergie constante et fiable. «Historiquement, ça a été la ressource énergétique la moins chère, donc très attractive pour les pays de la région», ajoute Sebastian Sterl, un expert de l’énergie basé à Addis-Abeba pour le World Resources Institute, un cercle de réflexion travaillant sur l’environnement.
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Mais le réchauffement climatique et ses épisodes de sécheresse récurrents viennent déstabiliser ce système. «Plusieurs études scientifiques récentes ont montré que la variabilité entre années extrêmement humides et extrêmement sèches va augmenter à travers l’Afrique de l’Est , poursuit-il, précisant que ce constat est pour le moment moins «clair» dans les autres régions africaines. L’expert plaide pour une diversification des sources d’énergie, «afin de prendre la relève si l’hydro s’avère indisponible».
C’est le cas du Kenya, où l’hydraulique ne représente plus qu’environ 30 % de la capacité installée, grâce notamment à l’essor massif de la géothermie. Les niveaux d’eau y sont actuellement bas, mais la locomotive économique de l’Afrique de l’Est ne souffre pas, pour le moment, de coupures liées à la sécheresse, dont l’intensité est pourtant inédite depuis quarante ans. «Nous avons optimisé l’utilisation des barrages en réduisant leur usage et en augmentant celui de la géothermie, afin que les Kényans ne soient pas affectés», se félicite un porte-parole de l’électricien national, KenGen. Même les quelques – et coûteuses – centrales au fioul du pays restent pour l’instant peu utilisées, assure-t-il, ce qui évite d’augmenter la facture d’électricité dans un contexte d’inflation record.
- Fierté nationale
Pour Sebastian Sterl, les conséquences du réchauffement climatique ne sonnent pas forcément le glas de l’hydroélectricité dans la région. Tout d’abord, certaines zones comme l’Ouganda ou l’est de la République démocratique du Congo (RDC) restent très humides. Ailleurs, les barrages sont complémentaires d’autres énergies, notamment renouvelables: ainsi, en Ethiopie, l’ensoleillement et le souffle du vent sont à leur paroxysme pendant la saison sèche, lorsque l’hydrologie est au plus bas. Et inversement en saison des pluies.
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Le pays achève d’ailleurs le mégabarrage de la Renaissance, le plus grand d’Afrique, après des années de travaux herculéens sur le Nil bleu. L’ouvrage, une fierté nationale au cœur de fortes tensions avec ses voisins, le Soudan et l’Egypte, doit dépasser les 5.000 MW, soit l’équivalent d’au moins cinq réacteurs nucléaires standards. Le remplissage de son immense réservoir, déjà commencé, mettra deux à trois ans pour atteindre son maximum, note M. Sterl. «En fonction de la pluviométrie», précise-t-il.
Photo: Au Zimbabwe, le barrage de Kariba, sur le fleuve Zambèze, produit de l’électricité pour deux autres pays : la Zmabie et la Tanzanie. GUILLEM SARTORIO / AFP
Pour accéder et lire les articles cités en annexe: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/12/23/en-afrique-orientale-et-australe-les-secheresses-menacent-le-systeme-electrique_6155549_3212.html
Marion Douet(Nairobi, correspondance)
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Posté Le : 25/12/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Marion Douet(Nairobi, correspondance) - Publié le 23 décembre 2022
Source : https://www.lemonde.fr/afrique