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Planète - Delta du Niger: Comment réinsérer les ex-rebelles


Planète - Delta du Niger: Comment réinsérer les ex-rebelles
Le Nigeria a demandé à l’Europe d’accueillir les ex-rebelles dans des formations professionnelles pour accompagner le programme d’amnistie et de réinsertion lancé en 2009.

Pauvreté, sous-développement et pollution des États producteurs de pétrole du Delta du Niger (la région comprend 8 États, Bayelsa, River, Akwa Ibom et Delta States sont les principaux) conduisent le Mouvement pour l'émancipation du delta du Niger (MEND), non exempt d’éléments criminels et mafieux, à déclarer la guerre à l’industrie pétrolière en 2006. S’en suivent enlèvements et attaques contre le personnel des compagnies, sabotage des infrastructures, pompages illégaux avec en corolaire une baisse significative de plus de 20% de la production pétrolière qui assure environ 95% des revenus d’exportation du pays et des recettes fiscales de l’État.

Programme d’amnistie

En 2009, après une opération militaire qui fera plus de 1.000 morts, principalement civils, le président nigérian Umaru Yar’Adua offre une amnistie valable 60 jours aux militants repentis. En contrepartie de leur engagement, les ex-militants se verraient offrir une formation de 42 mois ainsi qu’un «salaire» mensuel conséquent. Malade, Yar’Adua ne peut cependant mener le projet à son terme. Il retarde même l’application de ce programme en voulant garder la maîtrise de son financement alors qu’il se bat contre la maladie à l’étranger. Son successeur, Goodluck Jonathan, poursuit son œuvre.

Malgré les incertitudes relatives au nombre de militants repentis (20.000 ou plus) et à leur réel désarmement, ainsi qu’à l’éventuelle utilisation des subsides reçus à un réarmement, il est de l’avis général que la sécurité dans le Delta du Niger s’est améliorée et a permis une reprise de la production journalière à des niveaux comparables à ceux d’avant l’émergence des hostilités (2,4 millions de barils/jour). L’armée (la «Joint Task Force») intervient cependant encore régulièrement. En mai dernier, l’opération menée contre le «général» John Togo, leader de la Force de Libération du Delta du Niger (NDLF) créée récemment, a fait des dizaines de morts dont peut-être le leader lui-même. Les sabotages n’ont pas cessé, en témoigne celui du Trans Forcado Pipeline le 6 octobre qui a conduit Shell (SPDC) à se déclarer dans une situation de force majeure qui la dégage de ses obligations d’exportation pour les mois d’octobre novembre et décembre 2011.

Originaire du Bayelsa, l’un des États producteurs, l’actuel chef de l’État fait du maintien de la paix sur le long terme une priorité qui ne pourra se réaliser que par l’insertion des ex-rebelles dans une activité économique légale et lucrative. Un des reproches récurrents adressés aux compagnies pétrolières est de ne pas avoir, dès le début de l’exploitation, (c’est-à-dire à l’époque coloniale), transféré les connaissances et le know how qui auraient permis aux communautés de la région et au Nigeria d’avoir la maîtrise de leurs ressources. Au-delà de la distribution de subsides, c’est de la formation professionnelle dont il est question. Mais quelles formations donner aux ex-militants, où celle-ci doit-elle se faire et qui doit payer?

Qui doit financer?

Les fonds exclusivement nigérians (aucune organisation internationale ne serait impliquée) qui sont consacrés au programme d’amnistie peuvent être estimés annuellement, selon Kingsley Kuku, le conseiller principal du président, à 4 jours de production pétrolière à 100 dollars le baril. Mais dans les faits, des reproches sont adressés au Comité d’Amnistie pour son absence de transparence dans leur répartition, notamment par le «Peace Keeping Ex-Militants Forum». Pour sa part, K. Kuku regrette l’attitude des compagnies pétrolières qui, selon lui, sont les principales bénéficiaires de la paix actuelle et ne jouent pas le jeu:

«Les compagnies, dont la plupart ont leur siège en Europe, ont envoyé quelques jeunes dans des centres locaux pour y recevoir des formations inadéquates de soudeurs, tailleurs et autres «vocations» non agrées par les autorités nigérianes.»

Il reproche également à ces compagnies d’avoir maintenu au même niveau leurs effectifs de sécurité, alors que selon lui, ce ne serait plus nécessaire et avance que les sommes qui leur sont consacrées devraient être destinées à la formation professionnelle à l’étranger des 26.000 ex-militants. Seuls 3.000 seraient en formation localement.

Au cours de son séjour en Europe, Kuku plaidait l’assouplissement des conditions d’obtention des visas pour les jeunes nigérians auprès des autorités françaises (ce qui n’est pas gagné d’avance) et européennes. Il a d’autre part vivement regretté les interdictions de se rendre dans le Delta du Niger données par ces mêmes autorités à leurs ressortissants alors que les compagnies qui y sont implantées n’ont pas l’intention de renvoyer leur personnel, ni de partir.

Le 6 août dernier, Kuku annonçait à la presse que 1.356 ex-militants avaient été envoyés en Inde, en Malaisie, aux Émirats arabes unis et en Afrique du Sud pour y recevoir des formations de grutier, plombier, plongeur, mécanicien, agent de maintenance électronique et électrique. Les Etats-Unis auraient également accueilli une centaine de jeunes.

Le «contenu local»

Les compagnies pétrolières et leurs sous-traitants contraints par l’obligation du «local content» (au moins 70% de contenu local en 2010) assurent eux-mêmes une bonne partie de la formation de leurs employés et disent viser des standards internationaux. Par exemple, Total Nigeria réplique qu’elle s’implique fortement dans des programmes de formation. Elle finance entre autres un Post Graduate Diploma Program dans le Delta pour un montant de 1,6 millions d'euros annuel depuis 2008, ainsi que l’Institute of Petroleum Studies à Port Harcourt qui délivre un master en partenariat avec l’Institut français du pétrole (IFP).

La réforme du secteur pétrolier et l’emploi local

En discussion depuis plusieurs années, la réforme du secteur pétrolier (le Petroleum Industry Bill) qui comporte des aspects fiscaux, mais aussi de fortes obligations en matière de formation et d’emploi de la population locale peine à voir le jour. En l’état actuel, le texte est jugé «en deça» de ce que les communautés locales sont en droit d’attendre selon Kuku qui déplore la «toute puissance» des compagnies pétrolières (Shell, en partenariat avec la NNPC, assure environ 40% de la production de brut du pays, Total 15%) et la faible contribution des ONG au développement des États du Delta du Niger.

Les obligations nouvelles de restaurer les sols fortement pollués, la mise en valeur des ressources en gaz naturel et la réalisation des grands projets d’usines de liquéfaction (Brass, Escravos…) sont potentiellement prometteuses en termes de création d’emplois.

Reste que l’industrie pétrolière ne peut remplacer le système éducatif d’une part et que d’autre part, elle n’emploiera pas non plus tous les étudiants qui rentreraient diplôme en poche. La solution passe par la diversification de l’économie de la région et un accord aux niveaux fédéral et local sur le montant de la restitution aux États producteurs des revenus pétroliers.

La paix est fragile. Tous les rebelles n’ont pas accepté l’amnistie. En mai dernier, des ex-militants du Delta menaçaient de mettre Abuja à feu et à sang si le gouvernement n’assurait pas leur sécurité, quatre d’entre eux ayant été assassinés en une année.

* Photo ci-dessus: Un homme au milieu d'une fuite de pétrole à Dadabili, dans l'ouest du Nigéria, 2011. REUTERS/Afolabi Sotunde

Marie-Odile Azaïs
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