Par Hamid-Hocine Oussedik, ancien fonctionnaire de l’Unesco, consultant international.
I - L’Unesco fidèle à son acte constitutif
La Charte des Nations unies, adoptée en juin 1945, est «fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres» et a, notamment, pour buts de : «Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde.» Pour l’Acte constitutif de l’Unesco :
«La grande et terrible guerre qui vient de finir a été rendue possible par le reniement de l’idéal démocratique, de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et par la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’inégalité des races et des hommes.»
Le principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes est devenu à travers la jurisprudence internationale une norme de jus cogens au terme de l’article 53 de la Convention de Vienne, c’est-à-dire : une règle de droit international à laquelle aucune dérogation n’est possible, autrement dit une norme impérative du droit international. Il sera un texte de référence pour nombre de ceux qui ont combattu pour leur indépendance, face aux pays colonisateurs ou occupants qui l’ont signé.
Lorsque l’on se penche sur l’évolution du système des Nations unies, il apparaît dans une première étape comme un système fondamentalement euro-péocentrique, peu soucieux des grands problèmes de l’humanité tels que la décolonisation, le respect des droits humains, le droit à l’éducation, les droits culturels, le développement durable, etc.
La décennie de la décolonisation qui couvre globalement la période de 1965- 1975 a vu l’adhésion des Etats nouvellement indépendants renforcer la position du groupe des pays du «tiers monde» au sein des Nations unies. Ces pays se montrent moins sensibles aux arguments et aux pressions des grandes puissances.
Au sein de l’Unesco, cette tendance s’est accrue de manière sensible lorsque le Conseil exécutif a adopté le 29 octobre 1971 une résolution algérienne reconnaissant «le gouvernement de la République populaire de Chine comme unique représentant de la Chine». La récente admission de la Palestine à l’Unesco apparaît comme une étape importante de la longue marche entreprise depuis 1947. Un tournant significatif et marquant sera pris en 1974 par l’ONU, lorsque le président Abdelaziz Bouteflika sera élu, au temps où il dirigeait la diplomatie algérienne, président de la 29e session de l'Assemblée générale des Nations unies. Grâce à son expérience et au rayonnement de l’Algérie, il saura éviter nombre de chausse- trappes, vaincre de sérieuses oppositions et réticences avant de réussir à convaincre l’Assemblée générale des Nations unies d’expulser le régime d'apartheid sud-africain et d’admettre, pour la première fois, feu Yasser Arafat qui adressera à la communauté internationale un émouvant discours : «Je m’adresse ici tout particulièrement aux Israéliens de toutes les catégories, de tous les courants et de tous les milieux et, avant tout, aux forces de la démocratie et de la paix, et je leur dis : Venez ! loin de la peur et de la menace, réalisons la paix, loin du spectre des guerres ininterrompues depuis 40 ans dans le brasier de ce conflit, loin de la menace de nouvelles guerres, qui n’auraient d’autre combustible que nos enfants et vos enfants, venez, faisons la paix, la paix des braves, loin de l’arrogance de la force et des armes de la destruction, loin de l’occupation, de la tyrannie, de l’humiliation, de la tuerie et de la torture. »
Durant cette même année 1974, l’Unesco organisera en Algérie deux importantes réunions, que j’ai eu le privilège de présider. L’une à Oran du 1er au 6 décembre 1975, avec pour thème : «Réunion de la jeunesse sur les nouvelles formes de coopération internationales » et l’autre «Rencontre entre les responsables des mouvements de libération nationale en Afrique australe et les dirigeants d’organisations internationales de jeunesse», à Alger, du 9 au 11 décembre 1975.
Tenant compte des recommandations de ces deux réunions, la Conférence générale de l’Unesco autorise le directeur général, en 1976 lors de sa 19e session, à «assurer la coopération entre les jeunes des différentes parties du monde, en vue d’assurer la promotion de la paix et de la compréhension internationale, d’inciter les jeunes à lutter plus activement contre le colonialisme et le racisme, de faire participer les organisations de jeunesse aux tâches de développement liées à l’établissement d’un nouvel ordre économique et social international». Des programmes d'aide aux mouvements de libération nationale, dont l'OLP, seront également adoptés. C’était le temps où les sommités culturelles et intellectuelles mondiales, à l’image de Pablo Neruda, apportaient leur compétence, expérience et soutien aux travaux de l’Unesco qui s’imposait comme une organisation ayant une réelle capacité d’anticipation, de réaction et d’adaptation dans les réformes engagées au sein de l’ensemble des institutions des Nations unies.
Soixante ans après, n’est-il pas normal que l’Unesco respecte la promesse faite aux Palestiniens et s’acquitte aujourd’hui de ses devoirs ?
Ce rôle de phare, de guide sur les sentiers de la paix, de la liberté et de la justice sera rappelé avec force à de multiples occasions. En 1995, à l’ouverture des travaux de la 28e session de la Conférence générale de l’Unesco, Federico Mayor, directeur général à l’époque, soulignera avec insistance : «Dignité, égalité et respect de la personne humaine», «Justice, liberté et paix» : «Ces valeurs se suivent en rangs serrés dans le préambule de notre Acte constitutif. Elles sont nos phares, aujourd’hui tout autant qu’hier, car elles sont intemporelles, et chaque jour à défendre. L’Unesco n’est pas une institution technique. Sa mission qui porte sur la promotion des valeurs universelles est d’ordre éthique ; aucune crainte, aucune considération sur l’évolution du monde, aucun opportunisme ne viendront écorner ce mandat. Si par malheur ces valeurs venaient à être défaites à l’échelle du monde, l’Unesco en serait le dernier bastion.»
Lors des festivités du 65e anniversaire de l’Unesco, en décembre 2010, Mme Irina Bukova, la nouvelle directrice générale de l’Unesco, lui fera écho en déclarant : «Notre histoire ne fut pas un long fleuve tranquille. Je retiens cependant que l’Unesco, portée par un idéal exprimé de façon nette et limpide et par une action renouvelée chaque fois par des directeurs généraux de grand talent, a toujours su traverser les épreuves et s’adapter aux mutations du monde.»
L’admission de l’Autorité palestinienne, le 31 octobre 2011, en tant que 195e membre de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) s’inscrit dans la fonction principale des Nations unies, à savoir la préservation de la paix, de la sécurité internationale et de la coopération internationale. C’est, à coup sûr, «une adaptation aux mutations du monde qui ne sera pas sans épreuves à traverser». La Résolution a été adoptée par 107 voix pour, 52 abstentions et 14 voix contre. Les pays africains, latino-américains et arabes se sont prononcés dans leur quasi-totalité pour l'adhésion de la Palestine, de même que la France qui, auparavant, avait émis des réserves sur cette démarche.
La France qui, en l’occurrence, a fait preuve de courage et de réalisme politiques : fidèle en cela au sens aigu de ses responsabilités et de son histoire. Son vote sera salué par une grande ovation dont la Conférence générale n’est pas souvent coutumière. Le porte-parole du Quai d’Orsay soulignera : «La France soutient les responsables palestiniens, au premier rang desquels le président de l’Autorité palestinienne (Mahmoud Abbas), dans leurs efforts pour l’édification d’un État palestinien vivant côte à côte, en paix et en sécurité avec l’État d’Israël.»
Parmi les Européens, l’Espagne et la Grèce ont voté pour, l’Italie et le Royaume-Uni se sont abstenus. Les États-Unis, l'Allemagne et le Canada ont voté contre.
Israël dénoncera «une manœuvre palestinienne unilatérale qui ne changera rien sur le terrain mais éloigne davantage la possibilité d'un accord de paix».
Pour le ministre palestinien : «Nos efforts à l'Unesco remontent à 22 ans», il s’agit «d’un moment historique qui rend à la Palestine certains de ses droits».
Le vote du 31 octobre 2011 est, d’abord, une mise en cohérence effective avec la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies adoptée le 29 novembre 1947 avec le soutien actif des Etats-Unis et de l’ex-Union soviétique. Pour rappel, cette résolution demandait l’établissement de deux Etats, l’un arabe palestinien et l’autre juif : «Les États indépendants arabe et juif ainsi que le régime international particulier prévu pour la ville de Jérusalem dans la troisième partie de ce plan commenceront d’exister en Palestine deux mois après que l’évacuation des forces armées de la puissance mandataire aura été achevée et en tout cas, le 1er octobre 1948 au plus tard.» Refuser, aujourd’hui, l’application de la partie concernant la Palestine ne repose sur aucune règle de droit international ou de circonstances exceptionnelles ayant mené à l’invalidation de tout ou partie de la Résolution 181 qui demeure, du reste, l’acte fondateur de l’Etat d’Israël.
La Convention de Vienne sur le droit des traités définit les conditions et les effets de l'application du principe de la clause rebus sic stantibus. A cet effet, l’admission de la Palestine à l’Unesco ne peut être comprise comme une «violation substantielle du traité par une des parties» (Article 60)… «L’impossibilité d'exécution ne peut être invoquée par une partie comme motif pour mettre fin au traité, pour s'en retirer ou pour en suspendre l'application si cette impossibilité résulte d'une violation, par la partie qui l'invoque» (Article 61 § 2).
Enfin, en raison des menaces pour la paix et de l’atteinte à un principe fondamental des relations internationales, à savoir l'intégrité territoriale des États (cf. Article 2, § 2 et 4 de la Charte des Nations unies) : «Le changement fondamental de circonstance ne peut pas être invoqué comme motif pour mettre fin à un traité ou pour s'en retirer, s'il s'agit d'un traité établissant une frontière, ou si le changement fondamental résulte d'une violation, par la partie qui l'invoque » (Article 62 dit clause (rebus sic stantibus). La décision de l’Unesco d’admettre la Palestine met Israël sur la défensive. Tant elle peut se transformer en un premier succès diplomatique palestinien d’une longue série, particulièrement au sein des autres agences du système des Nations unies.
Le quotidien israélien Maarivrelève : «Les rares Israéliens qui ont assisté à l’événement à Paris ont eu le sentiment d’un échec diplomatique qui en annonce d’autres.»
L’autre conséquence de cette admission est que les Palestiniens, eux-mêmes, reconnaissent de facto tous les Etats qui sont membres de l’Unesco, dont Israël qui a réagi de façon brutale et immédiate en suspendant sa contribution de 2 millions de dollars à l’Unesco, en accélérant le processus de colonisation dans Jérusalem-Est et en Cisjordanie par la construction de 2 000 nouveaux logements et en gelant le transfert de fonds à destination des Palestiniens. Ces fonds, d'un montant d'environ 50 millions de dollars par mois, correspondent au remboursement des droits de douane et de TVA prélevés sur les produits, destinés aux Palestiniens, qui transitent par les ports et aéroports israéliens. Cet argent assure 30% du budget de l'Autorité palestinienne et permet de payer 140 000 fonctionnaires palestiniens.
Dans le même élan, les Etats-Unis rejettent le résultat du vote et suspendent, également, leurs subventions qui représentent 60 millions de dollars, soit 22% du budget de l'Unesco. L'administration d’Obama fonde sa décision sur deux lois américaines du début des années 1990 qui «interdisent le financement d'une agence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tant qu'Etat membre à part entière, en l'absence d'accord de paix avec Israël». C’est là une décision souveraine, mais qui est d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’un membre fondateur de l’Unesco qui n’a pas été créé pour servir les intérêts d’un pays ou d’un groupe de pays aussi puissants soient-ils.
L’Unesco ne peut se soumettre à pareille injonction sans renier son acte constitutif et sa raison d’être. S’appuyer sur ces deux lois votées il y a 22 ans : c’est admettre, a posteriori, que le problème est resté figé et que rien n’a changé depuis. Faut-il comprendre que la loi du 19 janvier 1993 par laquelle le Parlement israélien a abrogé la loi interdisant les contacts avec l’OLP, la signature des accords d’Oslo en juin 1993, les visites des responsables palestiniens à la Maison Blanche et les différentes déclarations parfois élogieuses qui leur ont été adressées par le gouvernement américain, n’ont été qu’une suite de leurres.
Les États arabes dits «modérés» ont été les premiers, après les accords d’Oslo, à chercher à avoir une forte emprise sur les responsables palestiniens et à les pousser à s’en remettre totalement à «l’arbitrage» des Etats-Unis.
Aujourd’hui, ils sont bien silencieux.
Depuis son élection, l’actuel président de l’Autorité palestinienne a régulièrement dénoncé le recours à la violence. Il mène une politique de coopération avec Israël qui lui a valu d’être accusé de trahison par ses rivaux islamistes du Hamas, voire par une partie de son opinion. Les services de sécurité de l’Autorité palestinienne contribuent à la sécurité d’Israël en emprisonnant des activistes palestiniens et participent à soulager Israël du fardeau de l’administration directe des Territoires occupés. Un retour à l’occupation des villes palestiniennes de Cisjordanie par l’armée israélienne représenterait un fardeau politique et financier considérable pour Israël, comme avant les accords d’Oslo, et déboucherait à brève échéance sur une situation incontrôlable.
Il est difficile de comprendre la logique des États-Unis qui, d’un côté, prétendent soutenir dans la région «le printemps arabe» au nom de la liberté, de la démocratie et du respect des droits humains et, de l’autre, s’opposent aux aspirations légitimes du peuple palestinien. Pareille position affaiblit, en premier lieu, les forces démocratiques et de progrès de Palestine et des pays arabes. Un tel parti-pris laisse peu de place à l’espoir, au dialogue et à un règlement pacifique.
Sur quelles règles du droit peuvent-ils se fonder pour s’opposer à la Résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, dont ils ont plus d’une fois réaffirmé la validité ?
Au nom de quoi les Palestiniens devraient être maintenus à l'écart d'une organisation internationale destinée à promouvoir l’éducation, la science et la culture et qui «s’emploie à créer les conditions d’un dialogue entre les civilisations, les cultures et les peuples, fondé sur le respect de valeurs partagées par tous» ?
Dans le magazine Foreign Policy, la journaliste et chercheur Rami Khouri observe la «confusion américaine et sa baisse de crédibilité dans son incapacité à faire barrage à la reconnaissance d'un État palestinien par l'ONU». Le journaliste du New York TimesSteven Erlanger cite, en ce qui le concerne, une déclaration faite le 23 octobre 2011 par Mme Bokova, la nouvelle directrice générale de l'Unesco, pour qui les États-Unis n'ont pas «intérêt à se désengager du système de l'ONU (...)» l'Unesco est «au cœur des intérêts sécuritaires des États-Unis». Il aurait fallu, pour cela, que toutes les parties œuvrent à faire de l’admission de la Palestine un réel tremplin pour une paix durable au Moyen-Orient, une étape historique pour une reconnaissance mutuelle entre Israéliens, Palestiniens et pays arabes. En un mot, écrire une nouvelle page où la victoire serait fondamentalement celle de la paix, de la justice et de la réconciliation. Ne reconnaître de la Résolution 181 que la partie relative à Israël et ignorer tout ce qui concerne l’Etat palestinien ne peut favoriser un climat de justice et de confiance, ni faire admettre les droits légitimes de toutes les parties et un égal respect des règles et décisions des Nations unies. Vouloir perpétuer l’actuel statu quo, c’est tourner le dos à l’avènement d’un monde en paix. Une paix dont la signification est plus que l’absence de guerre. Une paix qui implique justice et équité pour toutes les parties. Comment faire coexister le discours sur les droits humains, la démocratie avec un acte compris par l’ensemble des peuples et notamment arabes comme l’expression brutale d’un profond mépris. La récente provocation de Newt Gingrich, possible candidat des républicains à la Maison Blanche, exprime un choix de pyromanes qui veulent embraser la région.
Peut-on concilier ce ressentiment et le renforcement du sentiment anti-américain, qui a semblé s’atténuer depuis l’arrivée du président Obama ?
Doit-on comprendre et accepter que pour certains Etats, le droit de la force s’impose à la force du droit ?
Aujourd’hui, la réalité des faits laisse peu de place au discours du Caire et autres professions de foi ! En l’absence d’éthique et de la confiance nécessaire, les extrêmes auront beau jeu de substituer la violence à l’impératif dialogue de paix entre Palestiniens et Israéliens. Il serait étonnant que les réactions américaine et israélienne ne mettent pas en danger, à moyenne échéance, les traités de paix entre Israël, l’Égypte et la Jordanie.
Au moment où l’on était en droit d’attendre un effort exceptionnel de la part de toutes les parties concernées et de leurs partenaires internationaux pour faire triompher le droit, la justice et la paix, l’on risque de déboucher, si l’on n’y prend garde, sur un triste bilan dans l’ensemble du Moyen-Orient qui risque de sombrer dans un véritable cauchemar. L’Unesco est une organisation intergouvernementale. Il est du droit de chaque Etat d’exprimer ses aspirations et ses sensibilités, sans qu’aucun ne prétende avoir la primauté. L’«arme d’intimidation massive» utilisée contre l’Unesco n’est pas acceptable. Elle n’encourage nullement les perspectives de paix, le renforcement de la démocratie, la bonne gouvernance et le progrès dans le monde et encore moins dans la région. Pour toutes ces raisons, il est urgent que les Etats Unis d’Amérique reconsidèrent leur décision.
II-De Luther Evans à Irina Bokova : une difficile cohabitation ?
Le 31 octobre 2011, les États-Unis suspendent immédiatement leur contribution financière à l’Unesco après l’admission de la Palestine comme le 195e membre. C’est la troisième fois, après leurs retraits de 1974 et 1984, que de telles représailles sont utilisées contre cette organisation.
Mahtar Mbow et ensuite Federico Mayor ont su relever le défi avec courage et dignité aidés en cela par une grande majorité des Etats membres et la communauté intellectuelle internationale, notamment américaine.
Aujourd’hui comme hier, toutes celles et tous ceux qui sont fidèles aux valeurs de l’acte constitutif de l’Unesco ont l’obligation morale d’apporter leur soutien à l’Unesco et à sa directrice générale.
En quoi l’arrêt du financement de projets de l’éducation pour tous, du programme mondial d’alphabétisation, de la protection du patrimoine culturel mondial, de l’égalité du genre et du développement durable peut contribuer au processus de paix au Proche- Orient ?
En quoi la poursuite de la colonisation israélienne à Jérusalem-Est et en Cisjordanie peut être considérée comme moins dangereuse pour le processus de paix, qu’une demande d’admission à l’Unesco ?
Comment expliquer que le recours à l’ONU, puis à l’Unesco, par les Palestiniens soit considéré comme des gestes unilatéraux, alors que ces organisations internationales sont l’essence même du multilatéralisme ?
En quoi l’admission de la Palestine à l’Unesco met-elle en danger la sécurité de l’État d’Israël et des États- Unis ?
La regrettable décision américaine, peu compatible avec les principes de la Charte des Nations unies, ne peut que compliquer davantage le problème et retarder la nécessaire solution d’une paix juste et équitable. Comme le souligne l’acte constitutif de l’Unesco, «une paix fondée sur les seuls accords économiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime, durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité». Depuis les années cinquante, pas moins de cinq directeurs généraux de l’Unesco seront confrontés à ce cycle «conflictuel» avec les États.
1- Luther Evans, américain, directeur général de l’Unesco de 1953 à 1958, il sera sommé d’exécuter des injonctions maccarthystes, en renvoyant de l’Unesco sept fonctionnaires internationaux américains, jugés «déloyaux» par les États-Unis. Face aux fortes pressions de son pays, il finira par accéder à cette exigence. Le tribunal administratif de l'Organisation internationale du travail et la Cour internationale de justice jugeront ces renvois abusifs et condamneront l’Unesco. Rien n’y fera, les sept fonctionnaires internationaux ne seront jamais réintégrés.
2- René Maheu, français, directeur général de l’Unesco de 1961 à 1974. Homme exceptionnel, il a marqué fortement et à ce jour l’organisation. Le succès des opérations menées par l’Unesco à cette époque porte la marque personnelle de René Maheu qui a remis en cause, sur le plan scientifique, une division du travail qui faisait des pays industrialisés des producteurs de science et des pays en développement des consommateurs. La décennie de la décolonisation qui couvre globalement la période de 1965-1975 a vu l’adhésion des Etats nouvellement indépendants renforcer la position du groupe des pays du «tiers monde» au sein des Nations unies. René Maheu accorde une attention particulière aux problèmes de la jeunesse. A cet effet, il créera un groupe ad hoc chargé de le conseiller et auquel j’ai eu le privilège d’être désigné comme rapporteur. Le programme jeunesse de l’Unesco connaîtra un réel succès grâce au rôle du directeur de la jeunesse, Pietro Vagliani, dont la compétence et le dévouement sont exemplaires. Le 20 novembre 1974, pour la première fois dans l'histoire des Nations unies, la Résolution 3427 de la 18e Conférence générale de l'Unesco condamne officiellement l'État d'Israël «pour son attitude qui est en contradiction avec les buts de l'organisation tels qu'ils sont énoncés dans son acte constitutif, du fait qu'il persiste à modifier le caractère historique de la ville de Jérusalem et à entreprendre des fouilles qui constituent un danger pour ses monuments, par suite de son occupation illégitime de cette ville». En représailles contre ce vote, les Etats-Unis décident, en novembre 1974, de ne pas verser leur contribution pour l'exercice 1975-1976.
3- Amadou Mahtar M'Bow, sénégalais, directeur général de l'Unesco à deux reprises, de 1974 à 1987. Premier Noir africain à la tête d'une institution internationale de cette importance, il sera confronté au retrait des États-Unis et à une grave crise financière alors qu’il venait juste d’être élu. Il fera face à cette situation avec détermination et courage. Sous sa direction, le rapport de la commission Mac Bride «Voix multiples, un seul monde», présente à la Conférence générale de 1980 des recommandations pour établir un nouvel ordre mondial de l'information et de la communication plus équitable (Nomic). Pour la première fois, le Nomic dispose d’un cadre général, d’un ensemble de propositions et d’une justification détaillée : le droit à la communication. Par delà les rivalités idéologiques Est-Ouest, les implications financières de ce débat sont importantes pour les États-Unis. Elles concernent un marché représentant, à l’époque, quelque soixante milliards de dollars sur lesquels l’influence des Etats-Unis est prépondérante. En 1984, jugeant que les programmes adoptés par les Etats membres vont à l'encontre de leurs intérêts, les Etats- Unis décident de quitter carrément l’Unesco et suspendent jusqu’en 2003 leurs subventions qui représentent 22 % du budget de l'institution. Cette décision sera prise contre l’avis des spécialistes américains des domaines de compétence de l’Unesco, à savoir la commission nationale américaine pour l’Unesco et la National Academy of Sciences. Les Etats-Unis continuent d'exercer leur influence, tout en ayant officiellement quitté l'Unesco. Ils demandent la dissolution du groupe ad hoc jeunesse malgré la présence d’un Américain très actif et apprécié de tous, Thomas Forstenzer. En application des Résolutions des 21e et 22e sessions de la Conférence générale, l’Unesco organisera du 8 au 15 juillet 1985, à Barcelone, le Congres mondial de la jeunesse avec la participation effective de M. Mbow. 270 participants et 341 observateurs provenant de 118 Etats membres, du Saint-Siège, de 98 ONG internationales et régionales et de cinq organisations du système des Nations unies y prendront part. Les participants «déclarent leur attachement au respect effectif des droits de l’Homme et des libertés fondamentales énoncés dans la Déclaration des droits de l’Homme, ainsi que le droit des peuples, notamment le droit à l’autodétermination ». J’ai eu l’honneur d’être élu à la vice-présidence du congrès et de présider la commission «Jeunesse, compréhension et coopération internationale». La leçon à tirer durant cette période est que les déconvenues de M. Mbow à l’Unesco illustrent clairement les difficultés pour un dirigeant africain, d’envergure, à défendre ses positions. Les contraintes de l’ancien directeur général ne sont pas étrangères au mandat de l’Unesco. Sa détermination à faire prévaloir une sensibilité africaine et des pays en développement a fini par dresser contre lui les puissances occidentales et une litanie de critiques parfois à la limite du racisme. Durant cette période, M. Mbow ne recevra aucun soutien formel d’un chef d’Etat africain ou de l’OUA.
4- Federico Mayor, espagnol, directeur général de 1987 à 1999. Pendant près de vingt ans, l'Unesco sera privée du quart de son budget sans empêcher durant cette période les États-Unis, non membre de l'Unesco, de continuer d’exercer une active influence au sein de l’organisation. Lorsque le Conseil exécutif de l'Unesco décide par consensus d'examiner pour la première fois, en 1989, la demande d'admission de la Palestine en tant qu'État membre à part entière, les États-Unis menacent de ne jamais revenir à l'Unesco si l'Organisation de libération de la Palestine devait y être admise. C'est à ce moment que deux lois, votées par le Congrès, imposent d’arrêter le financement de toute agence des Nations unies «qui accepterait l’Autorité palestinienne comme membre à part entière, en l'absence d'accord de paix avec Israël». En 1991, F. Mayor organise les assises de l'Afrique. En 1994, l’Unesco crée, sous son égide, le Programme culture de la paix qui «vise à promouvoir l’éducation à la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, la lutte contre la pauvreté, le dialogue interculturel et la prévention des conflits dans le monde». Défenseur invétéré des droits humains et de la paix, directeur général charismatique apprécié pour son humanisme et sa liberté de ton, Federico Mayor aura droit à une particulière et longue ovation par l’ensemble des fonctionnaires de l’Unesco lors de la célébration du 65e anniversaire de l’organisation en décembre 2010.
5- Kÿichirÿ Matsuura, japonais, directeur général de l’Unesco de novembre 1999 à novembre 2009. «Je verrai toujours le jour où le drapeau américain a été de nouveau hissé à l'Unesco comme le jour où cette organisation a retrouvé sa crédibilité et son influence mondiales», déclare K. Matsuura, en référence au retour des Etats- Unis comme Etat membre de l'organisation en 2003, lors de son premier mandat. Il a entrepris des réformes institutionnelles majeures qui, à ce jour, ne semblent pas avoir répondu pleinement à toutes les attentes. Il convient de saluer le travail réalisé pour sauvegarder le patrimoine culturel de l'humanité, qui s'est traduit par l'adoption de trois instruments normatifs : la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001, la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine et la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelle de 2005. S’agissant de la Convention internationale contre le dopage dans le sport que j’ai eu le privilège d’initier, seul le soutien résolu de M. Matsuura m’a permis de mener à bien ce projet face aux blocages et aux multiples tentatives qui ont cherché à le faire avorter au niveau de son cabinet. Pour nombre d’observateurs, l’Unesco a connu durant ces dernières années une évolution marquée vers une attention plus grande dans la gestion de conflits d’intérêts et des rapports de pouvoir. Le second mandat de M. Matsuura s’est terminé avec des critiques sur la gestion budgétaire et le déficit d’efficacité. La privatisation de certaines activités et la suppression de programmes phares comme le Courrier de l'Unesco ont fait réagir le syndicat du personnel qui s’est élevé dans une lettre contre ce qu’il a estimé être un «démantèlement organisé » de l'Unesco.
6- Mme Irina Bokova, bulgare, est, depuis le 22 septembre 2009, la première femme élue à la tête de l'Unesco après cinq tours de scrutin serré face au très controversé ministre égyptien de la Culture Farouk Hosni. Sa connaissance de l’Unesco est réelle. Ambassadrice de Bulgarie en France et auprès de cette institution depuis 2005, elle est membre du conseil exécutif depuis 2007 et vice-présidente du groupe francophone des ambassadeurs auprès de l'Unesco. Femme dynamique et ouverte, parlant couramment français, anglais, espagnol et russe, Mme Bokova est une personnalité très populaire en Bulgare. N’étant en poste à l’Unesco que depuis deux ans, il est prématuré de faire le bilan de son action. Elle hérite d’une situation controversée et d’une organisation quelque peu ébranlée moralement. C’est dire combien la décision américaine complique la mission de la nouvelle directrice générale dont l’arrivée a suscité beaucoup d’espoirs. Elle est la première femme et la première représentante de l’Europe de l’Est à accéder à cette fonction. Lors de son installation, le 23 octobre, Mme Irina Bokova déclare : «Mon accession à cette haute fonction est un message de confiance pour toutes les femmes du monde. C’est le signal qu’elles doivent avoir accès au savoir et au pouvoir, afin d’apporter leur contribution à la société, et de prendre part à la marche du monde.» Elle entend défendre «la diversité culturelle et le dialogue entre les cultures participent à l’émergence d’un nouvel humanisme où le global et le local se réconcilient, et à travers lequel nous réapprenons à construire le monde. […] Pour moi, l’humanisme est une aspiration à la paix, à la démocratie, à la justice et aux droits de l’Homme. Pour moi, l’humanisme est une aspiration à la tolérance, au savoir et à la diversité des cultures. Il s’enracine dans l’éthique et dans la responsabilité sociale et économique. Il s’incarne dans l’assistance aux plus vulnérables ».
III - États-Unis-Palestine-Unesco, quelle solution ?
«Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppressions, expulsions, et il s’y manifeste une résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. »
Charles de Gaulle, L’Avenir, Editions Le livre de poche, p. 339, n° 3480- 1973. «Israël doit se retirer des territoires occupés en Palestine et en Syrie, cette mesure contribuera à réduire, en grande partie, les dangers auxquels fait face l’Etat hébreu.
La solution à deux Etats, en harmonie avec la politique américaine et les résolutions onusiennes, est la clef de la paix au Moyen- Orient», Jimmy Carter, ancien président des États-Unis, 09-2009 Université James Madison (Washington).
«Si le rôle de facilitateur des Nations unies dans le processus de décolonisation est un des moments de grande fierté de l'histoire de l'organisation, ce chapitre n'est pas encore achevé.» Ban Ki Moon, secrétaire général de l’ONU, 28 février 2008.
A travers ces trois citations d’illustres hommes politiques, il apparaît clairement que la fonction principale des Nations unies demeure la préservation de la paix et de la sécurité internationales.
Les États-Unis ne peuvent ignorer les considérables conséquences financières et politiques qu’entraînerait leur décision si elle venait à perdurer contre l’Unesco, institution multilatérale à nulle autre pareille. La place des États-Unis, au sein de cette organisation, est importante, indispensable et nécessaire. Le peuple américain a toujours apporté une contribution de taille dans l’évolution des relations internationales et l’émancipation des peuples opprimés. Il ne peut se soustraire à sa responsabilité de grande puissance qui doit faire entendre et appliquer les résolutions et recommandations des Nations unies.
Cela a été rappelé, avec raison, par Mme Bokova dans une récente déclaration faite à l'AFP : «Ce n'est pas seulement un problème financier, c'est un problème qui concerne l'universalité de notre organisation ». Pour parvenir à cette «universalité », il appartient d’abord à tous les Etats membres et notamment aux États- Unis de faire prévaloir et de faire respecter un jugement impartial qui reflète l’état actuel du monde. Pour preuve «l’affaire palestinienne» n’est plus aujourd’hui sujette à la diversion, à la manipulation et aux pamphlets de dirigeants arabes autoritaires et rétrogrades. Des dirigeants dont les discours outranciers et un panarabisme sénile servaient non pas à libérer la Palestine mais à renforcer leur despotisme lié à des intérêts géostratégiques et sécuritaires opposés à la volonté d’émancipation de leurs propres peuples et des Palestiniens.
Qui peut croire que le monde d’aujourd’hui est celui d’il y a soixante-cinq ans ?
Dans un univers en proie à de profonds bouleversements, il est temps de mettre fin au dangereux «deux poids deux mesures». Sans compter les risques d’un isolement croissant et la dégradation de leur image, les Américains ne peuvent sous-estimer le coût politique et diplomatique qu’entraîne pour l’ensemble de la communauté internationale leur opposition au fonctionnement légal et démocratique du système des Nations unies.
S’il faut se féliciter de l’appui qu’ils portent au renforcement des pratiques démocratiques, au respect des droits humains et à une bonne gouvernance au niveau de certains pays, l’on ne peut que rester dubitatifs lorsque, par moments, ils sont incapables de s’appliquer à eux-mêmes cette exigence. Le décalage entre le discours et les faits devient insoutenable, particulièrement en cette période. La volonté de vivre ensemble dans la paix suppose, pour le moins, la tolérance, l’observation des normes du droit international et le respect mutuel.
C’est là une mission que remplit admirablement l’Unesco dans les domaines qui la concernent. Faute de soutiens pour renforcer ses programmes, c’est exposer le village planétaire à une impossible solidarité partagée autour d’un socle de valeurs communes. Ce n’est de l’intérêt de personne.
H.- H. O.
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Posté Le : 24/12/2011
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Hamid-Hocine Oussedik
Source : LeSoirdAlgerie.com du samedi 24 décembre 2011