Des favelas d’Amérique Latine aux bidonvilles d’Afrique, des économistes, des politiques et des acteurs sociaux révèlent, dans le documentaire de Philippe Diaz projeté mercredi à Alger, comment les pays développés pillent la planète. Un saccage qui menace ses capacités à soutenir la vie et accroît toujours plus la pauvreté.
«Des gens vivent avec moins d’un dollar par jour. Des familles entières vivent dans une seule pièce dans les installations sordides des bidonvilles, loin des gratte-ciel, sans les moyens à subvenir à leurs besoins.» Dès les premières images, le Franco-Américain, Philippe Diaz, explique ce qu’il veut montrer dans La fin de la pauvreté ?, documentaire de 1h44 mn, projeté mercredi soir à la Cinémathèque d’Alger à la faveur du 1er Festival international du cinéma d’Alger consacré aux films engagés. Le documentaire se veut une réponse argumentée à la thèse de l’économiste libéral américain Jeffrey Sachs, auteur du très controversé The End of Poverty: Economic Possibilities for Our Time (La fin de la pauvreté : les possibilités économiques de notre temps), paru en 2005.
Philippe Diaz fait intervenir des experts, économistes, historiens, militants altermondialistes et responsables politiques. Il s’est déplacé en Bolivie, au Venezuela, au Brésil, au Kenya et en Tanzanie pour réaliser un film qui devait durer 3 heures et demie. L’image de l’enfant qui tend la main à chaque voiture qui passe à Sucre, capitale de la Bolivie, est frappante. «Mon mari est sans emploi depuis cinq ans, maintenant pour survivre il vend les bouteilles d’eau dans la rue. Ma fille est morte à l’âge de 9 mois. Nous avons mendié dans la rue pour pouvoir l’enterrer !», explique une mère brésilienne.
Des agriculteurs du Kenya se plaignent de la dégradation de leurs terres après l’implantation d’une multinationale américaine dans leur région. Des mineurs tanzaniens dénoncent la mainmise occidentale sur les minerais. L’historien belge Eric Toussaint, président du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, estime que tout a commencé en 1492. «A partir de cette année, les Européens interviennent d’une manière brutale dans l’histoire des peuples des Amériques. Cette domination va progressivement s’étendre à l’Asie et à l’Afrique», relève-t-il.
Un fusil dans une main, la Bible dans l’autre, les conquérants espagnols et portugais, suivis des Anglais et des Hollandais, vont mettre la main sur les richesses du continent américain. «Ils pillèrent les trésors des Incas et des Mayas, l’or, l’argent, les objets du culte et d’ornement. Ensuite, ils s’étaient mis à confisquer les terres et à détruire les économies naturelles. Cette pratique débuta en Europe, lorsque la noblesse s’était mise à confisquer les terres communales, privant ainsi les pauvres de leurs moyens de subsistance», appuie le commentateur.
Un historien note que les Anglais avaient pris les terres du Kenya, prétextant l’absence de gouvernement sur place. «Ils avaient dit que les terres appartiennent désormais à la reine d’Angleterre et les avaient données aux colons avec des concessions de 999 ans !», rappelle-t-il. Pratique presque similaire en Amérique du Sud. La confiscation des terres s’est faite aussi par l’imposition de taxes. L’esclavagisme a été perpétué avec le détournement des terres agricoles.
Esclavage
Au Venezuela, des familles entières étaient forcées à travailler dans les champs en raison d’un endettement transmis de génération en génération. Idem au Brésil. «500 ans après, les gens n’ont toujours pas récupéré leurs terres aux mains de grands propriétaires et de multinationales. On estime qu’aujourd’hui 60 à 80 millions de personnes vivant dans des conditions proches de l’esclavage. Ils travaillent avec leurs familles dans les mines, les plantations et en milieu urbain en échange de nourriture», indique le commentateur. Dans les champs de canne à sucre brésiliens, les travailleurs meurent d’épuisement. «Nous sommes obligés de boire de l’eau avec de la rouille et manger chaque jour du maïs», raconte l’un d’eux.
Selon le géographe marxiste américain Michael Watts, le capitalisme a toujours cherché, pour son expansion, une main-d’œuvre gratuite et des coûts de production réduits. Le documentaire montre que le fossé entre pays riches et pays pauvres se creuse depuis 1820. Il atteint presque le 1 pour 50 actuellement ! «Les empires européens ont été construits sur les richesses volées aux colonies. Les mines d’or du Brésil et celle d’argent de Bolivie ont fourni aux Européens le capital nécessaire au démarrage de leurs révolutions industrielles», estime le commentateur. Philippe Diaz s’est intéressé aux mines d’argent de Potosi en Bolivie et aux conditions de travail des mineurs à l’époque, certains ramenés de force d’Afrique.
«L’argent extrait de Potosi pouvait servir à construire un pont entre l’Amérique du Sud et l’Espagne», explique un historien ! Un autre relève que «la triade» (Amérique du Nord-Europe occidentale-Japon) devait dicter, à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, les règles du jeu à la planète, imposer un modèle économique et maintenir les colonies en état de dépendance. Des colonies forcées d’importer les produits alimentaires de «la mère patrie». «Les conséquences de cette pratique existent encore 500 ans plus tard», précise un chercheur.
L’arme de la dette
Une universitaire brésilienne observe que son pays est toujours obligé de cultiver des produits de base pour «les marchés du Nord» au lieu de les garder pour ses propres besoins. Au Brésil, 50 millions de personnes souffrent de la faim. «Et nous sommes toujours obligés d’importer du lait d’Europe et le riz de Thaïlande», proteste un militant de gauche. En Indonésie et en Inde, les Hollandais et les Anglais ont détruit, selon Eric Toussaint, les industries locales de textile et de céramique pour obliger ces pays, après leur assujettissement, à importer les produits manufacturés des métropoles. «Les Hollandais et les Anglais n’ont fait que copier ce qu’ils ont trouvé sur place», précise-t-il.
Pour l’économiste français Serge Latouche, connu pour ses thèses favorables à la décroissance, les famines sont apparues après la destruction des structures artisanales de fabrication de richesses. L’écrivaine Susan George soutient, pour sa part, que les transferts d’argent du Sud vers le Nord sont supérieurs à ceux du Nord vers le Sud. Philippe Diaz a donné la parole à l’économiste américain John Perkins, «un tueur économique» reconverti ! Au début des années 1970, John Perkins, recruté pour un temps pour la National Security Agency (NSA), a été repris par une multinationale pour un travail d’un genre nouveau : convaincre les dirigeants des pays en développement d’accepter des dettes, présenté comme un moyen efficace pour atteindre le progrès. Endettés, les pays devaient facilement tomber dans le piège des «institutions» financières internationales du Nord.
Les présidents équatorien, Jaime Roldos, et panaméen, Omar Torrijos, avaient refusé cette offre. Les deux hommes avaient trouvé curieusement la mort dans des crashs d’avion en 1981. La CIA avait été accusée d’être derrière ces «accidents». Pris de remords, John Perkins, qui est sorti d’une dépression nerveuse, devait écrire, des années plus tard, Les confessions d’un assassin financier, où il révèle comment «la machine de l’asservissement» des Etats pauvres fonctionnait. «Cela arrive à cause du système que nous avons créé. Ce système est un échec total. Moins de 5% de la population mondiale habitent aux USA. Les Américains consomment 25% des ressources mondiales et provoquent 30% de la pollution mondiale», avoue John Perkins dans le documentaire. Pour lui, la destitution de Saddam Hussein en Irak en 2003 fait partie du même plan en ce sens que le maître de Baghdad refusait l’offre d’endettement.
Fayçal Métaoui
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Posté Le : 02/12/2011
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Fayçal Métaoui
Source : El Watan.com du vendredi 2 décembre 2011