Dans un chat sur LeMonde.fr, le correspondant du Monde en Chine, Brice Pedroletti, revient sur les niveaux records de pollution atmosphérique qui ont touché Pékin le week-end du 12 janvier – une pollution contre laquelle la population chinoise se mobilise de plus en plus, et qui a conduit le gouvernement à faire preuve de davantage de transparence.
C-E : Quelles sont les principales causes de la pollution atmosphérique à Pékin?
Brice Pedroletti: Premièrement, on est actuellement en hiver, et de ce fait, les rejets dûs au chauffage sont très élevés en ville. Un autre facteur est l'absence de vent ces dernières semaines. Cela fait en effet trois semaines que, même s'il y a des hauts et des bas, le taux de pollution, et notamment de particules PM 2,5 (les particules fines, dont le diamètre est inférieur à 2,5 micromètres, et qui sont nocives pour la santé), reste globalement très élevé.
Une des principales causes de cette pollution est aussi la circulation automobile. Chaque année, il y a 250.000 nouvelles voitures rien qu'à Pékin – et ce malgré la limitation des nouvelles immatriculations depuis 2011, qui a freiné cette hausse. On estime que la circulation automobile contribue au quart des émissions de particules fines (PM 2,5), et à 58 % des émission de monoxyde d'azote – un autre polluant nocif.
Une partie importante de la pollution de l'air de Pékin vient aussi des provinces limitrophes, puisque la capitale est entourée de la ceinture minière, une sorte de triangle noir composé de beaucoup de mines, d'acieries, de centrales électriques au charbon...
Pat : Comment la population ressent-elle cette crise et comment réagit le gouvernement chinois?
Le samedi 12 janvier, lorsque la mesure des particules PM 2,5 a atteint des taux records de 800 microgrammes/m3 d'air à Pékin (le maximum étant de 993 mg/m3), cela a été un véritable électrochoc. De tels niveaux n'avaient jamais été atteints depuis le début des mesures prises par l'ambassade américaine, en 2008. Les Pékinois sont habitués à des pics à 300 ou 400 mg/m3, mais jamais autant.
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Il y a eu une réaction très forte des gens, qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux. La presse a aussi couvert l'évènement de manière exceptionnelle. A Pékin, c'est la première fois que je vois autant de Chinois porter des masques. Avant, c'était davantage les étrangers qui étaient sensibilisés à cette pollution.
Lorsque cette crise du 12 janvier a lieu, il faut savoir que la transparence de l'information sur les particules fines était très récente, elle ne date que de la fin de l'année 2012. Auparavant, seule l'ambassade américaine communiquait des informations sur les taux de PM 2,5. Mais fin 2011, il y a eu un véritable mouvement de Pékinois, dont des personnalités très connues, des hommes d'affaires, des écrivains, pour demander au gouvernement de mesurer la pollution atmosphérique et d'en informer la population. Les Pékinois ont gagné cette bataille de l'information. En octobre dernier, le gouvernement a commencé à publier officiellement les taux de particules fines, à partir de 35 bornes réparties dans la capitale.
Marianne: Le gouvernement chinois a annoncé des mesures d'urgence pour lutter contre la pollution de l'air. En quoi consistent-elles et sont-elles suffisantes?
Les mesures d'urgence qui ont été annoncées portent sur une diminution du nombre des véhicules gouvernementaux en circulation, et sur des avertissements à la population, pour que les enfants ne sortent pas dehors notamment.
Lire: A Pékin, les mesures d'urgence contre l'airpocalypse "laissent sceptiques"
Mais il y a aussi des mesures à plus long terme, qui ont été mises en application récemment. Un plan de lutte national contre la pollution de l'air a été annoncé en décembre, avec des objectifs chiffrés, par localité, de diminution des PM 2,5 et d'autres polluants. A Pékin, la proportion annuelle moyenne de PM 2,5 doit être réduite d'au moins 15 % d'ici 2015, par rapport au niveau de 2010.
Dans le plan quinquennal chinois qui court jusqu'en 2015, il y a aussi la conversion de l'ensemble des centrales de chauffage urbain du charbon au gaz. Autre mesure: à partir du 1er février, le contrôle de l'émission des véhicules sera beaucoup plus strict. La Chine adopte l'équivalent de la norme européenne Euro 5, avec comme objectif de réduire de 40 % les émissions de monoxyde d'azote.
Antoine: Xi Jinping a-t-il montré une sensibilité pour la cause environmentale en Chine dans le passé?
Lorsqu'il a été choisi premier secrétaire du parti en novembre 2012, Xi Jinping a fait un discours d'investiture qui a marqué, lors duquel il a mis l'accent sur l'importance de l'environnement pour le bien-être des gens, sur l'importance de construire une belle Chine où la nature est préservée.
Mais le dirigeant qui monte au créneau sur l'environnement, c'est le numéro 2 du régime, Li Keqiang, le futur premier ministre. C'est lui qui a entendu les Pékinois lors de la fronde de novembre 2011 pour la transparence de l'information sur la pollution. Le 15 janvier 2012, Li Keqiang s'est de nouveau engagé à combattre la pollution sur le long terme.
Il est d'ailleurs intéressant de voir que les commentaires des internautes chinois sont assez positifs sur ses prises de position. Mais certains d'entre eux font aussi le lieu avec les promesses du premier ministre Wen Jiabao lors des Jeux olympiques en 2008, quand il avait assuré que Pékin resterait toujours aussi propre que pendant les J.O. Or, cela n'a pas été le cas. Le ciel bleu des JO était dû à des mesures exceptionnelles, comme la mise à l'arrêt des entreprises polluantes, ou une circulation alternée qui avait divisé par deux le nombre de voitures.
Estival: La Chine est-elle extrêmement polluée en raison de l'explosion de l'activité économique sans réglementation environnementale, ou bien est-ce une vision déformée par quelques incidents environnementaux sévères mais ponctuels? Le facteur environnemental peut-il être source d'une crise majeure pour la Chine?
L'hypercroissance économique en Chine est en train de produire une crise écologique systémique. Cette crise a été, en effet, jalonnée par des incidents environnementaux critiques depuis plusieurs années, comme la pollution au benzène de la rivière Songjiang en 2005, ou le lac Tai asphyxié par les algues vertes en 2007.
Lire le reportage : La croisade de Wu Lihong pour sauver le lac Tai
Cette crise systémique a entraîné une prise de conscience, à la fois dans la population et par le gouvernement. Mais malgré les mesures prises, c'est toujours la croissance qui prime. Et malgré des discours de plus en plus volontaristes des dirigeants chinois, le malus à la détérioration de l'environnement reste insuffisant.
Toutefois, il est intéressant de constater que les questions environnementales sont celles qui ont conduit aux seules grandes manifestations urbaines en Chine. C'est très significatif, dans un pays où tout rassemblement contestataire est considéré comme suspect et généralement neutralisé.
Il y a eu une première manifestation à Xiamen, au sud de la Chine, en 2007, contre un projet d'usine pétrochimique, puis une à Dalian, dans le Nord-Est, contre un projet du même genre, puis encore une l'an dernier à Ningbo, sur la côte sud-est. Ces mouvements ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, ce sont les premiers à avoir réuni autant de monde depuis le mouvement de Tiananmen en 1989. Des centaines de manifestations locales ont aussi eu lieu dans les campagnes. Enfin, on constate aussi une mobilisation massive sur Internet.
Si ces manifestations ont pu avoir lieu, c'est que les sujets environnementaux sont considérés comme peu menaçants pour le régime : les protestations liées au chômage, au travail, aux fermetures d'entreprises sont beaucoup moins tolérées. Toutefois, ces questions environnementales mènent, du coup, le gouvernement chinois à accepter plus de transparence, de responsabilité sociale et donc, finalement, de démocratie.
* Photo: Ciel brumeux à Pékin, où la pollution de l'air atteint des niveau jamais égalés, le 28 janvier 2013 (Reuters/ PETAR KUJUNDZIC.
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Posté Le : 28/01/2013
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: Reuters/PETAR KUJUNDZIC ; texte: Le Monde.fr ' 28.01.2013
Source : lemonde.fr