Algérie - Idées, débats, opinions, forums de discussion

Planète (Canada/Amérique du Nord) - La forêt Brière, le legs en or d’un homme d’affaires



Planète (Canada/Amérique du Nord) - La forêt Brière, le legs en or d’un homme d’affaires


«L’été, quand il n’y a pas trop de brume, on peut voir le mont Washington», dit fièrement Guy Brière, en pointant l’horizon depuis son domaine vert des Cantons-de-l’Est, qui culmine à près de 550 mètres. Flanqué de ses deux chiens, dont un Terre-Neuve — un poilu de 200 livres, mais doux comme un agneau —, et de Minuit, son chat noir qui règne sur la canopée, Guy Brière en a long à dire sur sa forêt miracle. À quelques kilomètres de la frontière du Vermont, cette oasis de verdure de 542 hectares s’épanouit au sud de la rivière Missisquoi, non loin de Glen Sutton et du canton de Potton.

Et c’est justement pour signifier son attachement à ce pan de territoire — grand comme un peu plus de 1.000 terrains de football — acquis au fil de trois décennies qu’il a consenti à le donner pour le protéger à perpétuité. D’une valeur de 7,4 millions de dollars, ce don privé écologique — et historique — s’inscrit dans le plus gros projet de conservation que l’organisme Corridor appalachien, en collaboration avec Conservation de la nature Canada (CNC), ait eu à gérer au cours des dernières années.

«En fait, ce sont eux, à Corridor appalachien, qui m’ont découvert», a raconté Guy Brière, qui a fait fortune dans le domaine de l’édition avec des livres traduits et vendus aux quatre coins du globe, dont les fameux livres de recettes de Pol Martin, vendus à des millions d’exemplaires dans le monde. «J’étais content qu’ils m’approchent parce qu’on avait pas mal la même vision. Moi, ce que je voulais, c’était protéger la forêt.»

N’empêche que pour financer les recherches qu’il souhaitait mener sur l’impact des changements climatiques sur cette zone forestière, il était sur le point de vendre 70 lots à des promoteurs immobiliers.

«Il n’était pas minuit moins une, mais plutôt minuit et cinq», explique Mélanie Lelièvre, directrice générale de Corridor appalachien, qui lorgnait la forêt depuis 10 ans. «Avant qu’on le contacte, M. Brière était sur le point de lancer son bureau des ventes, son site Internet était fait. D’habitude quand tout est loti et que les chemins sont faits, on n’est pas capable de rien faire. Ç’a pris du culot», admet-elle, un sourire en coin.

- Une forêt aux trésors

Il fait gris en cette fin décembre et un mince couvert neigeux, voire glacé, subsiste dans les sentiers. Mais pour Guy Brière, la promenade, qui fait désormais partie de son quotidien, vaut toujours le détour. «Il ne doit pas y avoir vingt mètres carrés que je n’ai pas foulés», dit ce passionné de chasse et de pêche.

Avec ses cheveux grisonnants et sa dégaine de coureur des bois, le grand colosse de bientôt 79 ans, plutôt réservé et contemplatif, n’était pas chaud à l’idée d’être sous les projecteurs. Mais quand il s’agit de parler de sa passion pour sa forêt, et de convaincre les autres de la protéger, ses mots coulent de source comme un ruisseau au printemps. «Mes parents avaient de grandes terres dans le coin de Rawdon. J’ai passé ma jeunesse dans la forêt, à pêcher la barbotte avec un morceau de bois, à jouer avec les petits animaux, à mettre des collets aux lièvres.»

Plus tard, il développe sa fibre d’homme d’affaires, héritée de son père, commerçant prospère détenant, entre autres, la lingerie Brière. Comme éditeur, Guy Brière parcourt tous les continents. «Pendant 20 à 25 ans de ma vie, je passais 60-65 heures par mois dans un avion. En revenant, tu n’as pas le goût de voir du monde. C’est là que j’ai acheté ma forêt. C’est mon refuge», explique-t-il.

Un refuge dont il n’hésite pas à partager les secrets et les trésors. «Pour voir un lynx, il faut que tu regardes où sont les pistes. Après, tu retournes-là le matin, avant le lever du soleil, et tu vas le voir. Il est craintif, mais il repasse toujours à la même place.»

Véritable joyau de faune et de flore, sa forêt est l’habitat des ours — nombreux, dit-on —, des castors et des renards, jusqu’à l’énorme grand-duc, qui ne ferait qu’une bouchée de Minuit le chat. Dans cette généreuse biodiversité, il y a aussi le triton et la salamandre pourpre — «de toute beauté» — et des sortes de fougères qui n’existent plus dans le reste du Québec. «Et par là-bas, j’ai deux acres d’ail des bois presque mur à mur», dit l’homme, avec un regard pétillant trahissant sa gourmandise.

Intarissable, Guy Brière disserte avec son franc-parler sur la genèse de la régénération de la forêt jusqu’à l’importance de la chasse pour préserver les écosystèmes. Ses exposés passionnés et passionnants comprennent même un cours d’histoire sur l’époque des coureurs des bois qui faisaient le commerce du ginseng sauvage aux XVIIe et XVIIIe siècles jusqu’à celle de la prohibition — les Bronfman et les Kennedy avaient des caches dans le secteur —, en passant par celle de la marine marchande britannique, dont les bateaux ont décimé les forêts des chênes blancs de la région des Bois-Francs. «Aujourd’hui, on est chanceux si on en trouve.»

- Course contre la montre

C’est ce trésor que Guy Brière a voulu protéger à perpétuité en le confiant à Corridor appalachien et ses alliés. L’acquisition à des fins de conservation de ce territoire est stratégique dans la région des Cantons-de-l’Est, où 95 % des terres sont des propriétés privées, puisque cela permet de relier une aire forestière protégée au Vermont avec ces zones déjà conservées du côté québécois. «Avec ce projet, on vient se doter d’une police d’assurance pour l’adaptation de nos écosystèmes aux changements climatiques», a soutenu Mélanie Lelièvre. «Et de travailler à la consolidation du grand réseau d’aires protégées, c’est notamment de s’assurer que les espèces fauniques puissent se déplacer sur le territoire.»

Bien que le projet soit sur la bonne voie, il est encore trop tôt pour se réjouir pleinement, estime-t-elle. «On a le vertige. C’est une énorme responsabilité qu’on se met sur les épaules. En conservation, le travail commence le jour où tout est signé.» Sur les 16,4 millions nécessaires à la réalisation du projet, qui comprend des fonds publics, la majeure partie doit venir du privé. Dans cette course contre la montre, Guy Brière a fait sa part pour 7,4 millions, mais d’ici la fin de l’hiver, il reste encore 400 000 $ à amasser sur 1,3 million en dons privés. Tous les dons, petits ou grands, sont bienvenus, soutient-elle.

«C’est les Fêtes et on donne de l’argent à toutes sortes de causes. Pourquoi pas pour la cause de la survie de l’humanité?» a déclaré Guy Brière, qui développe ses propres activités de recherche sur le site, notamment sur les maladies transmissibles par les tiques, et un volet découverte, pour faire connaître sa forêt aux écoliers et autres curieux.

Les dons écologiques ne sont qu’un infime pourcentage de la philanthropie, constate Mme Lelièvre. «Les grandes fondations sont surtout en santé et en éducation, à la lutte contre la pauvreté. Ce sont toutes de bonnes causes, mais il reste qu’on est le parent pauvre, alors que la maison brûle.»

Guy Brière l’a compris. Et il aimerait que d’autres propriétaires terriens lui emboîtent le pas. «Ce que je veux dire c’est que même si t’as 5 acres, 20 acres, tu peux en faire don pour la protéger. Ça fait pas mal. C’est gratifiant», assure-t-il. «Moi, ça me donne vraiment un thrill de savoir que ma forêt va être là pour l’éternité», a-t-il ajouté. Comme si donner l’avait rendu encore plus riche.





Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Guy Brière au milieu de la forêt dont il était propriétaire dans Brome-Missisquoi, avant d’en faire don à un organisme de protection

Lisa-Marie Gervais




Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)