Près de 30 ans après avoir reçu le statut d’espèce vulnérable, l’ail des bois (Allium tricoccum) fait toujours l’objet de restrictions sévères quant à sa cueillette et à sa vente au Québec. Des amateurs se sont toutefois donné pour mission de favoriser sa propagation en faisant des distributions gratuites de semences dans l’espoir d’assurer un meilleur avenir à cette plante sauvage un peu trop convoitée.
Plante de la famille des amaryllidacées, l’ail des bois a été la cible d’une cueillette intensive qui a conduit le gouvernement du Québec à en interdire le commerce en 1995. C’est que cette plante pousse lentement. Elle peut mettre de sept à dix ans avant d’atteindre la maturité. Présente dans le sud du Québec, elle a besoin de conditions particulières. Elle se plaît dans les forêts de feuillus, les érablières, en particulier, avec un sol humide, mais bien drainé, et riche en matière organique. L’ail des bois émerge dès la fonte des neiges, mais perd son feuillage quand l’été s’installe. Après sa floraison, il faudra attendre à l’automne pour récolter les semences.
Depuis 1995, il est donc interdit au Québec de cueillir plus de 50 bulbes par année par personne (ou 200 grammes de la plante), et toute vente, qu’il s’agisse du bulbe, des feuilles ou des semences, est interdite.
En Ontario, la cueillette et le commerce de l’ail des bois ne sont pas soumis aux mêmes contraintes, mais plusieurs voix s’élèvent pour plaider en faveur d’une cueillette responsable.
L’ail des bois est cher au cœur de bien des Québécois, constate Sami Beauséjour, fondateur du groupe Facebook «Ail des bois du Québec», qui compte plus de 46.000 membres. «Peut-être parce que c’est la première plante qui sort du sol après un hiver si long. Et aussi le fait que ce soit délicieux et qu’il pousse souvent dans les érablières», indique-t-il.
Chef cuisinier, M. Beauséjour décrit en ces mots le goût de l’ail des bois: «C’est entre l’échalote de Sainte-Anne et l’ail conventionnel. C’est assez doux, mais juste assez fort pour pouvoir le cuisiner. Il a un goût qui, selon moi, est parfait.» Une façon responsable de récolter l’ail des bois est de prélever une feuille sur deux, plutôt que de déterrer le bulbe, dit-il. «C’est vraiment la meilleure partie de la plante», assure-t-il.
Sami Beauséjour s’intéresse à l’ail des bois depuis longtemps, car l’érablière appartenant à sa famille comptait autrefois une belle talle… jusqu’à ce que celle-ci soit décimée par un cueilleur intempestif. Depuis, il a entrepris d’en replanter. C’est pour contribuer à protéger l’espèce qu’il y a trois ans, il a créé son groupe Facebook afin que ceux qui ont des colonies sur leur terrain puissent distribuer des semences aux autres membres du groupe. La distribution, qui a été lancée en octobre, a cependant été perturbée par la grève des Postes.
- Signes encourageants
Les efforts pour protéger l’ail des bois ont-ils donné des résultats? Au ministère de l’Environnement du Québec, on demeure prudent. «Au moment de sa désignation en 1995, on estimait le nombre d’occurrences à 70. Actuellement, plus de 500 occurrences d’ail des bois sont documentées au Centre de données sur le patrimoine naturel, reflétant une amélioration notable des connaissances sur cette espèce», indique le ministère dans un courriel au Devoir.
La majorité des sites recensés se trouve en Estrie et en Montérégie et, dans certains cas, les colonies compteraient plus d’un million de plants, ajoute le ministère. Celui-ci considère toutefois que malgré les mesures de protection en place depuis 1995, plusieurs menaces demeurent, comme le braconnage et le développement urbain et agricole.
Depuis 2011, plus de 322.000 bulbes d’ail des bois ont été saisis par des agents de la faune, principalement en Outaouais ainsi que dans les régions de Chaudière-Appalaches et de la Montérégie. Et depuis 2022, les amendes sont plus salées à l’endroit des contrevenants. Les sanctions administratives peuvent varier de 2.000 $ à 10.000 $. Dans les cas les plus graves, des amendes pénales allant de 10.000 à 1 million de dollars peuvent être imposées à une personne physique, et jusqu’à 6 millions pour une personne morale.
- L’ail cultivé
La sévère réglementation québécoise a permis de freiner le déclin de l’ail des bois, mais des experts et des amateurs croient qu’il serait justifié d’autoriser la commercialisation des plants cultivés — et non ceux récoltés en forêt —, de manière à réduire la pression sur les colonies naturelles.
François Laliberté sème de l’ail des bois depuis qu’il est adolescent. Au fil du temps, il s’est familiarisé avec les conditions idéales de culture de cette plante. Sur son terrain, l’ail des bois couvre maintenant une superficie de 400 m2, avec au moins 250.000 plants. Avec le bon environnement, le taux de survie et de croissance jusqu’à maturité grimpe, dit-il. «Quand on laisse des semences dans le bois, elles sont déjà au milieu de colonies matures et n’ont pas vraiment d’espace pour croître. Il y a de 1 % à 3 % des plants qui vont se rendre à maturité, alors que quand on les sème dans des endroits où ils ont de l’espace pour se propager, on arrive à un taux de 80 % de plants qui peuvent se rendre à maturité», explique-t-il.
Le comité en faveur de la commercialisation de l’ail des bois cultivé dont il est membre a écrit au ministère de l’Environnement afin qu’il autorise le commerce tout en appliquant des règles strictes afin de s’assurer de la provenance des bulbes. «On veut redonner aux gens le goût de découvrir du terroir, mais, en même temps, il faut qu’il y ait une disponibilité», fait valoir M. Laliberté.
Mais le comité n’a pas encore réussi à convaincre les fonctionnaires. «Globalement, il y a un risque que le commerce accroisse la popularité de l’espèce, augmentant conséquemment la pression de récolte dans les populations sauvages», souligne le ministère de l’Environnement. «Les personnes qui connaissent l’emplacement de populations sauvages pourraient être tentées de s’approvisionner gratuitement en nature plutôt que d’en faire l’achat dans un commerce.»
Le ministère ajoute qu’aucune étude n’a été réalisée sur les conséquences de la commercialisation sur la conservation de l’ail des bois au Québec, «ce qui constitue une préoccupation importante avant d’engager une réflexion plus approfondie».
- Déclin aux États-Unis
Aux États-Unis, où les colonies sont relativement abondantes, il existe des festivals autour du thème de l’ail des bois, notamment en Virginie-Occidentale et au Tennessee, signale Daniel Kneeshaw, codirecteur du Centre d’étude de la forêt de l’UQAM. Il possède même un ouvrage américain datant des années 1990 décrivant cette plante comme une «mauvaise herbe». «Mais même aux États-Unis, où les colonies sont énormes, leur ampleur a diminué pas mal dans les dernières décennies», relate-t-il.
Selon lui, d’autres espèces sont encore plus menacées au Québec que l’ail des bois, dont le ginseng à cinq folioles, car non seulement sa croissance est lente, mais son goût est apprécié par les cerfs de Virginie, contrairement à l’ail des bois.
Une version précédente de ce texte indiquait que l’ail des bois couvrait une superficie de 400 000 m2 sur le terrain de François Laliberté. La superficie exacte est plutôt de 400 m2.
Photo: Sami Beauséjour Plante de la famille des amaryllidacées, l’ail des bois a été la cible d’une cueillette intensive qui a conduit le gouvernement du Québec à en interdire le commerce en 1995.
Jeanne Corriveau
Posté Le : 23/01/2025
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Jeanne Corriveau - Publié et mis à jour le 18 janvier 2025
Source : https://www.ledevoir.com/