Alan Stuart, un pasteur australien de 97 ans, a rejoint le reste de sa famille dans la lutte contre l’industrie du charbon. Au point de se faire arrêter lors d’une action de désobéissance civile.
. Newcastle (Australie), reportage
Alan Stuart n’a rien d’un fauteur de troubles. Le vieil homme laisse plutôt transparaître une vie bien ordonnée, droite, sans le moindre écart. Dans la maisonnette où il nous accueille avec sa petite-fille Alexa à Newcastle, deux heures de route au nord de Sydney, les cadres sont alignés, la cuisine propre. Le bureau est rangé et les dossiers parfaitement classés sur des étagères qui racontent près d’un siècle traversé par l’Australien.
Pasteur, artiste, ex-ingénieur civil… Alan Stuart semble avoir connu mille vies. Depuis le fauteuil en cuir marron de son salon, il les conte dans le détail, presque sans hésiter sur les dates, jusqu’à sa plus récente aventure: son arrestation par la police le 27 novembre 2023. Aux côtés d’une centaine d’autres personnes, il a été interpellé lors d’une manifestation écologiste dans le port de Newcastle. Pendant trente heures, à bord de kayaks, de barques et de planches de surf, des centaines de militants se sont relayés pour occuper le chenal du plus grand port d’exportation de charbon du monde, empêchant le passage de plusieurs vraquiers.
- Chez les Stuart, on proteste en famille
Difficile d’imaginer ce petit homme chétif, aux cheveux blancs soigneusement coiffés, dont la chemise et les lunettes semblent presque trop grandes, s’engager dans une telle action. Alan Stuart avait conscience du risque d’interpellation, il n’a pourtant pas hésité une seconde à embarquer. Il n’en était en effet pas à sa première action: il avait déjà participé à quelques événements School Strike 4 Climate.
. Alan Stuart est monté dans une barque aux couleurs d’Extinction Rebellion pour participer au blocage du port de Newcastle (Australie). © Rising Tide (Photo à voir sur site ci-dessous))
«S’il s’agissait de quelque chose de vraiment méchant ou vilain, j’aurais été plus inquiet, sourit-il, ses petits yeux bleus laissant deviner une once de malice. Mais puisqu’il s’agissait seulement d’être dans un bateau et de protester contre ce que fait le gouvernement, alors j’étais tout à fait heureux de prendre part à cette action.» «À sa sortie du bateau, les gens l’ont applaudi, raconte Christopher, l’un des fils d’Alan, présent avec lui sur l’embarcation. Il n’a pas entendu, mais quand on lui a dit, ça l’a surpris!»
À 97 ans, celui qui continue de prêcher chaque mois pour l’Église unifiée d’Australie est sans aucun doute le plus vieux militant écologiste jamais arrêté par les forces de l’ordre dans le pays. Un hasard selon l’intéressé, une forme de fierté pour ses proches.
. Des centaines de personnes ont bloqué le plus grand port à charbon du monde à Newcastle (Australie) en novembre 2023. © Rising Tide (Voir photo sur site ci-dessous)
Si Alan Stuart s’est retrouvé à bord d’une petite embarcation ornée de drapeaux et de stickers du collectif Extinction Rebellion, «le temps d’un agréable après-midi», c’est, en effet, grâce à sa famille. Chez les Stuart, toutes les générations militent contre l’inaction climatique. Les 26 et 27 novembre, les deux fils d’Alan, Graeme et Christopher, son frère George (88 ans) et ses petites filles étaient présents. Avant le grand-père, plusieurs membres de la famille Stuart ont déjà été arrêtés lors d’actions de désobéissance civile. «J’ai toujours soutenu leur militantisme. Mais j’ai toujours été inquiet qu’ils ou elles puissent être condamnées», ajoute le vieil homme.
Les petites filles d’Alan, Alexa (20 ans) et Jasmine (22 ans), sont des visages bien connus des luttes écolos autour de Newcastle. L’aînée avait participé, en avril 2023, au blocage d’un convoi ferroviaire transportant du charbon jusqu’au port. Elle avait alors été arrêtée avec une cinquantaine d’autres personnes, dont son père, Graeme.
Alexa, elle, est membre du collectif local Rising Tide, à l’origine des actions de désobéissance civile autour de Newcastle. Elle était l’une des organisatrices du blocage du port en novembre.
«Je ne veux pas que mes petits-enfants vivent dans un monde qui n’est pas aussi sûr que celui dans lequel j’ai évolué»
Outre le bleu qui illumine leurs yeux, Alexa et Alan partagent une complicité évidente et une admiration réciproque. «J’ai découvert les actions de Rising Tide grâce à cette jeune femme ici présente», raconte le grand-père, posant sa main tremblotante sur le poignet de sa petite-fille, assise sur le rebord du fauteuil. Présente pour pousser nos questions au creux de l’oreille de son grand-père lorsqu’elles ne parviennent pas à se frayer un chemin à travers son appareil auditif, elle esquisse un sourire.
. C’est sa petite-fille Alexa, avec qui l’admiration est réciproque, qui a sensibilisé Alan Stuart aux luttes écolos. © Mattia Panunzio / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
«Je suis fière et ça me donne de l’espoir, explique-t-elle. C’est ma génération qui va devoir supporter cette crise, alors voir mon grand-père soutenir nos appels pour un droit de vivre sur une planète en bonne santé, c’est beau.»
C’est l’amour d’Alan pour ses petits-enfants qui l’a motivé à réclamer plus d’action du gouvernement australien contre le changement climatique. «J’ai deux petites-filles et de nombreux neveux et nièces. Je ne veux pas qu’ils vivent dans un monde qui n’est pas aussi sûr et bénéfique que celui dans lequel j’ai pu évoluer. Je ne veux pas que la vie leur soit pénible.» Il est aussi sensible à l’écoanxiété éprouvée par ses deux petites-filles. «Je peux comprendre qu’elles soient anxieuses quand on voit qu’il y a bien plus de feux de forêts aujourd’hui, que les inondations sont plus fréquentes...»
«Je recommencerai, si ça peut aider»
Le nonagénaire ne sera pas jugé après son arrestation du 27 novembre. Aucune charge n’a été retenue contre lui, à l’inverse de 99 autres militants. En janvier, ils ont comparu devant le tribunal local de Newcastle, accusés du «blocage déraisonnable du chenal», précise Alexa Stuart.
Pour la plupart, les charges ont été totalement abandonnées. Le juge local a reconnu des «personnes intelligentes [...] qui apportent une contribution réelle à la société». Seules deux personnes, jugées dès novembre, ont écopé d’amendes de 650 et 600 dollars australiens (395 et 365 euros), en raison de leur casier judiciaire.
. Infatigable, Alan Stuart se voit bien participer à de futures actions avec sa famille. © Mattia Panunzio / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Malgré des semaines déjà bien occupées — il marche 6 kilomètres à pied chaque jour, se rend à des cours d’art chaque lundi et rend fréquemment visite aux personnes âgées d’une maison de retraite du coin — Alan Stuart ne ferme pas la porte à de futures manifestations. «Je recommencerai, si ça peut aider...»
«Militant écologiste, je ne sais pas si on peut dire ça à mon âge…»
Car après le succès du week-end de mobilisation de novembre, largement évoqué dans la presse internationale, le groupe Rising Tide ne compte pas s’arrêter de sitôt. «On veut construire un vrai mouvement de résistance civile, pour mettre fin aux exportations de charbon depuis le port de Newcastle d’ici 2030», affirme Alexa Stuart.
Si le grand-père affirme qu’il serait «heureux» d’accompagner ses enfants et petits-enfants pour prendre part à de prochaines actions, il hésite encore à étiqueter son nouvel engagement. «Militant écologiste, je ne sais pas si on peut dire ça à mon âge…», s’amuse-t-il, cherchant la confirmation du regard auprès de sa petite-fille.
Pourtant à 97 ans, Alan Stuart continue d’écrire les pages de sa riche histoire dans un nouveau rôle, guidé par une ligne directrice qu’il a suivi toute sa vie. Cet engagement, «c’est une suite assez naturelle pour lui», reprend son fils, Christopher. «Se poser des questions, puis agir guidé par son attention et sa compassion, c’est quelque chose qu’il a toujours fait.» À l’église comme en famille.
Photo: Alan Stuart a participé au blocage du plus gros port à charbon du monde à bord de kayaks. - © Mattia Panunzio / Reporterre
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Par Léo Roussel
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Posté Le : 09/02/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Léo Roussel et Mattia Panunzio (photographies) 8 février 2024
Source : https://reporterre.net/