La disparition des abeilles serait une catastrophe pour l’agriculture et par extension pour l’humanité. En Amérique du Sud, on mise sur le caractère inoffensif des abeilles natives sans dard pour protéger et multiplier les populations de butineuses.
- São Paulo, Reportage
On imagine difficilement en Europe avoir une ruche dans son jardin, sans avoir de connaissances en apiculture et un équipement adéquat. Encore moins quand on habite avec des enfants ou des personnes vulnérables aux piqures d’abeilles. A São Paulo, Gerson Pinheiro, lui, possède une trentaine de ruches dans son arrière-cour et s’en approche sans protection.
Préserver les butineuses
Aucun danger à craindre: les abeilles qu’il élève ne piquent pas. La vingtaine d’espèces qui tourbillonne autour de lui sont toutes natives du Brésil et appartiennent à la famille des meliponidae. Ces abeilles n’existent pas en Europe, car elles ne supportent que les climats tropicaux. Méconnues, même dans les pays où elles sont présentes, ces insatiables travailleuses ont, comme leurs cousines avec dard, un rôle primordial dans la nature : la pollinisation.
«C’est ma fille qui, il y a cinq ans, m’a parlé de ces abeilles après une sortie en forêt avec sa classe», raconte Gerson. Depuis, cet agent administratif à la retraite qui vit dans une petite maison d’un quartier résidentiel, s’est piqué d’une passion dévorante pour ses petits bêtes. «Leur habitat naturel est détruit par la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation. De plus les gens tuent les nids quand ils en ont chez eux, par peur et ignorance!» Avec des amis, il a donc créé le collectif «SOS abeilles sans dard», dont la mission est d’organiser des «sauvetages» de nids, de former des futurs «gardiens» et de divulguer au grand public l’intérêt et les avantages de préserver les mélipones.
Rien qu’au Brésil, il existe près de trois-cents variétés différentes. «Cela correspond aussi à la diversité végétale que nous avons ici!» explique Gerson. «Certaines plantes ne peuvent être pollinisées que par une espèce d’insectes.» C’est le cas du maracujá, une variété de fruits de la passion, très consommée en Amérique du Sud. Rien de tel donc pour préserver la flore que d’avoir des butineuses à proximité!
Une pratique ancestrale et accessible
Dans le jardin de Gerson, c’est Marcus un membre de l’association qui fait les présentations. L’espèce la plus répandue en ville est l’abeille jatai. Elle s’accommode très bien des boîtes aux lettres et des compteurs électriques. La mandaçaia niche dans les gros arbres de la forêt atlantique du littoral brésilien. Chacune des espèces a une organisation et un type de ruche différent. Certaines ne sont pas plus grosses que des moucherons. Il y en a des noirs, des brunes, à rayures ou monochromes.
Leur miel aussi est différent. Certaines en produisent en très petite quantité. A l’aide d’une grosse seringue, Gerson en prélève dans une ruche et explique: «C’est un miel assez liquide qui peut atteindre jusqu’à 30 % d’eau. C’est d’ailleurs pour cela qu’on ne peut pas le commercialiser. Il est considéré comme un sous-produit de miel. Il se conserve assez mal. Paradoxalement, le Brésil est l’un des plus gros producteurs de miel, mais les élevages industriels ne sont pas faits avec des abeilles natives, mais des abeilles européennes.»
La méniponiculture, pratiquée depuis des siècles par les Amérindiens et notamment les Mayas, est accessible à tous. C’est grâce à sa facilité que Gerson, Marcus et leurs amis peuvent «polliniser cette idée», comme le dit le slogan des t-shirts qu’ils revêtent pour animer leurs ateliers. Toute personne qui souhaite avoir une ruche chez elle doit d’abord suivre une courte formation pour apprendre les bonnes pratiques avant de recevoir sa petite ruche en bois et sa colonie ouvrière. Il a une liste d’attente car l’équipe doit attendre d’avoir un nouvel essaim issu d’un «sauvetage» ou d’une démultiplication d’un groupe déjà domestiqué.
Intérêt écologique, éducatif et ludique
La motivation des «gardiens», comme ils se surnomment, est de préserver la biodiversité en offrant protection et habitat à ces êtres indispensables à l’écosystème végétal. «SOS abeilles sans dard» privilégie cependant les demandes qui viennent d’organismes qui peuvent les aider à faire connaître au plus grand nombre leur combat, comme les centres de loisirs ou les jardins communautaires.
Marcus doit d’ailleurs se rendre dans l’un des jardins partagés d’un quartier central de São Paulo. Il y a quelques semaines, il a fait don d’une ruche à ces habitants et vient prendre des nouvelles. «Pour les transporter, on attend la nuit une fois qu’elles sont toutes rentrées et on bouche le conduit d’accès. Après le transport, on attend un peu qu’elles aient repris leurs marques avant de les libérer. Une abeille qui ne retrouve pas sa ruche est condamnée à une mort certaine», explique-t-il.
En ce samedi matin ensoleillé, un petit groupe s’active à jardiner avec entrain. Il y a deux ans et demi, l’endroit n’était qu’un terrain vague coincé entre de hauts immeubles et une école. Aujourd’hui des dizaines de variétés de fleurs et de légumes s’y épanouissent. Sergio, un habitant du quartier nous désigne les deux ruches que la communauté a adoptées. Il est persuadé que les abeilles sont les membres qui ont le plus activement contribué à la prospérité de ce carré de verdure.
L’intérêt écologique, éducatif et ludique de la méliponiculture séduit de plus en plus les urbains, comme le constate l’association de São Paulo qui livre près de trois nouvelles ruches par mois, contribuant ainsi à maintenir, voire à accroitre la population d’abeilles. La prise de conscience à une plus grande échelle reste cependant encore lente. Le travail de conscientisation de l’association ne fait donc que commencer.
Lire aussi : En ce printemps, les abeilles de France sont au plus mal
Source : Mathilde Dorcadie pour Reporterre
Photos : © Mathilde Dorcadie/Reporterre (Voir les autre photos de l'article sur le site de reporterre.net)
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Posté Le : 22/01/2016
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Photographié par : Photo: © Mathilde Dorcadie/Reporterre ; texte: Mathilde Dorcadie pour Reporterre du 28 sept 2015
Source : reporterre.net