Les vautours font partie intégrante de la société indienne en tant que charognards, dans un pays où des millions de vaches vivent sans être mangées par l'homme. Mais la mort en masse des vautours dans les années 90 a engendré une crise sanitaire majeure et une surmortalité qui a duré plusieurs années.
Les vautours sont l'une des espèces de charognards les plus connues. Mais si cet aspect de l'oiseau est repoussant pour une partie du public, le vautour joue justement un rôle primordial dans l'écosystème en tant que grand mangeur de carcasses, véritable nid de maladies.
C'est ce qu'a découvert l'Inde quand le vautour a quasiment disparu du pays, une situation qui selon The Economist a engendré une crise sanitaire aux lourdes conséquences.
- Un écosystème perturbé par un médicament, le diclofénac
En Inde, les vaches sont des animaux sacrés qui ne sont pas consommés; lorsque l'un des quelque 300 millions de bovins indiens meurt, son cadavre est donc susceptible de pourrir sans intervention humaine. C'est là que les vautours entrent en scène: la principale nourriture de ces derniers est composée des restes de ces bêtes, et leur système digestif hors pair dissout les germes présents dans les cadavres.
Neuf espèces de vautours ont donc prospéré en harmonie avec l'homme pendant des ères entières. Ce modèle s'est cependant effondré dans les années 90 suite à la quasi-extinction de la population de vautours: les 40 millions de ces oiseaux en Inde n'étaient plus qu'environ 20.000, plus de 99 % de ces individus étant décédés dans la période.
Comment un tel effondrement a-t-il pu avoir lieu en aussi peu de temps? La raison se trouve dans un médicament classique, le diclofénac. Une étude de l'équipe du Fonds Peregrine, qui protège les espèces d'oiseaux menacées, a en effet constaté en 2004 que ce médicament anti-inflammatoire massivement utilisé en Inde à partir des années 1990 est mortel pour les vautours.
Un oiseau pouvait ainsi mourir simplement en mangeant la carcasse d'une vache récemment traitée par le médicament. Selon une autre enquête de 2004, la présence de diclofénac dans 1 % des carcasses suffirait à tuer a minima 60 % de la population de vautours; cette même équipe de chercheurs constate dans le même temps que 11 % des restes de vaches présentent des quantités de diclofénac en quantité suffisante.
- Des maladies transmises dans l'eau
Au-delà d'être un drame pour les vautours, cette disparition quasiment complète du charognard cause alors de sérieux problèmes aux habitants indiens. Sans vautour, d'autres animaux se partagent alors les carcasses, tels que les dizaines de millions de chiens errants ou les rats, porteurs de maladies comme la rage.
La maladie tue entre 18 et 20.000 personnes en Inde selon l'OMS, soit plus d'un tiers des décès au niveau mondial, et est véhiculée par les chiens errants qui ont multiplié leurs incursions dans les zones peuplées pour se repaître sur les cadavres de vaches.
Mais ces animaux sont par ailleurs moins efficaces que les vautours capables de nettoyer complètement une carcasse de bœuf. Et c'est ainsi que les restes pourrissants de vaches finirent par transmettre leurs agents pathogènes aux sources d'eau potable environnantes.
Selon une étude d'Eyal Frank de l'université de Chicago et d'Anant Sudarshan de l'université de Warwick, qui ont étudié l'évolution des taux de mortalité dans les districts comprenant le plus de vautours, on constate des pics de mortalité en même temps que l'évolution de vente du diclofénac.
Les districts avec des populations urbaines et beaucoup de bétail sont les plus touchés par ce phénomène. Partant de cette observation, les chercheurs ont déterminé qu'entre 2000 et 2005, 500.000 morts sont imputables à la disparition des vautours: une hausse de 4 % de la mortalité dans les zones peuplées par les charognards.
- La difficile réintroduction des vautours
Mais qu'en est-il des populations de vautour aujourd'hui? Le diclofénac a été banni dès 2006 en Inde ainsi que d'autres pays de la région, tandis que des médicaments similaires mais inoffensifs ont été rapidement développés. Mais 23 de 44 cadavres de vautours étudiés entre 2011 et 2014 comprenaient encore des traces de diclofénac, malgré l'interdiction.
Des programmes de reproduction en captivité de l'espèce ont également été lancés en urgence au cours de la crise. Une tâche complexe au vu du faible nombre de vautours et de leur fertilité: une femelle ne pond qu'un œuf par an et un vautour ne peut se reproduire qu'à partir de ses cinq ans. 700 vautours sont répartis entre différents centres en 2021 selon le Guardian, avec une réintroduction progressive dans la nature. Mais il faudra patienter des décennies pour espérer un retour à grande échelle des vautours sur le continent.
Photo: Un vautour dans la région du Rajasthan, en Inde. © Getty Images
BENJAMIN LAURENT
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Posté Le : 25/08/2023
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : BENJAMIN LAURENT - Publié le 24/08/2023
Source : https://www.geo.fr/