Dans le sud du Brésil, la ville de Curitiba a pris très tôt un virage écolo. De ses emblématiques autobus mis en place dans les années 1970 aux jardins partagés d’aujourd’hui, elle inspire les métropoles qui veulent se verdir.
Curitiba (Brésil), reportage
Ce sont les stars de Curitiba. Au milieu des principales artères de la ville, des bus à double accordéon avalent l’asphalte sans s’embarrasser du trafic automobile, grâce à des voies dédiées. À 8 h du matin, une grappe de personnes s’engouffre dans un tube, station dans laquelle se situent des bornes, un tourniquet et un employé. Celui-ci veille aux allées et venues et assure la vente de tickets aux rares passagers qui ne disposent pas d’une carte d’abonnement.
Ce système, baptisé BRT, pour Bus Rapid Transit, a été mis en place en 1974 à Curitiba, huitième ville la plus peuplée du Brésil, située à 500 km au sud de Sao Paulo. Bien moins onéreux à réaliser qu’un réseau de métro, il a fait de la ville brésilienne un exemple à travers le monde: 250 autres métropoles lui ont embrayé le pas, de Séoul à Los Angeles.
À Curitiba, le BRT transporte aujourd’hui plus de 600.000 personnes par jour, sur près de 2 millions d’habitants. L’urbanisme de la ville s’y est adapté : des zones d’habitats denses le long des lignes de BRT, des zones plus pavillonnaires en dehors.
. Bien moins coûteux à mettre en place qu’un métro, ces grands bus ont remporté un succès immédiat, qui n’a guère faibli depuis des décennies. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Photo à voir sur site)
Le BRT n’est que la partie immergée d’une panoplie d’innovations et d’actions écologiques menées depuis les années 1970 à Curitiba, capitale de l’État de Parana. Faisant de la ville un ovni au Brésil, pays où l’écologie est loin d’être l’une des préoccupations principales: certes la déforestation ralentit un peu mais le plastique est omniprésent dans cette économie qui repose sur les énergies fossiles. Le Brésil est le plus important producteur de pétrole d’Amérique du Sud et le neuvième au monde.
- Un ovni au Brésil
Curitiba est aussi la première ville du pays à avoir mis en place le tri sélectif des déchets au début des années 1990. Aujourd’hui, le taux de recyclage y est de 22 %, contre 4 % à l’échelle nationale, selon l’Abrelpe, l’association nationale regroupant les entreprises de nettoyage public et de gestion des déchets. De quoi inspirer le reste du Brésil, alors qu’un plan national de réduction des déchets solides instauré en 2022 vise à faire passer à 14 % la part des déchets recyclés à l’échelle nationale en 2024 et à 50 % d’ici 2040.
Avec 69 m² d’espaces verts par habitant, la capitale du Parana offre également cinq fois plus que le niveau minimum recommandé par l’Organisation mondiale de la santé, grâce à ses cinquante parcs et à ses 800 squares. Et des arbres continuent de pousser partout: au cours des cinq dernières années, la mairie revendique en avoir planté 450.000.
. Des grands bacs comme celui-ci permettent des avancées notables sur le tri des déchets. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
À l’origine de cette politique revient le nom de Jaime Lerner, maire à trois reprises entre 1971 et 1992. D’abord nommé au cours de la dictature militaire avant d’être élu démocratiquement, l’ancien édile a eu la clairvoyance de s’inspirer de plans d’urbanisme déjà élaborés pour la ville, dotée d’un institut très actif sur le sujet.
- «L’urbanisme est devenu plus populaire que le football»
Grâce à lui, «l’urbanisme est devenu plus populaire que le football ou la religion à Curitiba», lance Mathieu Bertrand Struck, avocat et activiste au sein du mouvement A Causa mais Bonita da Cidade, réclamant l’ouverture d’un nouveau parc public.
Le tout, sans occulter une vision sociale. Pour encourager le recyclage, la ville a lancé en 1989 une «bourse verte», qui permet d’obtenir un kilo de légumes contre quatre kilos de déchets recyclables. Curitiba propose également dans son programme Almazen da Familia des denrées alimentaires à des prix environ 30 % plus bas que ceux habituellement pratiqués. L’an dernier, environ 208.000 familles en ont bénéficié.
. Un kilo de légumes contre quatre kilos de déchets recyclables : une mesure révolutionnaire, que Curitiba a mis en place dès 1989. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
Depuis quelques années, l’image de Curitiba s’est cependant un peu ternie. La ville évoque aujourd’hui l’opération anticorruption «Lava Jato», qui a conduit à l’emprisonnement de Lula d’avril 2018 à fin 2019. Ses gains écologiques sont également malmenés. En quelque sorte victime du succès de sa qualité de vie, la ville a vu sa population tripler depuis les années 1970. En conséquence, elle s’est étendue, avec des habitations qui se sont retrouvées éloignées des lieux de travail et des services, contribuant à augmenter le trafic automobile.
«La ville est bloquée dans le passé, ce qui ne lui permet pas de faire face aux problèmes actuels», estime Goura Nataraj. Celui qui a initié les «vélorutions» sur place regrette par exemple qu’il n’y ait «toujours aucune infrastructure d’ampleur pour la pratique du vélo». Des avancées sont pourtant présentes, mais timides: la ville offre aujourd’hui 300 kilomètres de pistes cyclables et en promet 400 d’ici fin 2024.
. Élu conseiller municipal et leader de l’opposition, Goura Nataraj a lancé les « vélorutions » à Curitiba dans les années 2000. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
Pour faire face à la saturation du BRT et encourager les habitants à délaisser leur voiture, Curitiba est en train de terminer des travaux sur deux de ses principales lignes, pour en améliorer les capacités et la rapidité. La ville commence aussi à électrifier le réseau pour en réduire l’impact carbone, avec soixante-dix bus électriques qui seront mis en service en 2024.
- Pression continue
Il faut aussi beaucoup de pression populaire, voire des actions de désobéissance civile, pour y faire bouger les choses. En 2007, les activistes du vélo avaient peint des pistes cyclables dans les rues, avant de recevoir une amende pour cette action.
La mairie les a finalement appelés pour entendre leurs revendications. Puis a invité Goura Nataraj à travailler pendant un an et demi sur l’élaboration de nouvelles pistes cyclables. Il a toutefois fallu attendre 2012 pour qu’elles voient enfin le jour.
. Curitiba contient de nombreux jardins partagés, dont certains conquis de haute lutte. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
Élu conseiller municipal et leader de l’opposition, Goura Nataraj a réussi à faire adopter une loi pour développer l’agriculture urbaine en 2018. «En cinq ans, le sujet est devenu une réalité à Curitiba», dit Guilherme Scharf depuis Horta do Jacu, un jardin communautaire situé à deux rues de chez lui.
En 2017, il a occupé illégalement avec un groupe de voisins ce terrain municipal, devenu une décharge et un lieu de consommation de drogues. Ils ont planté des légumes et des arbres fruitiers, et ont installé une ruche. Grâce à la nouvelle loi sur l’agriculture urbaine, le projet a été régularisé et fait aujourd’hui partie des 150 jardins communautaires de la ville.
Décrivant volontiers son attirance pour l’anarchisme, il salue l’ouverture de la mairie actuelle sur les initiatives citoyennes. Aujourd’hui, il travaille d’ailleurs pour elle sur les projets d’agriculture urbaine.
. «En cinq ans, [l’agriculture urbaine] est devenue une réalité à Curitiba», dit Guilherme Scharf depuis l’un des 150 jardins communautaires de la ville. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
Rafael Greca, maire de Curitiba depuis 2017, insiste aussi sur les récents efforts menés pour réduire de 20 % les émissions carbone de la ville d’ici 2050, un objectif poursuivi par son plan Climat adopté en 2019. Celui-ci prévoit d’accroître l’utilisation des énergies renouvelables, de remettre en état des zones naturelles dégradées et d’étendre les espaces verts, de réduire la part organique des déchets dans les décharges et de diminuer les déplacements en voiture en ville.
- Recyclables et renouvelables
Le maire est particulièrement fier de l’inauguration en 2023 d’une centrale photovoltaïque, construite sur une ancienne décharge, et qui fournit 30 % de l’électricité des bâtiments municipaux.
. Si certains trouvent aujourd’hui que la ville a des difficultés à se mettre à la pages des enjeux actuels, son exemple continue d’irriguer des métropoles de plusieurs continents. © Mathilde Doiezie / Reporterre (Voir photo sur site)
Ce dernier projet rend à nouveau la cité exemplaire aux yeux d’autres métropoles. Des délégations d’autres villes du Brésil et aussi de Belgique, du Canada, du Royaume-Uni ou du Pérou sont venues sur place pour en prendre de la graine.
Mais toutes ces avancées sont saluées la bouche un peu pincée par Goura Nataraj ou Mathieu Bertrand Struck, qui regrettent qu’il y ait toujours autant de bitume qui coule dans les rues ou l’ambivalence de certaines positions de la mairie, centriste, qui soutient en même temps le développement économique de la ville.
«Curitiba pourrait avoir une plus grande influence sur le plan écologique», estime Goura Nataraj. «Nous devrions être plus radicaux et revenir à la racine des problèmes.» Après un premier essai infructueux en 2020, il compte se présenter à nouveau à la tête d’une liste pour les élections municipales de 2024. Pour aller plus vite, plus loin, plus fort, sur les sujets écologiques et sociaux.
Photo: Ces grands bus rouges sont devenus un symbole de la ville de Curitiba. - © Mathilde Doiezie / Reporterre
Pour voir l'article avec plus d'illustrations: https://reporterre.net/Urbanisme-ecolo-au-Bresil-Curitiba-veut-rester-ville-modele
Par Mathilde Doiezie
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Posté Le : 18/01/2024
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Mathilde Doiezie - 13 janvier 2024
Source : https://reporterre.net/