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Planète (Amérique du Sud) - Reportage — Climat: Au Chili, l’hiver a disparu



Planète (Amérique du Sud) - Reportage — Climat:  Au Chili, l’hiver a disparu


Au cœur de l’hiver austral en plein mois d’août, des vagues de chaleur s’abattent sur le Chili. À tel point qu’à Vicuña, certains n’ont jamais «vraiment connu l’hiver».

Vicuña (Chili), reportage

Dans le petit bus rural, les fenêtres sont grandes ouvertes. Bien que nous soyons en plein hiver en ce mois d’août, la chaleur est insoutenable et les passagers, habitués, s’installent à l’unisson sur les sièges de droite. «Mieux vaut se mettre du côté où le soleil ne nous brûlera pas pendant le trajet», s’amuse Teresa, une sexagénaire venue de la petite ville de Vicuña pour faire des achats à La Serena, la capitale régionale de Coquimbo, dans le nord du Chili.

Début août, cette vallée de l’Elqui, déjà frappée par la méga-sécheresse [1], a connu la pire vague de chaleur hivernale depuis soixante-douze ans, avec un record de 38,3 °C. Huit jours au-dessus des normales de saison, qui tournent autour de 22 °C en journée et 4 °C la nuit. «L’hiver, considéré au Chili comme une saison de pluies abondantes et de basses températures, est en train de disparaître», se désole Raul Cordero, climatologue à l’université de Santiago.

À Vicuña, des alertes ont ainsi été lancées «pour des maximales autour de 32 °C, reconnaît Tómas Caballero, météorologue au Centre de recherche en zone semi-aride (Ceaza). Les événements sont de plus en plus complexes à prédire. On parle d’une “atmosphère chaotique”, tant il y a de grandes variables et beaucoup d’incertitude».

Le phénomène est multifactoriel: le passage d’une dorsale intense en altitude [2], un vent chaud nommé «Terral» descendu des Andes et une pression très basse. Le phénomène El Niño influence aussi ces événements météorologiques, mais le météorologue précise qu’«auparavant, il y avait davantage de corrélation entre El Niño et le niveau de précipitations».

- «Le temps est bizarre»

Beaucoup d’habitants de cette vallée trouvent que «le temps est bizarre». Marco Rudolfi considère que «tout est déréglé». Il a fondé l’Alfa Aldea, un lieu qui réunit les deux activités économiques de la région : l’astrotourisme et l’agriculture. Ici, on peut déguster le vin ou le Pisco (liqueur de la région) produits grâce aux hectares de vignes qui entourent le dôme, d’où s’observent les cieux les plus purs du monde. «Les plantes ne savent plus si elles sont au printemps ou en hiver. Elles commencent à germer, puis une vague de froid arrive et on perd toutes les cultures», explique Marco.

«Depuis un moment, ces vagues de chaleur affectent la qualité et la quantité de raisins, indique Patricio Azocar, œnologue de la coopérative Capel à laquelle Marco confie ses raisins. Il manque des “heures de froid” pour que la plante bourgeonne.» En 2000, la coopérative produisait 200 millions de kilos de raisins. En 2023, elle en a produit seulement 80 millions de kilos.

«Je vis ici depuis vingt ans et je n’ai pas vraiment connu l’hiver», certifie Jacqueline, maraîchère sur les hauteurs de Vicuña avec son mari Eduardo. Ce dernier, pour sa part, est né sur ces terres de l’Elqui et il se souvient de ces hivers froids et pluvieux, avec les sommets enneigés. Aujourd’hui, même en hiver, ils arrosent «le minimum nécessaire» et gardent précieusement l’eau dans un réservoir, «dans lequel des bidons en plastique sont installés pour éviter les algues».

Ces vagues de chaleur ne sont plus seulement un phénomène météorologique, celui-ci est aussi climatique. «Depuis quelques années, les records de températures minimales et maximales ont étrangement lieu en hiver», explique Tómas Caballero, du Ceaza.

À tel point que la situation devient «habituelle» pour les Chiliens, selon l’œnologue Patricio Azocar. La mairie de Vicuña ne considère pas non plus ces fortes chaleurs «comme une nouveauté». «Les gens ont pris les bons réflexes, constate Gabriel Palma, géographe et chargé de la prévention à Vicuña. Les risques principaux liés aux vagues de chaleur [incendies et problèmes de santé] ont été évités.»

- Pénurie et mauvaise gestion de l’eau

Ces chaleurs soulèvent une autre problématique: la fonte des neiges hivernales avant le printemps «est préoccupante pour la disponibilité en eau», selon Marco Rudolfi, de l’Alfa Aldea. La quantité d’eau en surface et dans les nappes phréatiques s’amenuise. Le fleuve Elqui n’est plus qu’un «canal creusé par les tractopelles pour ne pas perdre une goutte». «Une chance, précise Gabriel Palma, géographe et chargé de la prévention à Vicuña. Les fleuves Limari et Choapa des vallées voisines n’ont plus d’eau du tout.» Sur la commune de Vicuña, l’accès à l’eau dépend des pluies et des glaciers qui sont «peu nombreux dans cette région sèche à la limite avec le désert d’Atacama».

«[Les glaciers] fonctionnent comme des bouées de sauvetage», précise Alvaro Ayala, glaciologue du Ceaza, qui ajoute que la plupart des glaciers dans cette partie des Andes sont «rocheux» (des glaciers composés de roche et de glace) et fondent plus lentement.

Le glaciologue étudie un des seuls glaciers «blancs» (composé uniquement de glace) de la région, el Tapado, qu’il voit «rétrocéder depuis dix ans» avec un climat de plus en plus désertique à 4.300 mètres d’altitude.

«Je ne souhaite pas que ma commune devienne un désert», certifie le maire de Vicuña, Rafael Vera Castillo, qui exige que la construction de l’usine de dessalement à La Serena soit accélérée. Avec ses 4.600 kilomètres de côte Pacifique, le Chili a choisi de dessaler l’eau de l’océan pour répondre à la méga-sécheresse. Les villes du désert d’Atacama s’approvisionnent déjà en eau potable grâce à ces usines.

Celle de La Serena devrait être en fonctionnement en 2026. Trop tard, selon le maire, qui ne pourra «plus garantir l’eau potable» si les nappes se vident. Aujourd’hui, environ 2 % de la population reçoit l’eau par camion-citerne, mais cela pourrait augmenter. Le maire s’alarme aussi du niveau très bas des barrages d’eau. «Il n’y a eu qu’une seule pluie d’environ 15 mm, alors que la moyenne annuelle est de 100 mm», souligne Gabriel Palma, géographe et chargé de la prévention à Vicuña. «Les réservoirs seront vides en novembre, il n’y aura pas d’eau pour arroser cet été, s’il ne pleut pas», certifie Patricio Azotar, de la Capel.

Comme une majorité d’habitants de cette vallée, le géographe Gabriel Palma associe cette gravité de la sécheresse «aux agro-exportateurs» et à «l’excès de monocultures d’avocats, très gourmands en eau, et d’agrumes». Marco, de l’Alfa Aldea, précise qu’au Chili «l’accès à l’eau est conditionné par des droits de propriété» détenus principalement par l’agriculture intensive, et que «la loi ne les protège pas» contre cet accaparement. «Les conflits d’usage de l’eau ont déjà commencé [3]», regrette Patricio, de la Capel. Et ils vont certainement s’accentuer.


Notes

[1] Mégasécheresse : terme utilisé par les autorités pour définir la période de 2009 à aujourd’hui.
[2] En météorologie, une dorsale est une zone allongée de pression atmosphérique relativement élevée.
[3] Comme avec les puits illégaux creusés par les agro-industriels, ou lorsque des agriculteurs irriguent illégalement leurs champs.




Photo: Marco Rudolfi, qui a fondé l'Alfa Aldea à Vicuña, explique que « les plantes ne savent plus si elles sont au printemps ou en hiver ». Ici, début août 2023. - © Marion Esnault / Reporterre

Pour accéder et lire l'article dans son intégralité: https://reporterre.net/Au-Chili-l-hiver-est-en-train-de-disparaitre

Par Marion Esnault





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