Les intrigants diptyques du photographe Pablo Albarenga mettent en lumière un lien très fort: celui qui unit les activistes autochtones aux territoires qu’ils défendent, souvent au péril de leur vie.
Quand l’Uruguayen Pablo Albarenga a entamé son projet photographique dans des communautés autochtones du Brésil, de Colombie, d’Equateur et du Venezuela, il a été sidéré de voir certains risquer leur vie, désarmés, face à des agresseurs équipés de fusils. Il a cherché les racines de leur ténacité. En 2019, trente-trois défenseurs de l’environnement ont été tués en Amazonie.
- GEO : Vous avez intitulé votre travail Seeds of Resistance («graines de résistance». Pourquoi?
J'ai été frappé de constater le nombre de jeunes gens se trouvant sur la ligne de front. En lisant un rapport sur la violence contre les peuples autochtones, je suis tombé sur cette citation: «Ils pensent que la solution est de nous enterrer, mais ils n'ont pas compris que nous étions des graines.» Beaucoup de propriétaires terriens, de sicarios [des tueurs à gages], voire les gouvernements eux-mêmes, pensent qu'ils peuvent faire cesser ce combat en éliminant les meneurs. Mais ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que pour chaque personne assassinée, trois ou quatre autres se lèvent.
- Dans vos images, vous juxtaposez un portrait et un paysage, tous deux fondus comme en une seule image. Pourquoi ce choix?
Quand je regardais mes premières photos, je trouvais que le lien entre les gens et le territoire n'était pas là, en tout cas pas de façon explicite. Je voulais le rendre beaucoup plus visible. Au bout de deux ans de réflexion, j'ai choisi ce parti pris artistique. J'ai réalisé mes prises de vue avec un drone : d'un côté, un portrait de la personne allongée sur sa terre et de l'autre, le territoire en question, pris à plus haute altitude. Ensuite j'ai fait en sorte qu'on ait l'impression d'avoir une seule et même image. J'ai dû m’affranchir de quelques règles car je viens d'une école de photojournalisme où l'on vous apprend à ne pas altérer les images. Mais j'ai enfin réussi à exprimer ce lien de façon très visuelle, en plaçant les hommes et les femmes au même niveau que leur territoire.
- Quelle est la nature du lien qui unit ces personnes à la terre qu’ils défendent?
C’est un lien très particulier. Dans les pays développés, dans les villes, nous cherchons l'accomplissement en nous installant loin du lieu où nous sommes nés, nous aimons conquérir de nouveaux territoires. A l'inverse, eux trouvent leur bien-être dans la connexion avec leur terre ancestrale. Et même quand celle-ci a été complètement détruite, muée en champ de soja à perte de vue, elle reste sacrée à leurs yeux parce que, sous leurs pieds, reposent des centaines de générations d'ancêtres. Le cas du Mato Grosso do Sul est emblématique: dans cet Etat brésilien, où vit la deuxième plus importante population autochtone du pays, il ne reste rien de la forêt. Tout a été détruit au profit de l'agro-industrie. Et pourtant c’est là qu’ils sont le plus souvent assassinés en défendant leurs terres.
- Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur ces communautés?
Le caractère ancestral et sacré attribué à une parcelle est ignoré de ceux qui y voient plutôt une opportunité de faire de l’argent. Les autochtones ont donc beaucoup d'ennemis: des sicarios ou des milices armées, des officiers de police envoyés pour les menacer ou les tuer. Les gouvernements eux-mêmes, comme au Brésil, n'hésitent pas à les qualifier d'envahisseurs et même de terroristes! Mais ils souffrent aussi du stéréotype misérabiliste de l’autochtone que véhiculent les musées. Pourtant, ils ne courent plus dévêtus dans la forêt armés de pierres et de bouts de bois. Ils s'habillent comme vous et moi, ont des téléphones portables, et nous sommes en contact tous les jours sur WhatsApp ou Instagram. L'identité n'a rien à voir avec les vêtements ou les technologies que vous utilisez.
- Vos images peuvent-elles casser ces stéréotypes?
A chaque fois que, de l'extérieur, nous parlons de l'Amazonie, nous le faisons de manière égoïste: nous nous sentons concernés par la destruction de cet écosystème en raison de ses conséquences sur notre propre existence. On pense aux arbres, à l'oxygène, au réchauffement climatique ou aux espèces qui restent à 'découvrir', mais nous oublions les trente millions de personnes qui y vivent. Je me dis souvent que nous contribuons à distance à la destruction de l'Amazonie à cause de notre mode de vie fondé sur la surconsommation. Nous sommes malades de cela: vouloir créer la richesse infinie avec des ressources qui ne le sont pas. Jusqu'en 2015, j'avais le même regard sur eux que la plupart des gens. Une vision de musée. Et puis j'ai commencé à faire des recherches sur la colonisation qui s’effectue à travers l’image. Celle-ci est un outil puissant pour créer des stéréotypes, mais c'est aussi un moyen de les briser.
- Mortelles statistiques
. Chaque année, l’ONG Global Witness, qui lutte contre la corruption et les abus environnementaux, comptabilise dans le monde entier les activistes ayant perdu la vie alors qu’ils protégeaient leurs communautés et leurs terres.
. 212 défenseurs de l’environnement ont été assassinés en 2019 dans le monde, soit plus de quatre par semaine. Jamais un tel nombre n’avait été atteint depuis le premier rapport de l’ONG en 2012.
. 70% de ces assassinats ont été commis en Amérique latine, Colombie en tête (64 morts).
. 108 personnes ont été tuées dans leur lutte contre les industries minière, agroalimentaire et forestière. Soit la moitié des victimes.
Source: «Enemies of the state», rapport 2019 de Global Witness ; «The supply chain of violence», Nature sustainability, 2019.
Photo: © Pablo Albarenga / Sony World Photography Award 2020
Par Aline Maume
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Posté Le : 12/12/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Aline Maume - Publié le 19/11/2020
Source : https://www.geo.fr/