Une étude publiée dans la revue Nature mercredi révèle que l’Amazonie absorbe moins de CO2 qu’elle n’en libère. Le chercheur au CNRS, spécialiste de l’Amazonie, François-Michel Le Tourneau, explique les raisons de ce revirement.
Entretien avec François-Michel Le Tourneau, chercheur au CNRS, spécialiste de l’Amazonie.
- Pourquoi l’Amazonie n’absorbe plus autant de CO2 qu’elle n’en émet?
Il faut reprendre en arrière. L’idée c’est que la croissance des végétaux est permise par l’absorption du carbone. C’est l’effet dopant. Dans un premier temps, si vous mettez plus de carbone dans l’atmosphère, les plantes vont pouvoir l’absorber et leur rythme de croissance va se trouver accéléré, mais ça ne dure qu’un temps. Au bout d’un moment, les végétaux se trouvent au maximum de leur capacité et ne consomment plus le CO2. On avait imaginé, dans un premier temps, que la grande disponibilité de carbone dans l’atmosphère serait absorbée par les forêts tropicales où il y a beaucoup de végétaux qui grandiraient de plus en plus. On s’aperçoit, depuis assez longtemps maintenant, que cet effet dopant du carbone sur l’atmosphère se produit de moins en moins sur certaines forêts comme l’Amazonie. C’est parce que c’est déjà une forêt mature, une forêt ancienne avec des arbres quasiment au maximum de leur potentiel de croissance. Ils ont donc du mal à croître plus. Ce sera probablement le cas dans les forêts africaines d’ici une dizaine d’années.
- Et aujourd’hui, elle ne peut donc plus compenser les autres sources d’émissions?
En effet, dont la plus importante: la déforestation. Quand on enlève de la forêt, celle-ci se retrouve d’une manière ou d’une autre vaporisée dans l’atmosphère et produit du dioxyde de carbone. L’Amazonie stocke aujourd’hui près de 450 milliards de tonnes de CO2 dans ses arbres et ses sols. Cette quantité extraordinaire de carbone qui est stocké dans cette forêt devrait y rester plutôt qu’on aille la vaporiser dans l’atmosphère et qu’elle vienne alimenter la machine du changement climatique.
Finalement, il y a aussi les conséquences du changement climatique. On a constaté en Amazonie, une augmentation de la mortalité des arbres. Ainsi, nous soupçonnons qu’il y a un fort lien entre cette mortalité plus importante et le réchauffement climatique. Soit liée à des éléments cataclysmiques, c’est-à-dire du fait de l’augmentation des tempêtes et des vents qui peuvent les faire tomber, soit à d’autres causes, comme la sécheresse, le stress hydrique, etc.
« L’espace forestier se transforme en un espace agricole »
- En 2020, la déforestation de l’Amazonie était de 11.000 km2, au plus haut depuis 2008. Comment expliquer cette évolution?
En 2003, on était à 27.000 km2. Au Brésil, des mesures politiques très strictes ont été mises en place à l’époque qui ont permis de diviser la déforestation par cinq, en descendant autour de 5.000 km2. Et malheureusement, depuis qu’on a atteint ce seuil-là et avant même l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir, on observe un rebond. Celui-ci s’est intensifié avec la politique de Jair Bolsonaro à tel point qu’on devrait atteindre cette année près de 12.500 km2.
- Pourquoi est-ce l’Est et le Sud-Ouest qui sont le plus touchés par la déforestation?
On appelle cette zone l’arc de la déforestation. C’est la zone la plus en contact avec le reste du Brésil et une voie de communication avec le Sud, là où se fait une grande exportation des produits. Dans cette zone se déroule le plus gros du changement économique, c’est-à-dire la conversion de la forêt amazonienne pour faire du soja ou du coton et surtout pour de l’élevage bovin. L’espace forestier se transforme en un espace agricole.
«Nous devons réduire nos émissions»
- Pendant les cinquante dernières années, les plantes et les sols ont absorbé plus d’un quart des émissions de CO2. Est-ce un chiffre conséquent?
Ce qui est intéressant, c’est de voir que c’est seulement un quart, c’est-à-dire qu’on ne peut pas compter sur la nature pour absorber tout le CO2 que nous émettons. On parle des plantes et des sols. Mais il y a une partie du CO2 qui est absorbé par les océans. En réalité, si on doit chercher les vrais poumons de la planète, ce sont les océans. Malheureusement, ça pose aussi des vrais problèmes d’acidification des océans. La conclusion que nous pouvons tirer de tous ces chiffres, c’est que nous émettons beaucoup trop de carbone. Et les écosystèmes ne sont pas capables de suivre, au rythme où nous l’émettons. Au lieu de chercher les choses qui vont absorber le carbone que nous émettons, nous devrions nous efforcer d’en émettre moins.
- Comment pourrait-on résoudre le problème?
Je pense que la question est souvent abordée de manière inverse. On discute de la capacité de l’Amazonie à absorber le CO2 et on ne discute pas de notre capacité à en émettre moins. Nous devons absolument réduire nos émissions, avec des mesures telles que celles dévoilées par l’Union européenne mercredi. On ne peut pas garder exactement le même mode de vie et émettre moins de CO2. À un moment, il va falloir faire des arbitrages.
L’autre point concerne la déforestation. Elle a lieu parce qu’économiquement, c’est plus intéressant pour les fermiers brésiliens de transformer la forêt que de la conserver en l’état. Nous devons protéger nos systèmes écosystémiques, c’est-à-dire les services rendus par les écosystèmes tels que purifier l’eau ou tout simplement réguler le climat dans son ensemble. Nous devons rémunérer cette régulation. Entre autres, en payant des personnes pour maintenir les parcelles de forêts. Et ce ne sera pas avec trois dollars de temps en temps, mais avec des milliards et des milliards de dollars chaque année, pour faire changer l’équation.
Photo: Des feux de forêts en Amazonie, au Brésil, en août 2020. CARL DE SOUZA/ARCHIVES AFP
Isabelle HAUTEFEUILLE
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Posté Le : 20/07/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Ouest-France Isabelle HAUTEFEUILLE - Publié le 16/07/2021
Source : https://www.ouest-france.fr/