A l’approche de l'”Election Day” le 3 novembre, GEO s’est entretenu avec Adrien Estève, doctorant au Centre de Recherches Internationales (CERI) et spécialiste des problématiques environnementales et climatiques en politique. Climatoscepticisme d’un côté, énergies propres de l’autre, on décrypte de quelles façons le résultat de l’élection présidentielle dessinera l’avenir environnemental des Etats-Unis.
- Incendies, ouragans, inondations… Après les phénomènes climatiques extrêmes auxquels ils ont dû faire face ces derniers mois, les Américains ne se sentent-ils pas davantage concernés par les questions environnementales aujourd'hui?
Adrien Estève : Oui, absolument. Pour ce qui est des incendies en Californie, il y en a toujours eu, mais c’est vrai que l'intensité des derniers était particulièrement importante. Il y a eu un conflit entre le gouverneur de Californie et le président Trump sur l'origine climatique de ces feux, et aussi la nécessité de s’adapter, d’anticiper un peu plus ce genre d’événement extrême en étudiant davantage le changement climatique. Donc oui il y a eu une prise de conscience, de certains Etats, de ces enjeux climatiques et leurs conséquences sur les territoires américains.
Il y a eu aussi, sur la partie plutôt Atlantique, tous les ouragans qui ont dévasté La Nouvelle-Orléans. Et là aussi on a une population américaine qui subit de plus en plus cela. C’est aussi un sujet très politisé: la Californie est un Etat démocrate. Il y a une opposition entre le pouvoir fédéral actuel et certains Etats qui croient plus en l’origine climatique de ces catastrophes. Il y a une prise de conscience des dérèglements climatiques en général, mais ça reste localisé à l’échelle des Etats-Unis.
- Le programme environnemental de chacun des candidats peut-il être décisif dans le choix des Américains mardi prochain?
A.E : L’enjeu environnemental a malheureusement un peu été relégué au second plan dans les débats. C’est quelque chose de très important dans le programme de Joe Biden, mais le débat se situe davantage sur les questions économiques et identitaires avec le mouvement “Black Lives Matter”. Donc Donald Trump n’essaie pas trop de parler de climat évidemment, ça n’est pas le cœur de son programme, mais plutôt d’économie, ou encore de sécurité.
Mais l’enjeu écologique est présent dans la campagne américaine, et Joe Biden se positionne comme le défenseur de la politique menée sous Obama (Joe Biden était vice-président au sein de l’administration Obama, entre 2009 et 2017, ndlr), de transition énergétique, de lutte contre le changement climatique. C’est plutôt du côté de Joe Biden qu’on essaie de tirer le débat de ce côté-là. L’enjeu écologique va servir à Joe Biden à rassembler les démocrates plutôt favorables à des politiques climatiques fortes. Le camp républicain n’a aucun intérêt à amener le débat sur ce terrain là.
- “Ce ne serait pas mal d'avoir un peu de ce bon vieux réchauffement climatique en ce moment !”, “Ca finira par se refroidir'... Au-delà de ses sorties médiatiques, le mandat de Donald Trump est-il si mauvais sur le plan environnemental?
A.E : Il est mauvais, indéniablement. Il a révoqué et assoupli quasiment toutes les réglementations fédérales en matière d’écologie. Le New York Times a fait un très gros travail pour justement montrer comment Donald Trump avait affaibli toutes ces mesures qui pour certaines d'entre elles dataient des années 1970. Je pense par exemple au Clean Air Act (loi fédérale introduite en 1970 visant à diminuer la pollution de l’air, ndlr) qu’il a considérablement affaibli pour permettre aux industries de polluer plus. Le tout en quatre ans. Si quatre années devaient s'ajouter, on se doute bien que la direction serait la même.
- Justement, y a-t-il une différence entre la politique environnementale menée par Donald Trump durant son mandat et le programme proposé pour ces potentielles quatre prochaines années?
A.E : Il a mis en avant une mesure en 2020, en disant que c’était la mesure la plus écologique de l’histoire des Etats-Unis. Elle s’appelle la Great American Outdoors Act et vise à protéger les parcs naturels américains. Son programme écologique est structuré autour de ça.
Cette loi lui permet de faire abstraction de toute la partie climatique. Il n’y a pas de projet de réduction des émissions, il n’y a pas de projet de transition énergétique vers des énergies renouvelables, au contraire. Il est plutôt favorable aux énergies fossiles. Donc la Great American Outdoors Act n’est pas à la hauteur des enjeux d’aujourd’hui.
- Annoncé par Donald Trump en 2017, les Etats-Unis sortiront officiellement mercredi de l’accord de Paris, censé limiter l'augmentation de la température moyenne sur Terre sous la barre des 2°C. Une élection de Joe Biden est-elle synonyme d’un retour dans l’accord?
A.E : Cela fait partie de son programme. Après, cela implique un certain effort diplomatique pour être accepté, car même si ce n'était pas un accord contraignant, il y avait quand même des objectifs de réduction des émissions. Donc pour réintégrer l’accord, il va falloir mettre en place un programme de transition énergétique assez important. Et c’est ce que prévoit justement Joe Biden, avec un grand plan d'investissement dans les énergies renouvelables.
- Avec Joe Biden au pouvoir, à quoi s’attendre quant à la future politique environnementale américaine? De vraies mesures concrètes ou un simple greenwashing?
A.E : On est dans le prolongement de ce qu’avait fait Barack Obama. Il ne s'agit pas de greenwashing (se donner une fausse image d’écologiste, ndlr). Plutôt de mesures qui ne sont pas contraignantes, certes, mais qui sont des mesures d’incitation aux entreprises pour la transition énergétique. L’approche Obama n’était pas axée sur des réglementations fortes, mais l’idée visait à accompagner les entreprises, les acteurs privés dans cette transition.
Joe Biden souhaite une Clean Energy Revolution ("Révolution de l'énergie propre", en Français) et faire voter un plan au Congrès qui pourra stimuler ce changement dans la société et auprès des acteurs privés. Ce plan tourne principalement autour d’une mesure: 100% d'énergies propres à l’horizon 2050, donc comme l’accord de Paris, ce qui est extrêmement ambitieux. L’autre enjeu pour la mise en place de ce programme est donc la récupération du contrôle du Sénat par les démocrates.
- Quels sont les enjeux majeurs environnementaux à venir pour le futur président des Etats-Unis?
A.E : L’urgence est climatique. C’est ce qui va conditionner tout le reste. La transition énergétique que promet Joe Biden, si elle a lieu, permettra de mettre fin à beaucoup de choses mise en place par l’administration Trump, comme l’exploitation du gaz de schiste, d'énergies fossiles, etc. L'élection de Joe Biden enverrait un message assez fort, aux Etats-Unis et dans le monde, quant à une remise en marche vers cette transition nécessaire et vers les efforts d'atténuation du changement climatique. Si Donald Trump est réélu, on fait une croix sur cela, et au vu du poids que représentent les Etats-Unis dans les émissions mondiales, c’est une croix sur les objectifs de l’accord de Paris. Le leadership qu'ont encore aujourd’hui les Etats-Unis au niveau mondial est extrêmement important pour atteindre ces objectifs.
📖 Adrien Estève, “Introduction à la théorie politique environnementale”, aux éditions Armand Colin.
Photo: Donald Trump (à gauche) et Joe Biden (à droite) lors du dernier débat avant l'éléction présidentielle américaine, à l'université Belmont de Nashville, Tennessee, États-Unis, le jeudi 22 octobre 2020. © Bloomberg
Par Sébastien Rouet
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Posté Le : 03/11/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Sébastien Rouet - Publié le 02/11/2020
Source : https://www.geo.fr/