Dépossession des terres, destruction de l’environnement, épuisement des ressources en eau... Au Sénégal, une filiale du groupe minier français Eramet suscite la colère des habitants.
Diokoul Diawrigne (Sénégal), reportage
Gora Gaye n’a pas peur de dire ce qu’il pense. Maire de la commune de Diokoul Diawrigne, située dans le nord-ouest du Sénégal, à quelques kilomètres de l’océan Atlantique, il est devenu le chef de file d’un mouvement de révolte contre la présence d’Eramet Grande Côte, appelée aussi Grande Côte Opérations (GCO), sur son territoire.
L’élu, membre de Pastef, le parti présidentiel, accuse cette entreprise minière, filiale du groupe français Eramet, d’avoir un effet dévastateur sur l’environnement et les conditions de vie de ses concitoyens. Le 28 décembre, avec plusieurs centaines de personnes, il a participé à une marche à Lompoul village, localité de sa commune, pour demander l’arrêt des activités de la compagnie. «GCO, dafa doy!» («GCO, ça suffit!» en wolof), a scandé la foule.
. Le minier français Eramet au Sénégal. © Louise Allain / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Détenue à 90 % par Eramet et à 10 % par l’État du Sénégal, GCO a le contrôle, au moins jusqu’en 2029, d’une concession minière qui couvre 445.000 hectares et s’étend sur 100 kilomètres le long du littoral. Dans cette région de dunes, riche en sables minéralisés, elle extrait depuis dix ans du zircon et d’autres minerais utilisés par diverses industries (bâtiment, nucléaire…). Elle est partie du village de Diogo, progressant lentement vers le nord, pour arriver en 2023 environ 20 kilomètres plus loin, dans les environs de Lompoul village, où elle se trouve toujours.
. La concession minière couvre 445 000 hectares. La photo a été prise au drone par Afrigreen Lab, qui documente les destructions occasionnées par GCO. © Afrigreen Lab (Voir photo sur site ci-dessous)
Les moyens techniques qu’elle déploie sont gigantesques: pour traiter des milliers de tonnes de sable par jour, elle fait serpenter une immense drague reliée à une usine qui flotte sur un bassin artificiel. Depuis quelques mois, elle utilise aussi une unité d’extraction minière sèche.
Le périmètre que GCO a déjà exploité apparaît sur des images satellites sous la forme d’une longue étendue blanche, sans végétation. Auparavant, cet espace était occupé par des cultures vivrières: il fait partie des Niayes, une bande côtière qui va de Dakar à Saint-Louis, et est dédiée au maraîchage, assurant près de 80 % de la production nationale de légumes.
Il était aussi habité: plusieurs milliers de personnes ont dû abandonner leur village ou hameau pour laisser la place à la mine et être relogés dans des «sites de recasement». Auparavant installés en bordure de l’océan, les habitants des villages de Foth et Diourmel se retrouvent aujourd’hui 20 kilomètres plus loin, à l’intérieur des terres, dans des petites maisons identiques, collées les unes aux autres, souvent trop exiguës pour accueillir décemment tous les membres de leur famille.
. Le village de Foth a dû être abandonné. © Fanny Pigeaud / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
- Des terres «lessivées»
Autour de Lompoul village, le paysage a été transformé, dit Pape Sarr, membre d’un collectif de personnes affectées par les activités de GCO. «Vous voyez cette immense dune? Elle n’existait pas il y a six mois. C’est GCO, dont l’usine flottante est passée ici, qui l’a créée. Le terrain était auparavant plat, favorable aux activités agricoles. Ils ont tout détruit», détaille-t-il.
Lui-même possédait ici 4 hectares pour du maraîchage et de l’élevage, ce qui lui rapportait au minimum 30 millions de francs CFA par an (45.000 euros). Il en a perdu une partie au profit de la société minière. Parce qu’il s’opposait à cette spoliation, il a été convoqué à la gendarmerie. Comme lui, des milliers de petits producteurs ont dû céder leurs terres contre des indemnisations insignifiantes.
. Des milliers de petits producteurs ont été contraints de céder leurs terres. © Afrigreen Lab (Voir photo sur site ci-dessous)
Multitudes d’arbres arrachés, montagnes de sable retournées au bulldozer dans un bruit assourdissant: GCO s’affaire actuellement dans le désert de Lompoul, une zone de 300 hectares de dunes brunes située à 3 kilomètres du village éponyme. Sous l’action de ses énormes engins, ce lieu unique au Sénégal, prisé par les réalisateurs de cinéma et les touristes qui venaient y dormir dans des tentes aménagées, est en train de disparaître.
«Notre écosystème est en train d’être détruit»
Peu importe qu’il y ait encore sur place un opérateur touristique, l’Écolodge de Lompoul, en attente d’un accord sur le montant de son indemnisation avant son départ: GCO continue d’avancer, sa drague et son usine flottante ne sont désormais qu’à quelques centaines de mètres du campement d’Écolodge, de sa trentaine d’employés et de ses clients, horrifiés.
GCO dit «restaurer» des secteurs qu’elle a exploités en replantant des arbres, mais il faudra «plusieurs décennies pour remettre en état les terres qu’elle a complètement lessivées», s’indigne Gora Gaye auprès de Reporterre, rappelant combien les Niayes sont fragiles.
Le Collectif de défense des Niayes, un groupe de ressortissants de la zone, partage ses préoccupations. «Notre écosystème est en train d’être détruit et la population se retrouve sans recours», déplore l’un de ses membres, Idy Ka. Un autre, Cheikh Fall, expert environnemental, souligne que les habitants de la région ont demandé en 2022 la révision d’une étude d’impact environnemental et social des activités de GCO, mais que les autorités administratives ont validé le document sans prendre en compte leurs doléances.
. Les bulldozers retournent des montagnes de sable. © Fanny Pigeaud / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
Tous s’inquiètent pour les ressources en eau: les maraîchers qui ont encore des champs constatent des perturbations hydriques. Des puits sont à sec, comme si la nappe de surface avait disparu. «Sur certains sites, pour trouver de l’eau en quantité suffisante, il faut désormais creuser à 50 ou 70 mètres, au lieu de 15 ou 20 mètres auparavant», explique Julien Potron, un entrepreneur spécialisé dans l’installation de pompes solaires.
Comme d’autres, il est convaincu que GCO, qui utilise des milliards de m3 d’eau, est responsable de la situation. «Faux», répond l’entreprise dans un communiqué, assurant pomper «à plus de 450 m de profondeur, bien en dessous des nappes phréatiques utilisées par les agriculteurs». Pourtant, une Commission départementale de recensement et évaluation des impacts et une équipe de GCO ont conclu en 2018, selon un document interne à la compagnie, que la baisse du niveau de l’eau des puits de plusieurs paysans était un «effet induit» de sa «drague» sur «la nappe».
- «GCO nous a tout pris»
Au bout du compte, on assiste à un appauvrissement environnemental, mais aussi social et économique, explique Ousmane Sow, chef de village à Lompoul village. Les femmes qui vendaient des souvenirs aux touristes attirés par le désert sont désormais désœuvrées et sans revenus, tout comme les employés des six entreprises touristiques dont les lodges ont été avalés par la mine et les paysans qui n’ont plus de terres.
«Les jeunes partent. Certains empruntent les filières de l’émigration clandestine, un phénomène nouveau ici», assurent plusieurs habitants. «Un homme à qui on a pris de force ses champs est passé par le Nicaragua pour entrer clandestinement aux États-Unis», raconte, amer, Cheikh Fall. «[GCO] nous a tout pris: nos terres, nos cultures, nos traditions, notre désert, nos activités de subsistance, notre dignité», a résumé Gora Gaye lors d’une conférence de presse.
. Lompoul village se trouve à environ 20 kilomètres de la mine. © Fanny Pigeaud / Reporterre (Voir photo sur site ci-dessous)
L’entreprise se défend en déclarant employer 2.000 collaborateurs et contractants, dont 97 % de Sénégalais; avoir versé, en 2023, 25 millions d’euros de taxes, impôts et dividendes à l’État (avec un chiffre d’affaires de 238 millions d’euros en 2023), et avoir créé une «oasis» dans une zone qu’elle a exploitée, à 10 kilomètres de Lompoul, pour remplacer le désert qu’elle est en train de pulvériser. Des chiffres et des mesures jugées dérisoires par ses détracteurs.
- «Complicité» des autorités
Ces dernières années, les médias sénégalais ont rendu régulièrement compte du désarroi des populations locales. Mais cela n’a eu aucun effet: GCO n’a pas changé ses méthodes et l’administration sénégalaise a continué à la soutenir. Aujourd’hui, Gora Gaye et d’autres accusent publiquement les autorités locales de «complicité» avec l’entreprise française.
Il est vrai que cette dernière veille à entretenir de bonnes relations avec les administrateurs et élus. Dans les rapports de 2022 et 2023 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), elle indique avoir versé, à titre de «paiements sociaux volontaires» et pour des «appuis divers», des centaines de milliers de francs CFA à des préfets, sous-préfets, chefs de village, maires, gendarmeries, etc. Contacté par Reporterre, le groupe Eramet n’a pas réagi à la question de savoir si ces versements étaient en conformité avec sa charte éthique.
. Gora Gaye et d’autres accusent les autorités locales de « complicité » avec l’entreprise française. © Afrigreen Lab (Voir photo sur site ci-dessous)
L’équipe au pouvoir depuis avril dernier, le président, Bassirou Diomaye Faye, et le Premier ministre, Ousmane Sonko, connus pour leurs idées souverainistes et dont le parti a remporté les élections législatives de novembre, modifiera-t-elle la donne? Beaucoup d’habitants de Lompoul l’espèrent, même si l’actuel président de l’Assemblée nationale a travaillé de 2017 à 2024 pour GCO et même si le ministre de l’Environnement a fait, le 26 décembre, une visite de terrain avec GCO comme guide.
Déjà, trois députés de Pastef se sont mobilisés ces dernières semaines, demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire et plaidant pour l’instauration d’un moratoire sur les activités de GCO afin d’évaluer les dommages et revoir éventuellement son contrat avec l’État. «Si le gouvernement ne réagit pas, nous bloquerons l’entreprise; elle ne pourra plus progresser», avertit Gora Gaye.
- Dépossession foncière
Les milliers de paysans contraints de laisser leurs terres à GCO n’ont reçu que des «miettes» en guise de dédommagement, selon de nombreux témoignages. «Les montants des indemnisations sont basés sur de vieux barèmes que l’État a fixés en 1974 et n’ont depuis jamais été révisés», précise Demba Fall Diouf, membre de l’association Forum civil. L’organisation Fian International a fait le calcul : en onze ans, le manque à gagner pour un paysan dont la terre est occupée depuis 2012 par GCO «est plus de vingt fois supérieur à l’indemnisation perçue».
Ousmane Sow, chef de village, donne l’exemple d’un producteur qui gagnait 500.000 francs CFA par semaine (760 euros), avant de devoir se séparer de ses champs contre 5 millions de francs CFA (7.600 euros). Aujourd’hui, ce sexagénaire est obligé, lui qui employait une trentaine de personnes, de gagner sa vie comme saisonnier pour d’autres producteurs. Il ne récupérera rien: après exploitation, GCO restitue les terrains à l’État.
Photo: La mine GCO, filiale du groupe français Eramet, extrait notamment du zircon. - © Afrigreen Lab
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Par Fanny Pigeaud
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Posté Le : 13/01/2025
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Fanny Pigeaud - 13 janvier 2025
Source : https://reporterre.net/