Le changement climatique provoque des infiltrations d’eau salée à l’intérieur des terres. Les communautés tentent tant bien que mal de s’adapter.
Sur la terre rouge et sèche, ici et là striée de blanc, quelques rares brins d’herbe se meurent. Rien dans ce paysage ne laisse deviner qu’il y a encore sept ans, du riz aux tiges vertes poussait les pieds dans l’eau fraîche, ici, aux abords du village de Panchang, dans le centre de la Gambie, à quelques dizaines de mètres d’un affluent du fleuve qui traverse ce petit pays de deux millions d’habitants.
«Je vendais une partie de mon riz pour payer la scolarité de mes enfants et je gardais le reste pour nourrir toute la famille», se souvient Awa Ceesay, 60 ans et mère de huit enfants. Mais l’élévation du niveau de la mer liée au changement climatique a rendu ces champs incultivables: l’eau salée remonte dans le fleuve Gambie et s’infiltre jusqu’à 200 kilomètres à l’intérieur des terres. La baisse de la pluviométrie contribue à accentuer le phénomène car le débit d’eau fraîche, beaucoup plus faible, peine à repousser l’eau salée vers l’océan.
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La salinité des sols, qui affecte au moins trois des six régions de ce pays enclavé à l’intérieur du Sénégal, empire avec le temps et inquiète Saikou Sanyang, directeur du département d’agriculture du ministère.
«Des milliers d’hectares de champs de riz, habituellement arrosés avec l’eau du fleuve, ont dû être abandonnés, constate-t-il, sans pouvoir donner de chiffre plus précis. Cela nous freine dans la poursuite de notre objectif de production de 217.000 tonnes de riz par an, alors que nous n’en sommes qu’à 30.000 tonnes.»
- Restaurer la mangrove
En voyant se détériorer sous ses yeux les terres cultivées par sa mère, Muhammed Ceesay a décidé de s’engager dans la lutte contre le changement climatique. «Notre mère s’est battue pour payer nos études grâce au riz. Sans cela, nous n’aurions pas pu améliorer notre situation», témoigne le jeune homme de 28 ans, désormais chef de projet au sein de l’ONG gambienne Activista.
Il revient régulièrement dans son village natal, où il a initié la plantation de cent arbres résistant au sel comme le tamarinier, en août 2021, pendant la saison des pluies. Il milite aussi pour planter de la mangrove, cet écosystème végétal qui pousse dans l’eau saumâtre et a le pouvoir de réguler la salinité.
Dans une région voisine, le bourg de Kerewan est confronté au même drame, constate le jeune militant écologiste, guidé par Almamy Fatty, un ancien de la communauté. L’agriculteur montre ce qu’il reste des anciennes parcelles sur lesquelles il cultivait du riz, abandonnées depuis plus de dix ans. Désormais, il ne demeure plus qu’une grande étendue de terre blanchie par le sel et parsemée de buissons épineux. Cette localité de quelque 4.500 habitants aurait perdu entre sept à dix hectares de terres cultivables.
«Avant, ces champs nourrissaient toute la communauté, chacun cultivait au moins ce dont il avait besoin pour manger. Maintenant, notre riz suffit seulement pour quelques mois dans l’année. Le reste du temps, nous devons en importer de Chine mais nous n’avons pas les moyens», se désespère Almamy Fatty, qui dépend aujourd’hui des revenus de son fils, Kemo, lui aussi devenu un activiste environnemental.
- Un enjeu de sécurité alimentaire
«Nous seulement les humains sont en train de souffrir, mais tout l’écosystème aquatique est détruit. Nous avons vu disparaître des végétaux et la population de poissons du fleuve a drastiquement diminué», constate Kemo Fatty, qui est revenu déçu de la COP26, la conférence internationale sur le climat qui s’est tenue en novembre 2021à Glasgow (Ecosse) et à laquelle il a participé. «Le réchauffement climatique est un problème mondial, la pollution vient des pays les plus riches et c’est nous qui en payons les frais», s’indigne le jeune homme.
Heureusement à Kerewan, quelques hectares ont pu être préservés grâce à une digue construite dans le cadre d’un programme du ministère de l’agriculture. Ce barrage empêche l’eau salée de rentrer dans les champs mais se révèle aussi utile pour retenir l’eau fraîche de la pluie. Le village réclame des fonds supplémentaires pour son entretien et espère que d’autres ouvrages seront érigés.
«Les pluies n’ont pas été bonnes cette année et la digue a été abîmée. Le riz n’a donc pas pu mûrir correctement», indique l’agricultrice Aja Jawara, en frappant les épis avec un bâton pour en faire sortir les grains blancs.
La salinisation des sols est un enjeu de sécurité alimentaire. Pour y répondre, certains prônent une diversification des cultures. Dans les régions touchées, des agriculteurs se sont ainsi lancés dans la production de légumes maraîchers pour leur propre consommation mais aussi pour la vente. Des cultures qui peuvent se faire sur des terres plus éloignées du fleuve et qui se contentent d’un arrosage avec l’eau du puits.
- Conflits fonciers
Une autre solution consiste à cultiver de nouvelles variétés de riz résistantes et tolérantes au sel. «Mais le problème est d’avoir accès aux semences», souligne Saikou Sanyang, du département d’agriculture.
Confrontés à des sols devenus incultivables, certains agriculteurs partent à la recherche de nouvelles terres. Ces migrations entraînent fréquemment des conflits fonciers entre les différentes communautés qui se disputent l’accès aux ressources. Un phénomène qui inquiète particulièrement Muhammed Ceesay. Le militant a donc mis en place avec Activista un programme dans trois régions pour renouer le dialogue entre les populations.
«Ce projet répond plutôt aux conséquences du changement climatique, dont les effets sont déjà là, explique-t-il. En même temps, nous faisons de la sensibilisation aux pratiques durables d’agriculture, par exemple en dissuadant de couper les arbres pour en faire du charbon.» Prévenir et guérir, telle est la recette qu’il préconise pour tenter au mieux de s’adapter.
Photo: Almamy Fatty sur ses anciens champs de riz à Kerewan, abandonnés depuis plus de dix ans à cause de l’intrusion d’eau salée liée à la montée des eaux de l’océan. THEA OLLIVIER
Théa Ollivier(Panchang et Kerewan, Gambie, envoyée spéciale)
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Posté Le : 10/01/2022
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Théa Ollivier(Panchang et Kerewan, Gambie, envoyée spéciale)
Source : https://www.lemonde.fr/ publié le 3 janvier 2022