Algérie

Planète (Afrique) - En Côte d’Ivoire, l’ONG African Parks lorgne le parc national de la Comoé


Planète (Afrique) - En Côte d’Ivoire, l’ONG African Parks lorgne le parc national de la Comoé


L’organisation sud-africaine de conservation de la nature est en pourparlers avec le gouvernement pour gérer l’un des plus grands espaces savanicoles d’Afrique de l’Ouest.

L’ONG sud-africaine de conservation de la nature African Parks est-elle sur le point de prendre pied en Côte d’Ivoire? Présente dans une dizaine de pays africains, avec près de 15 millions d’hectares d’aires protégées sous sa gestion, elle convoite désormais le parc national de la Comoé, une réserve de biosphère exceptionnelle d’un million d’hectares dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, à la frontière avec le Burkina Faso et proche du Ghana.

Si aucun contrat n’a pour l’instant été signé entre African Parks et les autorités ivoiriennes, les négociations entre les deux parties se sont accélérées ces derniers mois. Et des rencontres ont eu lieu: en juin et novembre au Bénin, où l’ONG pilote déjà la gestion de deux parcs, le W et la Pendjari, et en Côte d’Ivoire, où plusieurs sites naturels pourraient lui être confiés.

«Des discussions sont en cours avec le gouvernement de la Côte d’Ivoire concernant la possibilité pour African Parks de soutenir la gestion des aires protégées dans un ou plusieurs parcs», a confirmé l’entité sud-africaine au Monde Afrique. En privé, une signature entre les deux parties au premier semestre de 2022 est régulièrement évoquée.

. Lire aussi Au Tchad, la renaissance de la réserve d’Ennedi confiée à une ONG sud-africaine (A lire sur site)

Le modèle de partenariat envisagé, dans un premier temps, serait celui d’une «gestion déléguée» du parc pour une durée de dix ans, au cours de laquelle l’ONG s’engagerait à préserver ce qui est l’un des plus grands espaces savanicoles d’Afrique de l’Ouest. La question de la réintroduction de certaines espèces, notamment du rhinocéros noir et du lion, a été abordée. Dans un second temps, expliquent plusieurs sources au fait des discussions, il sera question de développer les infrastructures touristiques.

«Une fois que vous avez la matière, c’est-à-dire les animaux et les pistes, vous pouvez construire des lodges», explique l’une de ces sources, ivoirienne, qui a requis l’anonymat. «C’est le modèle qui a fonctionné en Afrique australe et qu’on doit répliquer ici: à eux de s’occuper de la conservation et au secteur privé, de préférence ivoirien, de s’engouffrer dans la brèche.» Ces dernières années, quelques sites d’écotourisme ont vu le jour au sein des parcs et réserves naturelles de Côte d’Ivoire.

- Sanctuaires à éléphants

A la manœuvre derrière ce rapprochement, le ministre des eaux et forêts, Alain-Richard Donwahi. Selon les textes, les réserves et les parcs du pays, comme celui de la Comoé, sont du ressort du ministère de l’environnement. Seules les «forêts classées» – des sites moins «exceptionnels» – sont sous la tutelle du ministère des eaux et forêts. Mais dans les faits, c’est bien le ministre Donwahi qui est au front sur ce dossier et qui s’est rendu au Bénin en juin pour visiter le parc de la Pendjari, géré par African Parks. Cette visite a d’ailleurs coïncidé avec celle de Peter Fearnhead, le patron de l’ONG.

A cette occasion, le ministre a déclaré à propos de ce qu’il a vu à la Pendjari que «c’est le chemin que nous voulons emprunter en Côte d’Ivoire dans la gestion des aires protégées, des forêts», faisant le vœu que «l’expérience puisse se répéter en Côte d’Ivoire». Alain-Richard Donwahi envisagerait aussi de déléguer à l’ONG la gestion de certaines forêts classées pour les transformer en sanctuaires à éléphants, dont la population, largement braconnée depuis des décennies, est passée de 1.200 individus en 2001 à environ 300 en 2020. Sur son site internet, African Parks se félicite d’avoir fait de la lutte contre le braconnage l’un de ses principaux domaines d’expertise.

. Lire aussi Article réservé à nos abonnés En Côte d’Ivoire, dans l’intimité des chimpanzés du parc de la Comoé (A lire sur site)

Malgré les efforts fournis ces dernières années par les autorités pour juguler la destruction des biosphères nationales, «la situation ne s’améliore pas», estime un expert ivoirien qui souhaite rester anonyme: «Nos forêts continuent de disparaître et la biodiversité dans ces zones est fortement affectée.» Qu’importe, donc, si la sous-traitance à une entité étrangère des aires protégées sonne comme un aveu d’échec pour les autorités; le recours à ce type de gestion, avec des acteurs non étatiques, «est la solution aux maux que nous connaissons et le seul moyen de sauver ce qui peut encore l’être».

D’autres, encore, louent la capacité de mobilisation de financements d’African Parks. «Derrière eux, il y a l’Union européenne et les agences de développement, ça nous rassure quant à l’utilisation qui sera faite des fonds», glisse un opérateur économique qui connaît bien le secteur touristique.

- Des écogardes lourdement armés

Reste que le potentiel touristique de la Comoé semble à court terme sérieusement compromis par les risques sécuritaires qui pèsent sur la zone et inquiètent le pouvoir ivoirien comme ses partenaires internationaux. Entre juin 2020 et juin 2021, une série d’attaques ont ciblé les forces de sécurité ivoiriennes dans la zone située entre la frontière burkinabée et le parc de la Comoé. Dix-huit gendarmes et policiers ont été tués. Elles n’ont pas été revendiquées, mais les autorités et les experts soupçonnent les éléments de la katiba Macina, d’Amadou Koufa, à la tête d’un groupe affilié au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

De l’autre côté de la frontière, au Burkina Faso, de plus en plus d’attaques ont été recensées ces derniers mois, faisant craindre une expansion des groupes armés vers la Côte d’Ivoire. «Le parc de la Comoé n’est ni une passoire, ni un refuge pour les groupes terroristes sahéliens à ce jour», tempère un notable du nord, tout en admettant que certains membres de ces groupes armés peuvent ponctuellement «s’y cacher, s’y entraîner ou s’y ravitailler».

. Lire aussi : Le parc de la Comoé, frontière poreuse (A lire sur site)

Dans ce contexte, la Côte d’Ivoire serait-elle tentée de sous-traiter la gestion sécuritaire du parc à African Parks? L’ONG est habituée à opérer dans des zones sensibles, comme au Bénin, où la menace terroriste sahélienne est de plus en plus forte. En Centrafrique, au Tchad et en République démocratique du Congo (RDC), African Parks travaille depuis de nombreuses années sur des sites où sévissent des groupes armés.

Ses écogardes ont souvent suivi des formations quasi militaires et sont lourdement armés, au point que la firme a parfois été accusée de «militariser» la conservation. Des critiques qu’elle récuse, affirmant que face à des braconniers armés, ses rangers, qui protègent la faune et la flore, doivent l’être aussi. Quoi qu’il en soit, African Parks n’est «absolument pas inquiète quand on lui parle de la situation sécuritaire dans le nord», confie une source ivoirienne concernée par les discussions avec l’ONG.

- Pêcheurs, transhumants et orpailleurs

Se pose également la question du sort réservé aux communautés locales en cas de reprise en main par African Parks. Outre les pêcheurs et transhumants qui, historiquement, parcourent régulièrement le parc de la Comoé, une autre catégorie, plus problématique aux yeux de l’ONG, s’y aventure depuis quelques années: les orpailleurs. Sur un modèle qui va du très artisanal au semi-industriel, ces derniers travaillent sans permis et détruisent les sols et les forêts du parc.

. Lire aussi En Côte d’Ivoire, au Parc de la Comoé, une gestion concertée pour réconcilier paysans et éleveurs (A lire sur site)

«C’est une gageure pour l’ONG, indique un ancien d’African Parks. Car si elle les chasse, ces populations viendront grossir les bataillons de chômeurs dans une région déjà pauvre.» Selon lui, l’organisation a «beaucoup appris de ses erreurs passées, notamment en Centrafrique, où elle était venue en conquérante sans se soucier des communautés locales». Il n’en demeure pas moins qu’un peu partout sur le continent, les conflits se multiplient dans les aires protégées entre les «conservationnistes» et les populations locales, qui se plaignent d’être dépossédées de leurs terres.



Photo: Un panneau du parc national de la Comoé, à Bouna, dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, en janvier 2019. SIA KAMBOU / AFP

Yassin Ciyow (Abidjan, correspondance)
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)