En Côte d’Ivoire, où la climatisation est massivement utilisée, des architectes réinvestissent les techniques de construction traditionnelles. Contre le tout-béton, ils cherchent à élaborer des habitats durables, en harmonie avec leur environnement.
Abidjan (Côte d’Ivoire), correspondance
Il est 15 h, le soleil semble plus que jamais rayonner de toute sa puissance. Cette chaleur est amplifiée par le goudron parsemé de nids de poule du quartier d’Adjamé Liberté, plus grande gare d’Abidjan. Fatou Bila, une femme de petite taille, tente de se frayer un chemin dans la foule, tout en essayant d’échapper aux vendeurs des rues. «Tantie, regarde joli pantalon là…», interpelle l’un d’entre eux.
Tant bien que mal, la couturière arrive à échapper au tumulte si particulier de la capitale économique ivoirienne. Elle se dirige vers son habitation, seule maison dans ce quartier résidentiel entouré de tours de plusieurs dizaines d’étages.
Une fois chez elle, Fatou Bila s’empresse de retirer ses chaussures et son vêtement ample, tout en allumant la climatisation. «Il fait trop chaud aujourd’hui! Avec la clim’, il va faire meilleur d’ici peu.» Ce réflexe d’allumer un climatiseur dans une pièce est commun à tous les Ivoiriens qui ont les moyens de s’en offrir un.
- Mangroves en danger
En Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, 55 % de l’énergie est utilisée pour refroidir les habitats. Dans une quête de modernité, les pays africains ont copié l’architecture européenne basée sur le béton, qui coûte cher financièrement, mais aussi écologiquement à cause de l’exploitation du sable qui favorise l’érosion des côtes. «L’impact de la houle combiné à l’exploitation des matériaux marins (sables et graviers), favorise l’érosion côtière qui atteindrait deux mètres par an. Les conséquences sont multiples telles que des déplacements de populations, la destruction d’infrastructures ou d’écosystèmes fragiles comme les mangroves…», explique le ministère de l’Environnement ivoirien dans un rapport du programme de prévention des risques liés aux catastrophes naturelles en Côte d’Ivoire.
Dans les villages, la terre reste le matériau de construction de base. (Photo à voir sur le site de reporterre.net)
Entre mai 2017 et juin 2018, quarante-cinq Ivoiriens ont perdu la vie dans des inondations et glissements de terrain. Depuis 2009, en moyenne treize personnes décèdent chaque année dans la ville d’Abidjan à cause des inondations et des glissements de terrain associés aux pluies extrêmes.
À partir de tels constats, bon nombre d’architectes remettent aujourd’hui en question l’utilisation du béton dans les constructions, une pratique inadaptée au climat et au mode de vie de la région. Une vague de jeunes et de moins jeunes architectes se tournent vers l’architecture bioclimatique, plus respectueuse de l’environnement.
- 80 % des matériaux de construction sont importés
À moins d’une centaine de kilomètres d’Abidjan, à Assinie Mafia, Mahoua Fadika Delafosse vit dans une maison bien différente de celles qu’on a l’habitude de voir dans cette station balnéaire, composée principalement de résidences secondaires. «Je ne voyais pas l’intérêt de m’enfermer dans une maison en béton avec la climatisation toute la journée. Je voulais une maison d’inspiration africaine respectueuse de l’environnement», dit-elle. En Côte d’Ivoire, 80 % des matériaux utilisés pour la construction sont importés, selon le ministère du Logement.
«Ici c’est le contraire. 80 % des matériaux sont locaux, le reste vient uniquement de matériaux recyclés», raconte Mahoua. Dans cette grande résidence, les murs sont en terre et les carreaux de la piscine recyclés. «Avant même de commencer à construire la maison, ils ont planté des arbres, mis de côté ceux qui étaient là pour les replacer par la suite. Aujourd’hui, j’aimerais bien que la maison disparaisse derrière la végétation alors je continue à planter», poursuit-elle.
À l’intérieur du Pavillon Terre du sud, imaginé par les architectes du Koffi & Diabaté Group. (Photo à voir sur le site de reporterre.net)
Retour à Abidjan. La résidence Chocolat donne l’impression d’être dans une autre ville. Ses habitants peuvent profiter de 57 % d’espaces verts, bien plus que pour la majorité des Abidjanais. Ici, on vit tous ensemble. Le jardin est partagé. «Chocolat est l’exemple de l’habitat de demain, celui de la vie en communauté», explique son architecte, Guillaume Koffi.
Éric, lui, vit avec sa femme et ses enfants, dans une maison en bio-architecture, construite il y a tout juste quatre ans. «Pas besoin de climatisation et on utilise très peu les lumières artificielles. Ça vaut son prix, mais les coûts sont amortis puisqu’on économise sur la facture d’électricité et qu’on n’utilise pas de peinture ou d’enduit. Sur le long terme ça revient moins cher qu’une maison non durable et puis on a le charme de quelque chose de naturel», détaille-t-il avec le sourire.
La résidence Chocolat et les pavillons font partie des réalisations de l’agence Koffi & Diabaté Group, renommée dans la bio-architecture en Afrique. «Le logement doit répondre à des problématiques climatiques, sociales, culturelles, en somme, des problématiques de vie. Notre objectif d’architectes est de penser l’habitat de demain et nous sommes intimement convaincus que c’est un habitat qui se doit d’être durable», dit Issa Diabaté, architecte cofondateur de cette agence.
La bio-architecture s’inspire fortement des méthodes de construction traditionnelles utilisant les ressources locales. (Photo à voir sur le site de reporterre.net)
Dans les villages où la course de la modernité n’est pas encore arrivée, les constructions en terre répondent aux besoins et contraintes des habitants. Ce sont elles qui inspirent ces architectes qui veulent donner aux Africains la possibilité de vivre dans le confort tout en respectant l’environnement.
Aujourd’hui, le cabinet d’architecture a mené à bout trois cents projets en presque vingt ans. Avec comme principe l’utilisation de matériaux locaux et/ou recyclés, la ventilation et l’éclairage naturel, la maîtrise du cycle de l’eau, ainsi que la réduction des déchets et la maîtrise de leur élimination. «Nous n’allons pas faire de promesses farfelues avec des panneaux solaires ou autres. Simplement, nous partons du fait que la nature est le centre de tout. Nos constructions se font en harmonie avec elle. Avant de construire une maison, on va regarder l’orientation du soleil, la direction du vent, la végétation qui nous entoure… Dans notre construction, la nature est le centre, le commencement», dit avec passion Issa Diabaté.
- À Abidjan, une urbanisation «chaotique»
Guillaume Koffi, qui fut pendant plusieurs années président de l’ordre des architectes ivoiriens, pointe du doigt l’absence de volonté des pouvoirs publics ivoiriens pour la bio-architecture. «Les outils utilisés sont dépassés. Les pouvoirs publics courent après la ville», dit-il. Un jugement confirmé par le ministère du Logement ivoirien qui qualifie l’urbanisation de la capitale économique du pays, qui accueille 20 % de la population ivoirienne, de «non contrôlée» et «chaotique».
La bio-architecture est un domaine qui gagne du terrain sur le continent même s’il reste difficile à quantifier. Dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal, le Burkina Faso ou encore le Mali, des architectes mondialement connus portent ce combat. Une bonne nouvelle pour un continent dont l’ONU considère que 80 % des logements qui serviront en 2050 sont encore à construire.
Photo: chapo: Le Pavillon Terre du sud construit par Koffie & Diabaté Group à Assinie Mafia © Alexandra Loreto
Mariam Koné (Reporterre)
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Posté Le : 24/10/2020
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : 23 octobre 2020 / Mariam Koné (Reporterre)
Source : https://reporterre.net/