Algérie

Planète (Afrique) - Climat/Pluies exceptionnelles du Mali au Soudan: le Sahara sous les eaux



Planète (Afrique) - Climat/Pluies exceptionnelles du Mali au Soudan: le Sahara sous les eaux


Depuis un mois, les inondations dans la bande sahélo-saharienne ont provoqué plus de 1.000 morts et fait 3 millions de déplacés.

«Dans le nord du pays, même les anciens de 80 ans nous disent qu’ils n’ont jamais vu de tels torrents dévaler leurs terres.» Le ministre tchadien de l’Aménagement du territoire, Mahamat Assileck Halata, qualifie sans hésiter cette saison des pluies d’«extraordinaire». Partout dans la bande sahélo-saharienne, l’une des plus arides de la planète, le ciel a déversé cette année des trombes d’eau exceptionnelles. Du Mali au Soudan, en quelques semaines, les inondations ont fait plus de 1.000 morts et 3 millions de déplacés. «Et il continue de pleuvoir, se désole Mahamat Assileck Halata, par ailleurs vice-président du Comité national de gestion des inondations. Après la violence dévastatrice des wadi [ces rivières à sec qui se réveillent brutalement à la saison des pluies, ndlr], nous craignons la crue des fleuves, déjà anormalement hauts.»

En 2022, déjà, la région avait connu une saison des pluies intense, marquée par des inondations meurtrières. «Mais cette année, c’est pire. Je n’avais jamais été confronté à de telles scènes, affirme Izadine Ali Mahamat Mahamoudi, de l’ONG Action humanitaire africaine. Dans le Tibesti [région septentrionale du Tchad], des gens s’étaient installés dans un wadi qui n’avait pas coulé depuis quarante ans. La nuit, l’eau les a emportés.» Au 3 septembre, au moins 350 personnes avaient perdu la vie au Tchad dans les inondations. Le Tibesti est la région comptant le plus de morts. «Là-bas, il y a aussi des orpailleurs qui ont été pris au piège au fond de leurs puits», indique Izadine Ali Mahamat Mahamoudi.

- Zone de convergence tropicale

«Ce n’est pas souvent que le désert du Sahara connaît de telles précipitations. Elles sont normalement très rares, moins d’une fois par décennie en moyenne, mais elles sont généralement le signe que quelque chose est en train de changer dans le système météorologique de la Terre, indiquant un état inhabituel de l’atmosphère à l’approche de l’automne et de l’hiver», rappelle Andrej Flis, animateur du site de météorologie Severe Weather. Dans une note de blog détaillée, il relève que la zone de convergence tropicale – une «bande de nuages, d’averses, de tempêtes et de précipitations» créée par la rencontre «des alizés des deux hémisphères, créant un mouvement ascendant» autour de l’équateur – s’est déplacée exceptionnellement vers le nord cette année. Un phénomène climatique qui pourrait être lié aux températures anormalement élevées de l’océan Atlantique et de la mer Méditerranée.

«Au cours des trente derniers jours, les quantités de précipitations enregistrées dans la bande sahélienne étaient globalement supérieures de 120 % à 600 % à la moyenne de la période de référence 1991-2020, décrit le bulletin du Centre climatique régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel daté du 5 septembre. Ces quantités des pluies dépassaient la moyenne de 400 % à 600 % dans le nord du Tchad, au nord et au centre du Niger et dans le sud-est de la Mauritanie.» En septembre, il a donc plu en plein désert du Sahara. «Il est tombé plus d’eau en quatre jours qu’en quatre hivernages, rapporte un élu de la commune de Tessit, dans le nord du Mali. Dans beaucoup de villages, environ un tiers ou même la moitié des maisons [en terre crue] ont été détruites. A Tessalit, où il pleut en moyenne 30 mm par an, il est tombé 82 mm en une seule fois.» L’état de catastrophe nationale été déclaré par les autorités maliennes. A la mi-août, le plafond du Tombeau des Askia (1495), joyau architectural de la ville de Gao, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, s’est effondré.

- «La grêle détruit les champs de mil»

Au Niger, la plus ancienne mosquée de la ville de Zinder a connu le même sort début septembre. «Dans la région d’Agadez, des nombreuses maisons en banco dans la vieille ville, classées au patrimoine de l’Unesco, se sont également écroulées, témoigne un géographe. Les gens sont en train de proposer aux autorités de repousser la rentrée d’octobre puisque les salles de classes sont occupées par les sinistrés dans beaucoup de villes, notamment dans la région de Maradi.» Plus de 700 000 Nigériens ont été déplacés, selon l’ONG Save the Children. A 15 kilomètres d’Abéché, dans l’est, 15 élèves d’une école coranique et leur maître sont morts dans l’effondrement de leur maison la semaine dernière. «Mais le problème n’est pas que celui des habitations. Il y a aussi les pertes des cultures, et donc des moyens de subsistance, pointe l’universitaire. Dans la région de Zinder, la grêle détruit les champs de mil. A Agadez, plusieurs communes du massif de l’Aïr ont vu leurs cultures d’oignons complètement submergées par le sable charrié par les crues des vallées.»

Les axes de circulation ont parfois été coupés par les inondations. Niamey, la capitale du Niger, a connu plusieurs jours d’isolement après que des ponts ont été emportés par les crues à la sortie de la ville. Les routes du grand nord, menant à la frontière algérienne, sont encore sous les eaux. Au Tchad, «certaines villes restent inatteignables pour les camions gros porteurs», indique le ministre Mahamat Assileck Halata. «Après les victimes, les murs écroulés et les cultures dévastées, le grand souci, c’est le ravitaillement», détaille le préfet d’Assoungha, Ali Mahamat Sebey. Son département accueille sur son territoire les vastes de camps de réfugiés soudanais fuyant la guerre de l’autre côté de la frontière. Des centaines de milliers de personnes y sont rassemblées, dépendantes de l’aide humanitaire. «Entre Abéché [la grande ville de l’est] et Adré [à la frontière soudanaise], il y a en ce moment cinq grands wadis impraticables, explique-t-il. Les vivres sont totalement bloqués.»

- L’Afrique plus exposée au changement climatique

A Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno, dans le nord-est du Nigeria, un barrage a cédé sous la pression des eaux. La rivière Ngada en furie s’est déversée dans la ville, détruisant des milliers de maisons. Au moins 30 personnes ont été tuées, et 400.000 ont été déplacées. Selon Zubaida Umar, la directrice de l’Agence nationale de gestion des urgences, «environ 40 % de Maiduguri» est dévasté. «Nous secourons encore des gens et au final, il pourrait y avoir un million de déplacés», a-t-elle prévenu dans une interview à la BBC.

L’été 2024 a été le plus chaud jamais enregistré sur la planète. Or «l’Afrique pâtit de manière disproportionnée du changement climatique», rappelle l’Organisation météorologique mondiale. «Le continent s’est réchauffé à un rythme légèrement plus rapide que la moyenne mondiale, d’environ 0,3°C par décennie entre 1991 et 2023», indique un rapport de l’OMM publié le 2 septembre. Les «extrêmes climatiques, notamment les inondations et les sécheresses», plus fréquents en Afrique qu’ailleurs, «ont eu un retentissement majeur sur la sécurité alimentaire». Conséquence : «Les pays africains perdent en moyenne 2 à 5 % de leur PIB à gérer ces extrêmes climatiques, et nombre d’entre eux réaffectent jusqu’à 9 % à cet effet.» Personne n’a encore chiffré le coût de la saison des pluies «extraordinaire» que traverse le Sahel.





Photo: Des habitants de Maiduguri, dans l'Etat nigérian de Borno, évacuent leurs maisons inondées jeudi 12 septembre. Un barrage a cédé sous la pression des eaux, libérant la rivière Ngada qui a détruit des milliers de maisons. Au moins 30 personnes ont été tuées, et 400.000 ont été déplacées. (Ahmed Kingimi/Reuters)

par Célian Macé


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