Des milliers de paysans sont affectés par le manque de précipitations dans le pays, troisième producteur africain de fèves après la Côte d’Ivoire et le Ghana.
A Nkengué, petit village situé dans la région Centre du Cameroun, Richard Mbassi Ambassa, 77 ans, s’est longtemps félicité d’être «l’agriculteur exemplaire». Son champ de cacao entretenu avec soin attirait ses collègues, les jeunes prêts à se lancer dans le métier et même les autorités locales de passage dans le coin. Durant plus de soixante ans, cette plantation a permis à Richard Mbassi de s’occuper de sa famille: chaque année, la vente des fèves de cacao lui rapportait entre 500.000 et 800.000 francs CFA (de 760 à 1 220 euros), parfois plus. De quoi assurer la scolarité de ses enfants et la subsistance du foyer.
Mais cette saison, «c’est la catastrophe», soupire le producteur, qui n’a «même pas encore pu récolter une cuvette de fèves». Son champ de plus de trois hectares, envahi par les herbes, est parsemé de plants de cacao asséchés et de cabosses pourries. «Il y a eu trop de soleil et pas assez de pluie. C’est la première fois que nous vivons une telle sécheresse. Elle a tout détruit», se désespère-t-il. Comme lui, des milliers de paysans ont été frappés par le manque de précipitations au Cameroun, troisième producteur africain de fèves de cacao après la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Selon les agriculteurs de la région Centre, premier bassin de production dans le pays, le calendrier agricole a été «bouleversé». «Avant, tout était bien calibré. On avait les dernières pluies en décembre dans certaines zones. Puis ça revenait dès le mois de mars. Cette année, rien n’a été respecté. De novembre 2020 jusqu’en mai 2021, on a eu du soleil, une sécheresse terrible, une chaleur excessive», explique Foé Momo, président de la Société coopérative des planteurs et agriculteurs du Cameroun. Lui a perdu plus de 1.300 plants de cacao, «grillés par le soleil», soit 1,5 hectare sur un ensemble de 4,5; et ceux restants n’ont «presque rien produit», déplore-t-il, affirmant que «le cacao, pour nous, c’est comme de l’or».
- Une «sérieuse perturbation» des saisons
«C’est un problème général chez tous les producteurs. Les premières fleurs ont été touchées par le soleil. Elles ne sont pas allées jusqu’à maturité», confirme Gérardine Sonkoué, directrice de la Confédération nationale des producteurs de cacao et café du Cameroun (Conaprocam). Et le phénomène risque de se reproduire. Selon Christophe Bring, directeur de la conservation et de la gestion des ressources naturelles au ministère de l’environnement, ces dernières années ont été marquées par «une sérieuse perturbation» des saisons sèche et pluvieuse. Une situation qui affecte la culture du cacao, dont le cycle est «long et complexe». «C’est une plante qui produit des fruits chaque année. Elle peut être sensible à cette irrégularité climatique», précise-t-il.
S’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences sur la récolte en cours, les cultivateurs parlent déjà de «baisse drastique de la production» et s’inquiètent de basculer dans la pauvreté. Les fèves de cacao représentent près de 15 % des produits d’exportation du Cameroun. «Toute la chaîne de valeur se retrouve dans l’étau. Les conditions de vie des producteurs deviennent de plus en plus précaires. C’est un véritable coup de marteau», s’alarme Raymond Adengoyo, du Conseil interprofessionnel du cacao et café (CICC), qui mène depuis 2014, en collaboration avec l’Institut agricole pour le développement (IRAD), une étude sur les conséquences du dérèglement climatique sur la production de cacao et de café dans le pays.
Selon Raymond Adengoyo, un constat émerge de cette enquête, toujours en cours: la production annuelle de cacao stagne autour de 250.000 tonnes. Elle a atteint 292.000 tonnes commercialisées pour la saison 2020-2021, une augmentation due en grande partie à l’apport des plus gros agriculteurs, qui représentent «de 5 à 15 % des 600.000 producteurs du pays». «Le reste, la grande majorité, n’a pas les moyens d’acheter des intrants, d’irriguer les champs et de faire face aux changements climatiques», observe-t-il. Le pays ambitionnait pourtant d’atteindre les 600.000 tonnes en 2020.
- «Il n’y a pas de solution miracle»
Au terme de l’étude, le CICC et l’IRAD comptent recommander aux producteurs une approche «basée essentiellement sur la phénologie», autrement dit le rythme de croissance des cacaoyers. «Nous leur demandons de ne plus se fier au calendrier agricole mais au développement du plant. C’est l’observation qui leur permet de voir ce qu’il y a lieu de faire, d’identifier l’action à mener», explique Raymond Adengoyo, tout en reconnaissant qu’«il n’y a pas de solution miracle pour cette situation urgente qui mérite une bonne stratégie gouvernementale», avec l’apport d’intrants, la mise en place de systèmes d’irrigation dans les zones affectées, l’accompagnement financier des producteurs…
En attendant, à Nkengué, Pangrâce Ndzana déambule dans son champ de quatre hectares de cacao, laissé à l’abandon. Armée d’une machette, elle abat des plants asséchés qui lui serviront de bois de chauffe. Cette veuve, âgée de 54 ans et mère de dix enfants, dit avoir «perdu le sommeil» à l’idée de ne pas pouvoir assurer leur éducation. «En août 2020, j’avais déjà récolté plus de trois sacs, ce qui m’avait permis de payer leurs frais de scolarité et de faire une avance de loyer pour ceux qui sont à l’université. Je ne sais comment je vais m’en sortir cette année», s’inquiète-t-elle.
A quelques kilomètres de là, Janvier Atangana, 42 ans et père de sept enfants, pense à se lancer dans la culture de la tomate, «qui produit vite et donne plus d’argent».
Photo: Pangrâce Ndzana, 54 ans, dans son champ de quatre hectares de cacao abandonné, à Nkengué, en août 2021. JOSIANE KOUAGHEU
Josiane Kouagheu(Nkengué, Cameroun, envoyée spéciale)
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Posté Le : 04/10/2021
Posté par : akarENVIRONNEMENT
Ecrit par : Par Josiane Kouagheu - Publié le 25 septembre 2021
Source : https://www.lemonde.fr