Algérie

Plaisir, découvre-toi !



Insaisissable, le plaisir reste toujours à définir, même si la psychologie moderne le considère banalement « comme lié à la satisfaction d?un besoin spécifique ». Sur ma table de travail, trois photographies tramées, à la limite de l?exécution lithographique, représentant à mes yeux ce qu?il y a de plus merveilleux dans l?esprit humain. Même chiffonnées par endroits, il s?en dégage quand même une espèce de force magique, mais régulée, à même de me rendre vraiment heureux à chaque fois que je les contemple. Est-ce là un plaisir d?un autre genre ? La première photographie reproduit la page d?un livre d?Al-Fârâbî traduit en latin par Gérard de Crémone (1114-1187), celui qui s?était spécialisé dans la transmission de l?héritage culturel arabo-musulman vers le latin, et fut, à lui tout seul, une école en matière de traduction. Quelle lecture faut-il en donner ? Je ne sais quoi répondre sinon que je me sens vraiment émerveillé. Sur la deuxième, on voit un tableau gardé en l?état, c?est-à-dire tel qu?il a été laissé par Albert Einstein, quelques jours seulement avant sa disparition en 1955. Je me contente de l?admirer avec un étonnement intact pour les symboles mathématiques qui occupent la totalité de sa surface. La troisième photographie, quant à elle, reproduit une page jaunie, extraite du fameux livre d?Ibn Arabi, « Les conquêtes mecquoises », et annotée par un soufi algérien qui en avait pris possession au cours du premier quart du siècle dernier. Gérard de Crémone, en traduisant le livre d?Al-Fârâbî, « La classification des sciences », savait qu?il avait affaire à une espèce de compendium où il était question d?une manière de voir le monde. En effet, Al-Fârâbî, en philosophe rompu aux questions du savoir, entendait situer la place de l?homme dans l?univers à travers les réalisations scientifiques depuis le commencement des temps jusqu?à son époque. La page de garde parcheminée du manuscrit rappelle bien certaines copies du Saint Coran à l?âge classique. Du violet obscur, associé volontairement au rouge vermeil et au bleu clair par endroits, se disputent la grisaille d?une page malmenée par les mains des lecteurs et la patine du temps. En revanche, la splendeur qui s?en dégage suscite ce type de plaisir tant recherché par les calligraphes et les copistes dans leurs boutiques d?antan. Et dire qu?il suffit, parfois, d?un clin d??il amusé pour raffermir les attaches avec la vie ! Sur la même page de garde du livre d?Ibn Arabi, les annotations du soufi algérien invitent le lecteur à ouvrir ses sens pour prendre un départ sérieux vers ce qui est sublime dans le monde de la spiritualité. Le charme de cette invitation réside essentiellement dans la manière de la formuler en faisant usage d?une écriture légèrement bleutée, ponctuée d?un noir dégradé. Est-ce à dire que le monde du soufisme, voué pourtant au déchiffrement élevé des sens cachés, commence par la matérialité la plus simple ? Les ultimes symboles mathématiques tracés par Einstein ne relèvent-ils pas quant à eux du même ordre ? Et pourquoi ne pas y voir une réalisation picturale dont les plus hardis des peintres se montreraient incapables, ou encore, une ?uvre musicale qui échapperait totalement aux schémas de la composition classique, comme un solfège encore inconnu ? Autant de découvertes en des représentations pourtant familières et vues quotidiennement, autant de plaisirs !


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