Algérie

Plaisanterie, aberration et insolence


Alger, ville sans voitures vendredi prochain ? L'idée n'est pas mauvaise en soi, surtout si elle est élargie par les politiques pour faire un jour de l'Algérie, un pays sans hogra, sans corruption et sans bureaucratie. Vendredi prochain, Alger se débarrassera durant quelques heures du bruit des voitures, de leur pollution et de leur encombrement. « Une journée sans voitures » est une idée suggérée aux autorités publiques par Cheikh Ferhat qui n'est plus à présenter. « C'est pour habituer les Algérois à marcher, à préserver l'environnement, en vivant sans trop de bruit et en respirant un air sain », nous a-t-il dit. Il souhaiterait que l'initiative s'élargisse à l'ensemble du territoire national, manière d'inculquer une nouvelle culture aux Algériens. En attendant le vendredi, hier mardi, le ministère de l'Environnement organisait une réception aux participants au Raid Harley Davidson, une sorte de rallye des grosses motos, dont la nocivité en matière de pollution n'est pas à démontrer. Il faut croire que l'Algérie n'est pas ce pays de contrastes, mais des grandes contradictions qui prouveraient que les pouvoirs publics peinent à lui faire garder un juste milieu entre la décision politique et la ferme volonté de la faire respecter et aboutir. Ce reproche, s'il en est un, n'est pas pour les organisateurs du rallye, ni pour ceux qui les reçoivent. La lutte contre la pollution sonore ou de l'air pourrait être cependant, ce luxe que l'Algérie se permettrait, quand on sait que ses institutions fonctionnent sous l'effet de la rumeur, de l'humeur et de la susceptibilité. Les preuves ne manquent pas. Le débat qui a été organisé lundi soir par CARE, ce groupe sensible à la réflexion économique a démontré que l'Etat n'a toujours pas réussi à mettre en place un mode de gestion des affaires, qui permet l'émergence d'une économie à peu près saine, sortir du dédale de l'informel et de la corruption. Venue de la Californie où il est enseignant universitaire, Aït Ouyahia a été ce conférencier qui voulait ce soir là, par des théories claires, démontrer comment cocréer la valeur à partir d'une logique de construction de réseaux. Il est vrai que « l'astuce » manque terriblement à l'entreprenariat national comme les relais aux politiques. « Eux, ont les outils nécessaires pour bien cibler les partenaires capables de cocréer la valeur avec eux », disait le conférencier. Et nous, avons-nous des indications précises pour ne pas nous tromper, y a-t-il des normes universelles ou alors, devons-nous tout simplement les copier pour faire bien comme eux ? Lui demandons-nous. Un investisseur dans les produits pharmaceutiques, rompu aux affaires mais victime de sautes d'humeur des pouvoirs publics, lui raconte son aventure. « J'étais importateur de médicaments, mais un jour, le gouvernement m'a saisi pour me faire savoir qu'il faut absolument que je produise le médicament localement, sinon, je dois fermer. J'ai investi de gros sous dans l'installation d'une usine, j'ai commencé à produire. A peine quelque temps plus tard, le gouvernement décide de libéraliser l'importation du médicament. A mon étonnement sur ce revirement brusque et inexpliqué, des responsables m'ont dit : mais quand on vous a demandé de produire, c'était pour plaisanter ». Avec le détail et la précision, cet investisseur a démontré que le gouvernement fait ainsi dans la plaisanterie quand il s'agit de choses sérieuses. Cet homme d'affaires n'était pas le seul à le dire. Il y avait dans la même salle un de ses homologues qui n'en était pas lui non plus à un gag près de nos gouvernants. Que faut-il faire alors dans ce genre de situation pour tisser des réseaux et cocréer la valeur ? Le conférencier algérien venu de la Californie n'avait pas véritablement de réponse. « Je crois, a-t-il dit, que ce n'était pas à moi de venir vous faire la conférence, mais à un politologue ». Ses propos, il les voulait une réponse à la question : « ne faut-il comme premier pas pour la cocréation de la valeur, changer de système politique qui a atteint ses limites ? »... Hier, les chauffeurs de taxis se sont plaints de vivre à la merci des moudjahidine que l'Etat a toujours désigné comme étant les seuls bénéficiaires de la licence de taxi. Ils nous apprennent que plus de 180 permis de place sont bloqués au niveau de la wilaya d'Alger, parce que les responsables estiment que la capitale est saturée. Ailleurs, à l'intérieur du pays, les permis de place sont, selon eux, délivrés mais ne trouvent pas de licence de taxi. Ce cercle vicieux, l'Etat n'en est peut-être pas conscient, mais il a dû certainement se rendre compte, qu'en délivrant des licences de taxi aux seuls moudjahidine qui, eux, les louent à des chauffeurs détenteurs de permis de place, il n'a pas contribué à mettre en place des réseaux pour la cocréation de la valeur comme le veut le conférencier de Care, mais qu'il a instauré une tradition de rente et d'autre arnaque, qu'il pouvait facilement éviter. Par ce genre de décisions ou de loi, l'Etat entretient non seulement la rente avec ses circuits divers, mais ouvre par ailleurs, les voies à des malversations et pratiques illicites comme le vivent certaines moudjahidate qui ont loué leur licence de taxi, mais peinent à recevoir l'argent de la location par esprit de hogra de chauffeurs malhonnêtes. Autre paradoxe « légal », près de 300 chauffeurs de taxis ont arrêté de travailler à Oran parce que les moudjahidine, qui leur ont loué la licence, sont décédés et leurs héritiers ont refusé de leur reconduire la location. Le conférencier Aït Ouyahia avait insisté sur la possibilité de cocréer de la valeur à partir d'un investissement pour nettoyer la ville des ordures. « Créer un bien social tout en tirant des bénéfices financiers, c'est très possible et courant de l'autre côté», a-t-il dit. «Dans le milieu des affaires, il faut avoir de l'intelligence pour saisir des opportunités pareilles», a-t-il expliqué. Si les artères de l'ensemble du pays sont jonchées d'ordures, pourquoi personne n'a pensé à investir dans ce domaine ? Question sans réponse. Alors quid de l'intelligence «nationale» ? L'on apprend par une jeune fille nouvellement diplômée, qu'elle a été recrutée par une entreprise publique qui lui a reconnu ses compétences mais qui lui a demandé d'enlever le foulard (hidjab) sur les lieux de son travail. « La loi existe depuis 1992 et n'a pas été abrogée, je peux donc l'appliquer quand je veux », lui a dit son responsable. N'est-ce pas une contradiction stupide que l'Etat entretient entre l'esprit de ses lois et les dispositions de sa Constitution ? Cheikh Khaled Bentounes, président de la Confrérie El-Allaouia, s'était interrogé un jour à Alger sur l'utilité d'inscrire en premier dans la Constitution « l'Islam est la religion de l'Etat », alors que l'Algérie est un pays musulman... Autre aberration pour laquelle le gouvernement persiste et signe, la fameuse ligne bleue - encore elle - qui orne le côté gauche de nos périphériques. Mohamed Lazouni, spécialiste qu'il est de la chose routière, n'arrive pas à comprendre son utilité même si ceux qui l'ont peinte l'expliquent par la nécessité d'encourager le covoiturage. C'est encore en contradiction avec la loi que les responsables ont instauré cette voie. Les véhicules lents sont tenus de circuler à droite, mais avec la ligne bleue, ils peuvent se mettre à gauche si leurs passagers sont au nombre de trois et plus. Ils s'entremêlent ainsi les pattes à cause d'une décision qui n'a pas d'alinéa pour expliquer aux agents de sécurité s'ils doivent se placer à droite ou à gauche de la route pour pouvoir pénaliser ceux des automobilistes qui l'enfreignent. Aux dernières nouvelles, une instruction ferme a été faite aux autoécoles pour faire passer le créneau aux poids lourds. Le seul inconvénient pour la mettre en pratique est qu'il n'existe pas de circuits, dans l'Algérois, de 50 mètres de longueur et 20m de largeur comme l'a exigé le législateur... Pourtant, ceux des poids lourds qui ne l'auront pas fait n'auront pas leur permis. La bureaucratie est d'ailleurs là pour le leur faire savoir. Il suffit d'un tour dans les sièges de communes et de daïras pour savoir que l'administration algérienne fonctionne non pas sous le coup de la loi, mais de l'insolence et de la corruption. « Ce n'est pas un jour de réception », nous a lancé méchamment un agent de sécurité à la daïra de Dar El-Beïda où il était question de retirer un passeport. Il n'aura pas la même attitude à l'égard d'autres personnes « bien introduites » celles-là. « Vous n'avez qu'à l'appeler par téléphone si vous voulez voir ce responsable », a-t-il ajouté à notre intention sur un ton insolent et incorrect... L'on sait depuis quelques jours, qu'Alger sera vendredi prochain une capitale sans voitures. Mais ce qui est difficile de savoir, c'est quand l'Algérie vivra-t-elle sans hogra, sans corruption, sans bureaucratie et sans insolence. La commission de réforme des missions et des structures de l'Etat en a pourtant fait l'esquisse.
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