Algérie

Plaidoyer pour une mise à niveau de la «dotation touristique» au profit des citoyens algériens



Publié le 25.07.2024 dans le Quotidien d’Oran
par Mustapha Menouer*

La monnaie est l'enfant des libertés publiques, et se voit garantie par les autorités. Pour Dostoïevski «la monnaie c'est de la liberté frappée». Elle est aussi le symbole de la force de la cité, car la cité la plus prospère et la plus forte peut montrer sa supériorité par l'exposition de son numéraire. La tradition de symboliser les «temples de l'argent» par une réplique du Parthénon date de là.1

Si la monnaie est l'enfant des libertés publiques, force est de constater qu'elle est en retrait en Algérie. En effet la monnaie officielle, le dinar, ne cesse de perdre de sa valeur par rapport aux devises fortes telles que l'euro2 et le dollar3 en raison notamment de la politique monétaire suivie par la Banque d'Algérie basée sur le dogme de l'inconvertibilité de la monnaie pour la majorité des acteurs économiques ainsi que pour les particuliers : la monnaie nationale demeure très faible même par rapport à celles des pays voisins de l'Algérie, de la Libye4, du Maroc5, de la Mauritanie6, de la Tunisie7, qui pourtant n'ont pas des ressources en devises aussi importantes à l'exception de la Libye.

En dehors des mesures de convertibilité partielle de la monnaie, notamment pour les opérations commerciales courantes pour les opérateurs du commerce extérieur, la Banque d'Algérie refuse toujours de convertir du dinar au taux officiel pour les particuliers en dehors d'une dotation touristique ridicule (95 euros par an ce qui équivaut à quinze mille dinars) ce qui dirige ces derniers vers le marché noir des changes. Rappelons que cette dotation de quinze mille dinars convertibles a été fixée par l'instruction n°08-97 du 28 août 1997 relative au droit de change pour voyage à l'étranger. Même si nous acceptions cette instruction de la Banque d'Algérie il faut la replacer dans son contexte et là on s'aperçoit que la valeur du dinar à l'époque était de 58,41 dinars pour un dollar selon le tableau de la Banque d'Algérie8 car l'euro n'existait pas encore. Si nous analysons en euros à partir de l'an 2000 le taux de changes officiel était environ de 70 dinars pour un euro. En conséquence si nous devions faire une simple mise à jour en acceptant une dotation de quinze mille dinars en valeur constante, on obtiendrait une dotation de : 214 euros. En dollars elle serait de 258 dollars. Malheureusement cette simple mise à jour n'a pas été faite depuis… 1997 ! De plus nous sommes loin du compte par rapport aux pays voisins, maghrébins ou arabes : ainsi la dotation touristique est aujourd'hui de 7600 dollars pour la Mauritanie, 1775 dollars pour la Tunisie, entre 4000 et 10 000 euros pour le Maroc, 10 000 dollars pour la Libye.

Certains nous reprocheront cette comparaison mais un proverbe algérien ne dit-il pas : « fait comme ton voisin ou déménage » ? : et comme on ne peut pas déménager un pays ( ?!) il faut donc faire comme nos voisins et pratiquer une politique monétaire plus ouverte. La valeur de notre monnaie s'en sortira renforcée.

Il y a certainement des raisons qui justifient cette politique monétaire de la Banque d'Algérie mais toujours est-il qu'elles n'ont pas prouvé leur efficacité. Ainsi l'un des arguments invoqués par les partisans de l'affaiblissement de la monnaie est celui de favoriser l'exportation des produits locaux ; or l'Algérie exporte essentiellement des hydrocarbures qui sont payées en devises et non d'autres produits manufacturiers (comme le textile ce qui est le cas de la Turquie) ou les produits agricoles comme le fait l'Espagne et encore plus la Chine pour toutes sortes de produits.

Montesquieu (à qui Keynes a rendu hommage) affirmait déjà au 17ème siècle qu'exporter des produits agricoles ou miniers pour importer des biens manufacturés était une opération désastreuse.

Nous avions avancé un autre argument en 20149 pour justifier cette politique monétaire ; c'est qu'elle permet à l'Etat en fixant la parité officielle du dinar avec les devises de jouer sur la politique des salaires (augmentation) tout en abaissant la valeur du dinar ce qui alimente l'inflation. Cette baisse continue de la valeur du dinar n'a pas cessé depuis le gouvernement de M. Hamrouche en 1991 c'est-à-dire depuis 33 ans ; c'est ce que nous avons appelé « l'effet toboggan » : le tableau de la Banque d'Algérie sur l'évolution du taux de change montre clairement cet effet.

Si nous voulons mettre fin à cet effet il faut clairement sortir du dogme de l'inconvertibilité de la monnaie qui est une des caractéristiques des pays dirigistes ou précédemment socialistes ou vivant en autarcie. Si cette politique pouvait se justifier dans un tel système nous sommes aujourd'hui dans un régime libéral (sur le plan économique) ouvert sur le monde et basé sur l'initiative individuelle et la liberté économique. En conséquence le statut de la monnaie devrait suivre cette évolution et donc être convertible. Certains ont déjà plaidé pour cette solution avant nous comme l'ancien ministre algérien du budget10 en 2005.

La monnaie n'est pas un instrument neutre comme le pensaient les classiques et les néoclassiques mais elle peut être au contraire active, comme l'a démontré Keynes, et utilisée pour améliorer les performances économiques d'un pays. Or ce qui a été fait en ce domaine est loin d'être satisfaisant.

Si certains progrès ont été enregistrés dans la nouvelle loi sur la monnaie et le crédit 23-09 du 21/06/2023 ainsi que le règlement n° 23 du 21/09/2023 relatif à l'ouverture des bureaux de change.

Aucune amélioration de la modalité du taux de change pour les particuliers n'a été constatée dans l'application.

De plus aucun budget prévisionnel ou dotation ou compte spécial n'ont été dégagés par la loi de finances de 2024 à cet usage. De même aucune instruction de la Banque d'Algérie n'a procédé à une mise à niveau de la dotation touristique que ce soit dans le temps (depuis 1997) ou dans l'espace (maghrébin).

Pourtant la Banque d'Algérie sait faire puisqu'elle avait décidé par exemple en 2010 de changer pour les voyageurs algériens qui se déplaçaient en Afrique du Sud pour la coupe du monde de procéder à un change en devises équivalant à 234 000 dinars11 soit un peu plus de 3000 dollars.

Malheureusement les Algériens qui voyagent cet été en sont réduits encore une fois à faire le change au marché parallèle quelle que soient leur motivation: vacances mais aussi frais pour les études de leurs enfants à l'étranger ainsi que les soins médicaux ! Alors que ces mesures sont prévues par l'article 2 du règlement de la Banque d'Algérie et font partie des attributions des bureaux de change. Cependant le règlement ne détermine pas les aspects pratiques de cette opération pour les bureaux de change: quel taux de change appliquer, quelle commission pour la vente des devises et quel montant les bureaux de change sont autorisés à vendre ?

Il appartient à la banque de définir plus précisément et pratiquement ces modalités de change comme cela se fait dans la plupart des pays.

Ainsi selon l'article 145 de la loi sur la monnaie et le crédit de 2023 seule la Banque d'Algérie a le pouvoir «d'organiser le marché des changes dans le cadre de la politique de change arrêtée par le Conseil, et dans le respect des engagements internationaux souscrits par l'Algérie ». L'article 145 ajoute «le taux de change ne saurait être multiple».

Or le taux de change au marché parallèle est actuellement de 240 dinars pour un euro alors qu'il est de 146 dinars pour un euro au taux officiel. Il s'agit d'une différence considérable qui pénalise tous les citoyens algériens concernés par l'opération de change comparativement même aux pays voisins qui n'ont pas les mêmes réserves de change que notre pays. Il y a donc assurément deux taux de change qui coexistent l'un officiel et légal et l'autre parallèle et illégal.

Il y a lieu d'unifier ces taux de change conformément à la loi et aux recommandations du FMI ce qui résoudra du même coup celle du taux pour les bureaux de change (rappelons qu'il y a toujours un prix de vente et un prix d'achat pour chaque monnaie sur le tableau de conversion).

Nous allons essayer de démontrer qu'une plus grande convertibilité de la monnaie -dans certaines limites- aurait des effets bénéfiques pour l'ensemble des acteurs économiques.

Nous prendrons l'exemple de la « dotation touristique » appelée ainsi même si elle peut concerner d'autres motifs comme les études à l'étranger ou les soins médicaux comme le prévoit le règlement de la Banque d'Algérie.

Si nous prenons le nombre d'algériens qui voyagent chaque année en dehors des frontières selon le site Algérie 36012 il est d'environ 3 500 000 de voyageurs. Le site donne également une indication sur le montant dépensé par voyageur 600 euros ce qui est faible. Une simple opération arithmétique donne le résultat suivant : 2 milliards 100 millions d'euros.

Sur un autre site13 les dépenses à l'étranger sont estimées par un expert à 3 milliards de dollars pour le même nombre de voyageurs.

Nous allons quant à nous prendre une fourchette plus haute de voyageurs 4 millions pour une somme de 1000 euros par personne et par an : on obtient la somme de 4 milliards d'euros.

A partir de ces données nous allons envisager le scénario d'une convertibilité du dinar et ses effets.

Le décaissement de la Banque d'Algérie de ces 4 milliards de dollars va avoir pour contrepartie l'entrée de liquidités équivalentes en dinars au taux de 146 dinars pour un euro. Cette opération se traduira par une réévaluation du dinar car il s'agit d'une offre économique de devises au profit des citoyens algériens qui voyagent ; c'est ce que font la plupart des Etats qui veulent soutenir la valeur de leur monnaie : ils utilisent une partie de leurs réserves de changes à cet effet ; cette offre se justifie largement aujourd'hui puisque tous les indicateurs de l'économie sont au vert selon les instances financières mondiales (Banque mondiale et Fonds monétaire international) ; ces dernières ont d'ailleurs souvent exhorté les pouvoirs algériens à aller vers la convertibilité totale du dinar. C'est la première conséquence positive qui va se concrétiser.

Une seconde conséquence positive va être la diminution du taux de change au marché noir puisqu'on va lui soustraire 4 millions de clients. Donc même si on considère que le marché parallèle est le vrai marché la valeur du dinar augmentera car le second taux du marché noir n'existe qu'en raison du refus de la BA de procéder au change au taux officiel! Nul besoin « d'éradiquer » quoi que ce soit comme disent certains. C'est une simple application de l'offre et de la demande selon les économistes. Sauf qu'ici l'intervention de l'Etat se justifie car il s'agit d'un domaine de souveraineté afin de sauvegarder la valeur de sa monnaie et du même coup la dignité de ses ressortissants. Troisième conséquence : aujourd'hui les résidents algériens à l'étranger ne transfèrent pas beaucoup de devises vers leur pays à travers les canaux officiels comparativement aux immigrés des autres pays.

Selon la Banque mondiale14 les transferts de fonds des algériens vers leur pays étaient en 2021 de 1,7 milliards de dollars ce qui les place au dernier rang des pays maghrébins (9,3 milliards de dollars pour le Maroc et 2,2 milliards pour la Tunisie) et loin derrière l'Egypte qui engrange chaque année 33 milliards de dollars provenant de sa diaspora.

Le montant retenu représente seulement les transferts d'argent effectués à travers les circuits formels, banques et Algérie Poste. Or aucun outil ne mesure les envois faits à travers le réseau informel qui draine une masse monétaire considérable. Ainsi les immigrés algériens préfèrent le circuit informel dans l'état actuel de la politique monétaire.

Or si on élargit la convertibilité du dinar aux particuliers, comme dans la plupart des pays, cela aura pour effet, par un jeu de vases communicants, d'encourager nos résidents à l'étranger à se diriger vers le circuit officiel et légal de change. Ce sont alors plusieurs milliards de devises qui seront mis à la disposition des banques et bureaux de change à condition, bien sûr, que des garanties soient accordées aux résidents algériens à l'étranger .La confiance s'instaurera entre la BA et les résidents algériens à l'étranger ainsi que les nationaux. C'est cette confiance qui fait défaut et qui décourage les investisseurs algériens et étrangers.

La confiance est de loin l'élément le plus important dans ce scénario. Ainsi, ce qui paraissait à première vue comme une mauvaise affaire financière lorsqu'on aborde les choses comme un simple jeu d'écritures comptables peut se transformer en une affaire économique et financière avantageuse pour tous dans un jeu gagnant/gagnant.

Les particuliers c'est-à-dire 98% de la population trouveront leur compte, la Banque d'Algérie également puisque cela lui permettra de faire entrer dans le circuit officiel et légal une grande partie de la masse considérable de liquidités en dinars et en devises, objectif qu'elle n'a pas pu atteindre avec sa politique actuelle. Les entreprises seront également satisfaites puisqu'elles n'auront affaire qu'à un seul taux de change du dinar pour leurs achats à l'étranger.

Quatrième conséquence : les trafics aux frontières, conséquence en majorité de la dépréciation monétaire et de l'inconvertibilité de la monnaie diminueront dans des proportions appréciables ainsi que la charge des services de douane, de police et de sécurité pour les combattre. Au lieu de s'adonner à ces petits trafics la majorité de ces revendeurs se dirigeront vers des projets plus économiques et plus productifs.

Et, enfin, cinquième conséquence le redressement de la valeur du dinar par rapport aux autres devises entrainera une véritable stabilité de la monnaie qu'on observe d'ailleurs dans les pays voisins ce qui attirera plus d'investisseurs étrangers et aura pour effet d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés et évitera à la BA de faire appel à la planche à billets ce qui diminuera l'inflation. Ceci aura un effet d'entrainement sur le monde du travail en général. Il faut ici préciser que les salaires versés aux algériens sont, en général, toutes catégories confondues, du manœuvre au cadre supérieur, parmi les plus faibles du Maghreb (n'envisageons même pas les salaires européens) !

Il s'agirait, si ces mesures étaient adoptées de la première étape d'une opération financière et politique de grande ampleur qui traduirait une restauration de la confiance entre la société et les dirigeants ce qui aura pour effet une réhabilitation des valeurs du travail et de l'effort; cela constituerait un signal fort pour la société pour évoluer dans un sens positif et permettra à l'Algérie de mieux s'insérer dans la modernité et à ses ressortissants qui voyagent d'être mieux considérés à l'étranger.

Notes :

1wikipédia

2Un euro vaut 146 dinars

3un dollar vaut 134 dinars

4 Un euro vaut 5,26 dinars libyens

5 un euro vaut 11 dirhams

6 Un euro vaut 43,23 ouguiyas

7Un euro vaut 3,37 dinars tunisiens

8https://www.bank-of-algeria.dz/donnees-historiques



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