Lors de la Conférence des ministres africains de la culture qui s’était tenue à Alger en octobre 2008, le réalisateur Mohamed Lakhdar Hamina avait lancé un appel pour la création d’un fonds africain de production et de coproduction cinématographique. Cette idée, que partageaient de nombreux cinéastes et hommes de culture, a fait son chemin depuis et, après son adoption par l’Union Africaine, elle devrait se concrétiser prochainement. Au moment où le Fespaco s’ouvre à Ouagadougou, ce document montre que le réalisateur, lauréat inoubliable de la Palme d’Or de 1975, a aussi des talents d’avocat.
«Frères, comme certain d’entre vous, j’ai été sustenté par la seule école qui nous était ouverte : l’école française, héritière des thèses coloniales de Jules Ferry. Mais celle-ci n’a jamais pu abolir le cordon ombilical qui me rattachait à ma culture africaine. C’est précisément par des réminiscences de mon inconscient – et à partir de leurs déterminismes - que ma caméra sut trouver les cheminements indicibles de ses ultimes solidarités. Elle se mit, subrepticement et presque malgré elle, au service de la seule cause que me dictait ma conscience, celle du combat libérateur de notre continent.
C’est ce que j’ai essayé de raconter dans mon film «Chronique des années de braise». Dans ce témoignage, j’ai reproduit les images qui s’étaient gravées dans ma mémoire depuis mon plus jeune âge : nos biens pillés, nos forces vives réduites à la misère, les épidémies, l’esclavage, notre jeunesse contrainte d’aller mourir pour des guerres qui n’étaient pas les siennes et enfin, cette révolte qui devenait la seule alternative à un système colonial sourd et aveugle.
Et voilà qu’aujourd’hui ce système donneur de leçons revient sur les hauts lieux de son crime esclavagiste pour nous reprocher une vague migratoire dont nous devrions le préserver. Notre Afrique ne se laissera plus dicter ses itinéraires, pas plus qu’elle n’acceptera qu’on lui impose des lectures biaisées de son histoire, sous prétexte de l’absence de documents témoins. On connaît la sentence d’Amadou Hampâté Bâ : «En Afrique, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle». Que d’autodafés depuis ! Est-il besoin de rappeler que c’est sur notre continent que l’humanité est née ' Que les ancêtres des Européens sont partis des contrées africaines vers d’autres latitudes ' J’aimerais rappeler aux racistes de tout poil qu’après tout Lucie est leur grand-mère à tous (...) Les vendeurs d’ivoire, d’or noir et de diamants ont inondé le continent d’armes meurtrières. Ils portent, au moins en partie, une lourde responsabilité sur les conflits qui secouent encore l’Afrique. L’histoire est ainsi faite qu’elle forge les nations dans la douleur. Aujourd’hui, l’Afrique va mieux et se reconstruit méthodiquement.
Mais les images que les médias occidentaux renvoient d’elle restent fixées sur les désastres et les conflits ; et ce n’est pas nouveau ! Il est temps pour nous de leur répondre en créant une masse significative d’images produites par des Africains. Les défis du 3e Millénaire reposent pour l’essentiel sur le poids des mots et sur la capacité de créer des images porteuses de sens. Si nous ne faisons rien, les cerveaux de nos enfants continueront d’être bombardés d’images stéréotypées ne montrant de notre continent que désastres et incurie. J’en appelle donc à la conscience des politiques pour créer un fond africain de production et de coproduction cinématographique.»
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Posté Le : 26/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : L. K.
Source : www.elwatan.com