Algérie

Piété, travail et système



Les travailleuses d'Algérie ont, pendant le mois de Ramadhan, le privilège de pouvoir quitter leur entreprise ou leur administration deux heures au moins avant l'horaire légal de fin de journée.L'argument du temps nécessaire à la préparation du f'tour, qui incomberait, "naturellement", aux femmes, semble faire mouche chez les deux sexes. Pour les femmes, comme pour tout employé, quitter le travail avant l'heure constitue un naturel motif de contentement. Quant aux hommes, s'ils sont des collègues, ils sont aussi, et surtout, des époux, pères et fils. Ils ne peuvent que se réjouir de voir leurs épouses, filles et s'urs "lâchées" ("yatalgouhoum", "isserhouhoum", dit-on) pour leur préparer le repas sacré de rupture du jeûne. "Sacré" veut dire ici "nécessairement savoureux". C'est donc bon que tous les talents culinaires de la famille soient réunis autour du projet quotidien de f'tour.
Dans la plupart des administrations, les employées prennent fonction à neuf heures et quittent à... treize heures et demie. Ainsi, en période de jeûne, nos femmes passent quatre heure et demie à justifier leurs salaires et ont besoin de six heures et demie pour rentrer et apprêter le repas du soir.
Oh ! Ces dames n'ont pas à s'étouffer de scrupules ; leurs collègues mâles restés en poste ne se tueront pas à la tâche. Les hommes, ayant tacitement le loisir de prendre sur leur temps de travail pour effectuer des courses, multiplient leurs escapades alimentaires.
Il faut observer que ce droit, lié au statut de cuisinière, n'a aucun fondement officiel. C'est une pratique qui s'est propagée, d'établissement en établissement, à toute la fonction publique et au secteur économique de l'Etat, puis aux entreprises privées, par un effet de contagion. Selon le même processus qui a "légalisé" la demi-journée du 8 Mars.
Mais il ne faudrait pas voir dans ces faux privilèges quelque disponibilité particulière de notre pouvoir globalement machiste envers la population féminine. Il ne lui a cédé que sur ce qui, dans la culture du pouvoir, a le moins de valeur : le travail.
Dans l'esprit d'un régime de rente, ce n'est pas le travail qui crée la richesse ou assure l'émancipation ; pour lui, la richesse, c'est la rente. Ce choix politique libère le pouvoir de la société qui travaille. En particulier, le budget, les rentes et privilèges de ses dirigeants et des personnels qui leur sont rattachés (qui les servent, les protègent, les applaudissent...), les dividendes politiques de leurs clientèles ne dépendent pas de la fiscalité courante (entreprises et travailleurs) mais de la fiscalité pétrolière. Le pouvoir a besoin de ce rapport pour asseoir son autoritarisme. Un autoritarisme qu'il n'aurait pas pu imposer à une société qui vit de ses efforts.
Vous dispenser de travailler n'est pas anti-économique du point de vue du pouvoir ; il ne vous paie pas avec le fruit de votre labeur ; il vous paye avec l'argent du pétrole, avec "son" argent. Au fond, et au regard de notre misérable productivité, nous sommes tous imprégnés que du fait que ce n'est pas tout à fait un salaire que nous percevons ; il y a, dedans, une partie prime d'allégeance au système.
Nos mesquines avidités sont la meilleure assurance-vie du système.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr
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