De grands noms du photojournalisme international sont actuellement exposés à Perpignan, dans le sud de la France, à l'occasion du festival Visa pour l'image. Parmi eux : Frédéric Noy et Brent Stirton, qui ont longuement enquêté sur l'environnement en Afrique. RFI propose de croiser leurs regards.Bon nombre de photojournalistes ont sans doute commencé leur carrière par goût de la découverte avant tout. Ils veulent parcourir le monde des hommes, capturer sa beauté. Et ils rendent finalement compte de ses fragilités par la force des choses aussi. Deux séries exposées cette année à Perpignan portent sur les questions environnementales en Afrique. Le premier, Brent Stirton, est un Sud-Africain auréolé de 11 World Press Photo. Visa lui a demandé de présenter une rétrospective de ses reportages sur le braconnage en Afrique au cours de la dernière décennie, depuis cette photo qu'il a prise en 2007, d'un gorille abattu dans le parc des Virunga, en RDC.
Le second, Frédéric Noy, est pour sa part français et a construit une partie de sa vie en Tanzanie, au Tchad, au Soudan, au Nigeria ou encore en Ouganda. Il dit avoir été marqué l'an passé par les propos du professeur Nyong'o, gouverneur du comté de Kisumu, sur le lac Victoria côté kényan. Ce dernier prédisait que si dans 50 ans, rien n'était fait, le lac mourrait à cause de nous. Noy a décidé de faire le tour de la question, sur 3 500 km. Les réalités dépeintes par ces deux témoins de notre temps sont aussi différentes que peuvent l'être l'est boisé du Congo-Kinshasa et le pourtour de la plus grande étendue d'eau fermée d'Afrique.
Mais leurs discours entrent régulièrement en résonance : tous deux font au fond le constat des dangers existentiels induits par la surpopulation, les activités humaines et la surexploitation des ressources. «Je ne peux m'imaginer un monde sans mémoire visuelle, où l'histoire se déroulerait sans être consignée, où l'on ne partagerait pas nos intelligences, résume Brent Stirton. L'humanité est une histoire collective, nous avons besoin de nous transmettre des informations fiables et vérifiables, sans quoi il ne peut y avoir de processus de prise de décision. Le journalisme n'a jamais été si important.»
«Écologie hors-sol»
La série de Frédéric Noy s'appelle «La lente agonie du lac Victoria». «Dans les années 1930, confie-t-il, 4,6 millions de personnes vivaient autour du lac. Aujourd'hui, elles sont 50 millions. Ces gens viennent par besoin de vivre, de trouver une activité. La lente agonie du lac, c'est pour eux hors de l'entendement, ça ne fait pas partie de leur schéma de pensée, qui est basé sur la survie.» Une photo l'illustre crucialement dans la série. Celle d'un homme lavant des sacs plastiques - pour les revendre - dans un dépotoir au bord de l'eau, dans les zones humides, déjà touchées par l'habitat et l'agriculture, et pourtant indispensables au filtrage des pluies (qui alimentent 80% du lac).
Il s'agit là de tri sélectif sauvage des ordures d'Entebbe et d'une partie de celles de Kampala, qui atterrissent ici. «Le dépotoir est sur une pente légèrement descendante, dans les zones humides. Autour de cet homme, il y a des sacs blancs qu'il a lavés et qu'il va revendre. Et à proximité, il y a l'eau, qui est d'un vert très sombre. C'est le colorant des sacs. Cette eau va ensuite passer lentement dans la zone humide et se retrouver dans le lac», relate Frédéric Noy, d'un ton parfaitement clair et posé. Cet homme qu'il a photographié fait partie de ce qu'il appelle «les soutiers de l'économie ougandaise».
Il symbolise une «tension», explique Frédéric Noy : «Les gens viennent à Kampala pour trouver un travail, n'importe lequel, même en bas de l'échelle. Il est là parce qu'il a une famille à élever et à nourrir. Sauf que cela engendre une égratignure écologique sur le lac.» Une parmi des milliers. «Un pêcheur, il voit sa pêche ; un agriculteur, son champ. Le lac, ce sont 68 000 km2, la taille de l'Irlande. Il semble éternel. Si je vous dis que vous êtes en train de mettre en danger un pays comme l'Irlande parce que vous jetez votre mégot de cigarette par terre, ça peut paraître hors de propos. On ne peut pas construire une écologie hors sol sans penser aux aspects socio-économiques.»
«Fondamentalisme»
«Ça fait maintenant plus de dix ans que je travaille sur la préservation de l'environnement. Je crois qu'on y trouve l'illustration de la surpopulation, du changement climatique, de toutes les menaces pesant sur notre monde. Nous vivons des temps où ce qui fait tourner les choses, c'est le commerce. Mais nous approchons d'une crise», lance d'emblée Brent Stirton dans la conversation. Aux yeux du Sud-Africain, les drames sont cycliques, et l'homme ne sait pas les anticiper. Il risque donc de réagir trop tard.
Le photographe serait-il un «collapsologue», terme consacré pour désigner ceux qui annoncent la chute imminente de la civilisation industrielle, et explorent des pistes pour la suite ' Il nuance : «Je pense qu'il y a des raisons pour que cette théorie existe.» Le magazine Polka écrit, au sujet de Stirton, qu'il veut «changer le monde» en «utilisant la beauté pour interpeller». Son fil rouge et un peu le même que Noy, «des histoires situées à l'intersection entre l'être humain et l'environnement». Cela ne saute d'ailleurs pas aux yeux sur tous ces clichés d'hommes et femmes en treillis, armés jusqu'aux dents, progressant dans le bush.
Ces personnes particulièrement photogéniques, magnifiées par le sens de l'éclairage du Sud-Africain, ce sont des «rangers». Ils mènent la guerre aux braconniers, souvent constitués en groupes paramilitaires, et qui s'enrichissent sur le trafic de trophées d'ivoire, de cornes de rhinocéros, d'écailles de pangolins, entre autres, au péril de ces espèces protégées, et souvent à destination de l'Asie. «C'est un sujet complexe, explique l'intéressé. Parfois, mes images ne racontent pas quelque chose d'aussi évident qu'un cliché en Syrie ou ailleurs. L'Afrique est elle-même un continent de plus en plus complexe. À l'heure actuelle, je travaille aussi sur la montée du fondamentalisme là-bas, et comment cela va impacter les questions de protection de l'environnement. Et c'est compliqué, vous savez.»
«C'est la démocratie»
Le jeu en vaut-il la chandelle, pourraient se demander ces deux photographes. Quand on a le goût de la vie, pourquoi mettre sur la balance sa propre santé, son équilibre, pour offrir au public des réalités parfois si bouleversantes, et utiliser des mots inquiétants, pouvant les faire ressembler aux yeux de certains à des oiseaux de mauvais augure ' Question poignante pour un journaliste aujourd'hui. «Si vous allez dans l'un des trois pays que j'ai couverts, dire que vous avez appris à Perpignan que le lac Victoria se meurt des jacinthes d'eau, de la surpêche ou de la pollution, on va vous rire au nez, vous dire que c'est encore une vision d'Européen, qui sait mieux que tout le monde», constate Frédéric Noy. Les seules personnes sensibilisées qu'il ait rencontrées ' Des scientifiques kényans.
Quand ces scientifiques essaient d'expliquer les problèmes, «ils se heurtent à la dure réalité politique de personnes qui ne voient pas, concrètement devant leurs yeux, où est le danger. Ce n'est pas comme les incendies en Amazonie, qui sont évidents. Le mot important dans l'expression "lente agonie", c'est "lente". C'est un processus tellement lent qu'il en devient imperceptible, voire invisible.» Stirton a eu la gratification de voir ses photos peser concrètement dans le débat. «En 2007, se rappelle-t-il, quand je suis allé photographier ces rangers, qui avaient reçu un entraînement militaire spécialisé en Afrique du Sud et avaient été renvoyés en RDC pour combattre 17 groupes paramilitaires, et quand nous avons trouvé ces gorilles des montagnes morts, il en restait vraiment très peu.»
Mais depuis son reportage, qui a rencontré l'empathie du public, des fonds ont été levés et le nombre de gorilles est reparti à la hausse. C'est, confie le photographe, le meilleur sentiment qu'il ait pu ressentir. «Au moins une fois dans ma vie de photojournaliste, explique-t-il, je me suis senti utile. C'est tout ce qu'on peut espérer d'une carrière comme la mienne.» De quoi croire au choc de la photo. «Mes photos, je les pose sur la table et elles s'adressent à tous ceux qui veulent les voir, confie Noy. Je fais confiance à l'intelligence des gens, à leur curiosité, leur bon sens. Je ne pense pas que l'objectivité existe. Mais ma responsabilité, c'est de proposer quelque chose d'honnête et d'inattaquable sur le contenu. On peut s'en désintéresser, ne pas être d'accord ou ne pas aimer. C'est la démocratie.»
À l'ère des réseaux sociaux, des infox, des doutes sur l'avenir de la démocratie, notions sur lesquelles Brent Stirton insiste beaucoup, et alors que nous demandons à la Terre 2,5 fois ce qu'elle peut offrir, «tout ce que l'on sait, considère-t-il, c'est que l'écologie constitue notre plus grande opportunité pour nous unir.» Une lutte de chaque instant contre le scepticisme et le fatalisme.
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Posté Le : 11/09/2019
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : I G
Source : www.lnr-dz.com