Algérie - Lioua

Phoeniciculture à Biskra: Sehira (Lioua), l’éden en perdition



Phoeniciculture à Biskra:  Sehira (Lioua), l’éden en perdition




L’on ne peut laisser dépérir une oasis aussi pleine de palmiers-dattiers et de légendes, allez, vite, de l’eau !!

En arrivant à Sehira par une piste sommairement asphaltée et après avoir emprunté un labyrinthe de chemins de wilaya reliant les villages des Ziban entre eux, la première impression qui vous saisit est que cette localité est isolée du monde moderne. Une enfilade de maisons en torchis, sans couleur, agrippées les unes aux autres pour ne pas s’écrouler, un magasin de denrées alimentaires reconnaissables aux packs d’eau minérale entreposés devant l’entrée, aucun aménagement urbain, si ce n’est quelques poteaux électriques soutenant des câbles pendulant. Plus loin, une esplanade où des enfants taquinent le cuir sous un soleil de plomb et à coté une bâtisse impressionnante qui est la mosquée Abou bakr Essedik. Un vieil homme, le regard hagard, comme atteint de stérèotropisme, y est adossé. Derrière la mosquée se trouvent d’immenses palmeraies souffrant manifestement de la soif. Les palmes, coiffant de maigres régimes de dattes encore vertes, sont sèches et jaunissantes.

On se dirait plonger en des lieux abandonnés. Loin de là. Surgissant de nulle part, un vieil homme enturbanné, habillé d’une gandoura blanche et portant une faucille, explique, après un moment de stupeur et de méfiance, que chacun de ces palmiers a un propriétaire et que les dattes de Sehira étaient d’une qualité sans pareille, que le manque d’eau décourage désormais les agriculteurs à exploiter convenablement leurs parcelles de terre. Deux autres hommes, des quinquagénaires, rejoignent la discussion. Eux aussi sont des fellahs malades de voir les palmiers dépérir faute d’eau. L’un d’eux avoue avoir recours, clandestinement, à un canal de drainage duquel il ponctionne les eaux saumâtres et poisseuses pour irriguer ses palmiers.

«La seule solution pour régler ce problème d’eau est que l’Etat prenne en charge la réalisation de deux ou trois forages. L’eau qui est à 15 ou 20 mètres de profondeur est chaude et saturée en sel et donc impropre à la consommation de même que pour l’irrigation des palmeraies», dira son compagnon comme pour le dédouaner.

Bientôt, d’autres gens plus ou moins âgés renforcent le groupe et chacun tient à apporter son témoignage sur les dures conditions de vie dans cette bourgade «comptant 18 martyrs de la glorieuse révolution de 1954», rappellent fièrement nos interlocuteurs se montrant plus diserts que prévu. Sehira, littéralement «petit désert», est une localité phoenicicole des Ziban-ouest, distante de 48 km du chef-lieu de la wilaya de Biskra. Rattachée à la commune de Lioua, elle compte quelque 5.000 âmes vivant essentiellement de la culture du palmier-dattier. L’assèchement des puits, principale préoccupation des fellahs de ce village, a entraîné une pénurie d’eau d’irrigation et cela ébrèche leur optimisme quant à un avenir radieux.

Une oasis ancestrale assoiffée

Les anciens racontent que ce village était, il y a à peine 20 ou 30 ans, un véritable petit éden. Les palmeraies exhalant des parfums suaves de fruits murs, abreuvées d’eau, croissaient dans une luxuriance paradisiaque pour le bonheur des habitants et des voyageurs de passage qui y trouvaient tout le bien-être et l’hospitalité des gens du sud. L’eau coulait à profusion, raconte-t-on. Un savant réseau de seguias, veritable système de vascularisation des jardins et du noyau originel de Sehira, parcourait le lieu. La vie y était douce et les gens d’ici suscitaient l’envie des gens d’ailleurs tellement ils étaient heureux dans cette oasis.

Vérité ou simple collage discursif généré par la nostalgie d’un passé magnifié ?

Les anciens sont catégoriques. Mais alors, peut-on s’interroger, pourquoi ce village porte-t-il un nom tellement antinomique avec cette description paradisiaque ?

Il y a bien une explication «à prendre avec des pincettes.», avertissent des jeunes réfractaires aux histoires extraordinaires. C’est que, pour eux, le lieu est plus un purgatoire qu’un paradis. Leur rêve est d’aller vivre sous d’autres cieux.

La vie, ici, ne leur sied plus. Selon une légende colportée de génération en génération, le nom de Sehira lui viendrait du fait que Sidi Moussa, un saint homme maîtrisant l’art de guérir les maux du corps et de l’esprit par le truchement de la lecture du Coran et qui était capable de lévitation, rapportent les conteurs, a choisi, lui et des membres de son clan d’abandonner la vie bédouine et de s’établir, il y a des centaines d’années, sur ce qui n’était alors qu’un bout de désert, aride et hostile à toute vie. Certain membres du clan, habitués à parcourir la contrée avec armes et bagages, ne voyaient pas d’un bon œil cette sédentarisation forcée sur ce qu’ils appelèrent ironiquement le «petit Sahara»: Sehira. Ils commencèrent à dénigrer le lieu, à exprimer ouvertement leurs ressentiments envers le saint homme et à conspirer pour le faire passer pour un fou, le destituer de son statut de chef et pousser le clan à reprendre sa vie de nomadisme. Un beau matin, à force de prières et d’incantations, le vieil homme fit surgir une source d’eau claire. Hommes, femmes, enfants et bestiaux purent se désaltérer à n’en plus pouvoir. Les fomenteurs se turent et la renommée du saint patron se renforça définitivement. Et ce n’est pas là l’épilogue de ce récit.

Une jeunesse réaliste et ambitieuse

Le soir de cette miraculeuse apparition de l’eau, Sidi Moussa réunit le clan autour d’un feu et il sortit de sous son burnous, devant l’assistance médusée, une sorte de bourse contenant des noyaux de dattes. A chaque chef de famille, il en donna une dizaine et leur dit: «Fini les transhumances et les nuits à la belle étoile. Fini la peur de se voir attaquer par les rôdeurs et les coupeurs de routes. Vous planterez ces graines de palmier-dattier et vous vivrez de leurs fruits. Vous prospérerez au milieu de vos jardins.» Les hommes du village naissant devinrent des producteurs de dattes, ils affinèrent leurs techniques agricoles et botaniques et créèrent la plus douce des dattes; la Deglet Nour qui fit leur fortune. Quand le vieil homme mourut, on construisit un mausolée pour accueillir sa dépouille. Ce mausolée existe toujours. Enfoui au milieu d’une palmeraie, il est encore visité par des villageois et des citadins sexagénaires (surtout des femmes) venant chercher la bénédiction du sage. Ils lui font des offrandes et quémandent un peu plus de chance dans la vie, la guérison d’un proche atteint d’un mal que la médecine traditionnelle n’a pu soigner, la réussite dans telle ou telle entreprise où même une averse salvatrice.

«Histoires à dormir debout et subsistance d’un maraboutisme inopérant », s’écrie un ingénieur sans emploi, qui a rejoint ce conciliabule improvisé.

Rejetant en bloc «ce genre de balivernes.» et préférant, selon lui, «être plus terre à terre», il relève que bien que cette localité ait quatre représentants à l’APC de Lioua, elle ne reçoit que de rares projets de développement. Il y a bien une petite poste, un centre de soin et une école primaire.

«Mais cela est-il suffisant pour satisfaire les besoins de la population ?», s’interroge-t-il.

La maison de jeune est dotée de tout le matériel nécessaire mais elle est fermée on ne sait pourquoi, le club de football manque cruellement de subvention, les bus du transport universitaire ne desservent pas Sehira et des dizaines d’étudiants doivent aller vers Lioua ou Mekhedma pour en attraper un. Depuis 2008, date d’inscription d’un projet de raccordement de Sehira au réseau de distribution du gaz domestique, ils n’en ont plus entendu parler.

Chaque famille compte un ou deux chômeurs et même le travail de la terre ne rapporte plus rien car le manque d’eau en hypothèque l’activité, énumèrent d’autres jeunes de ce village. Un universitaire poursuivant des études en langues anglaises à l’UMK de Biskra, lui, est consterné par la nouvelle selon laquelle Lioua et Mekhadma bénéficient d’un projet d’extension du réseau Internet tandis que Sehira, par où passeront les câbles, n’en sera pas dotée.

«Pourquoi cette Hogra des décideurs. Nous aussi, nous avons besoin d’être connectés pour nos études, pour communiquer avec le monde et pour nous divertir. Nos ordinateurs sont inertes, sourds et muets sans la connexion.», précise-t-il.

En repartant de Sehira, vos bras seront chargés de présents de toutes sortes. Votre cœur sera plus riche d’avoir rencontré ces gens de l’Algérie dite profonde mais il sera aussi plus lourd et ça, vous saurez parfaitement pourquoi.

Hafedh Moussaoui





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