Algérie

Peuples/dirigeants : les raisons d'un divorce La chronique de Maurice Tarik Maschino



Peuples/dirigeants : les raisons d'un divorce La chronique de Maurice Tarik Maschino
Qu'il s'agisse des pays européens ou de la plupart des pays méditerranéens, de nombreux observateurs constatent, et parfois déplorent, l'indifférence des citoyens à l'égard de leurs dirigeants.Indice de popularité très bas (23% pour le président français), abstention massive lors des élections, montée du populisme, critiques acerbes dans la presse, caricatures assassines : l'époque n'est plus où les peuples idéalisaient ou redoutaient leurs gouvernants. Souvent, ils ne les connaissent même pas : quel Européen peut citer les noms des membres de la Commission européenne ' Comparés aux «géants» d'autrefois ' Atatürk, Nasser, W. Churchill, de Gaulle, Staline, Fidel Castro, Lumumba ' ceux d'aujourd'hui sont des nains. Les citoyens n'attendent rien de responsables qui leur font de fausses promesses, se taisent quand ils devraient parler, nomment leurs proches aux postes les plus importants et exploitent dans leur seul intérêt les richesses du pays. Aux chefs providentiels ont succédé des chefs d'occasion, purement circonstanciels, interchangeables, à peine connus lors de leur prise de fonctions, oubliés dès leur départ, insipides et fades comme un tajine sans piment ou un couscous sans harissa. La médiocrité du personnel politique a, certes, des raisons objectives. Les «grands hommes» ne tombent pas du ciel, c'est la situation qui les appelle et crée les conditions de leur apparition. Une guerre, une révolution, de graves troubles sociaux peuvent permettre à une personnalité de se révéler et de répondre aux défis du moment.
Ces conditions, aujourd'hui, n'existent guère : en Europe, les nations tendent à s'effacer, elles ont perdu leur liberté d'action et de décision, et une crise survient-elle, c'est avec les autres, auxquelles elles sont organiquement liées, qu'elles doivent trouver la façon d'y faire face.
Pour chacune, le pouvoir est beaucoup plus à Bruxelles qu'à Rome, Madrid ou Paris. Or, à partir du moment où un pays a perdu une grande partie de son autonomie, où il ne décide plus que de questions secondaires ' choisir si les enseignants font classe le mercredi matin ou le samedi, si l'on augmente ou non la TVA, majore ou diminue l'impôt des riches' ' il a beaucoup plus besoin de techniciens ou de praticiens avertis, que d'idéologues ou de rêveurs. Quelle utopie, quelle vision d'avenir peut offrir aujourd'hui un chef d'Etat à ses concitoyens, de quelle espérance peut-il être porteur ' De fait, les dirigeants européens n'en portent aucune : simples gestionnaires, ils n'ont à leur disposition, selon le mot de F. Hollande, que des «boîtes à outils» qui, si bien garnies soient-elles, ne peuvent enthousiasmer un peuple. Surtout quand, au vu des premiers résultats, il se demande si le chef ne s'est pas trompé de boîte. Bruxelles pour les pays européens, Washington pour la plupart des autres pays, y compris pour ceux qui, en première instance, dépendent de Bruxelles : dans un pareil contexte, qui fait fi des besoins nationaux, de la singularité de chaque pays comme des aspirations des peuples, dans cette situation où les seuls décideurs sont des financiers où la seule loi qui s'applique est la loi du marché, les responsables nationaux, privés de tout pouvoir réel, ne peuvent être mus que par des intérêts privés ' les leurs, ceux de leur clientèle, de leur classe, de leur tribu.
D'où la médiocrité humaine ' en fait d'intelligence, de sensibilité aux malheurs des autres, de générosité ' de la plupart d'entre eux. Prolixe pour dénoncer dans l'abstrait le chômage qui frappe un grand nombre de ses compatriotes, tel président, confronté à une chômeuse qui lui fait part très concrètement de sa désespérance, ne sait comment la faire taire et s'éclipse le plus vite possible. Si la plupart des hommes politiques ont joué des coudes et parfois, par nervis interposés, du couteau ou de la mitraille, pour accéder à un pouvoir sans pouvoir, c'est assurément pour en jouir à titre personnel et familial. Par narcissisme d'abord. Par désir de s'enrichir ensuite. D'où cette accumulation de mandats, de fonctions et de revenus. D'où aussi ces scandales à répétition dans la plupart des pays : ici, un ancien président du conseil, grand amateur de «chaires fraîches», est condamné pour fraude fiscale, là, un grand argentier est poursuivi pour proxénétisme, ailleurs, un chef de gouvernement doit s'expliquer sur le financement irrégulier de son parti et un ancien président de la République voit ses comptes de campagne annulés par le Conseil constitutionnel, tandis que certains de ses plus proches collaborateurs s'apprêtent à comparaître devant des juges. De gauche, de droite ou du centre, le nombre de responsables poursuivis par la justice est absolument impressionnant.
«Dans une Europe en crise, écrit Le Monde, l'Italie, l'Espagne et la France, sans évoquer les cas de la Bulgarie et de la Roumanie, offrent des images accablantes pour ces démocraties». Comme, également, tous ces autres pays où la «démocratie», lorsqu'en existe une ébauche, est si restreinte, si fragile, que les dirigeants ont toute liberté de bafouer les lois, de confisquer le pouvoir et d'accaparer la rente, au mépris de peuples qu'ils pressurent et condamnent à la misère ou à la fuite, au risque de leur vie.


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