Algérie

Peuplement et Arabisation au Maghreb Occidental. Dialectologie et Histoire.



Catherine Miller : n° 89-90
Cet ouvrage réunit les actes (15 communications) d'un séminaire qui s'est tenu le 7 et 8 Juillet 1995 à l'Université de Saragosse. Saluons la parution d'un tel travail qui essaie de promouvoir l'interdisciplinarité en faisant participer sur un thème commun - l'arabisation du Maghreb - des linguistes mais aussi des historiens et des archéologues. L'ensemble présente plusieurs intérêts majeurs :
- Il obéit à une réelle construction éditoriale ; la cohérence et la complémentarité des communications offrent un panorama à la fois général et détaillé de la situation dialectale marocaine accompagnée d'une mise en perspective historique et comparative. Les auteurs sont tous des spécialistes reconnus de leur domaine et la bibliographie fournit les principales sources anciennes et contemporaines.
- Il aborde des questions de fond concernant la pertinence des classifications, la validité des critères (historiques ou linguistiques) retenus pour établir ces classifications, le problème de la reconstruction historique à partir de sources variées, l'élaboration théorique des phénomènes d'évolution et de transmission linguistique (cf. la question de l'origine commune, des évolutions parallèles, la prise en compte des phénomènes de contact etc.). La question de l'unité ou diversité du domaine maghrébin partage d'ailleurs les auteurs. Ce questionnement théorique s'élabore dans le respect des travaux antérieurs. Les "pères fondateurs" de la dialectologie maghrébine (W. Marçais, P. Marçais, G.S. Colin mais aussi L. Bruno et D. Cohen) sont ici largement cités y compris lorsqu'il s'agit de mettre en évidence les progrès accomplis dans ce domaine.
- Il rappelle que la dialectologie (ou la linguistique de manière plus générale) ne peut se suffire à elle même et doit interroger les sources archéologiques ou historiques pour étayer le bien fondé de ses hypothèses (et vice versa). L'ouvrage montre cependant la difficulté d'une entreprise interdisciplinaire. La participation de l'histoire et de l'archéologie se résume à une communication chacune et les questions posées dans ces deux communications (cf. voir infra) ne reçoivent pas toujours d'écho dans les communications plus spécifiquement dialectales. Ceci n'enlève rien aux mérites de ce livre mais témoigne du fait que la plupart du temps la confrontation interdisciplinaire a lieu à un niveau plus général et est rarement pratiquée de façon systématique par faute de moyen.
Les articles se distribuent en plusieurs catégories. Les trois premiers (S. Levy, P. Cressier, B. Rosenberger) pose la question de l'histoire de l'arabisation et des parlers arabes au Maroc. Dans une perspective historique et comparative l'horizon s'élargit à l'arabe andalou (F. Corriente, I. Ferrando), au Maghreb (J. Grand'Henry), aux limites orientales des parlers maghrébins (P. Behnsted) et au Maltais (M. Vanhove). Tous ces articles fournissent des outils méthodologiques et des points de références chronologiques et géographiques. Suivent plusieurs études de cas sur des parlers marocains variés : Chefchaouen (E. Natividad), Anjra (A. Vicente), Tanger (Z. Iraqui-Sinaceur), Z'îr (J. Aguadé), Skûra (M. El Yaacoubi), Rabat (L. Messaoudi) dont certaines à partir de manuscrits plus anciens restés parfois inédits ou peu connus. Toutes décrivent les particularités des parlers respectifs et essaient de les définir. Le dernier article (D. Caubet) est une étude socio-linguistique sur une famille de Fès.
L'ouvrage démontre la complexité de la situation (historique ou contemporaine) et la relativité des classifications générales (cf. parlers pré-hilaliens vs. parlers hilaliens, parlers citadins vs. parlers ruraux, montagnards, bédouins, parlers andalous parlers juifs etc-.). Ces classifications ne prennent pas en compte les nombreuses variations que dévoilent les études plus détaillées et plusieurs parlers présentent un caractère mixte car formés de plusieurs strates.
S. Levy dresse un panorama général de la situation linguistique et de l'histoire de l'arabisation au Maroc. Il souligne le multilinguisme du pays lié à l'histoire de cette région (présences berbère, punique et romaine ; conquête arabe en plusieurs temps ; présence andalouse et/ou juive importante dans les villes, influence portugaise, domination espagnole et française). Ce multilinguisme a joué un rôle important dans la formation et l'évolution de l'arabe au Maroc mais également dans l'évolution du berbère. Il évoque les facteurs et les différentes phases de l'arabisation : la première phase (VIIIe-XIIe siècles) appelée pré-hilalienne s'est faite à partir de noyaux limités de populations arabes ou arabisées, à partir de bourgs, villes, marchés, le long des voies commerciales. La seconde phase, dite hilalienne, a été provoquée par l'arrivée de tribus arabes aux XIIe-XIIIe siècles. S. Levy montre la fluctuation de la carte linguistique. A travers les siècles des régions se sont arabisées mais parfois aussi à nouveau berbérisées. Les parlers citadins reflètent l'histoire de l'urbanisation : importance des parlers pré-hilaliens, andalous et juifs dans les vieux centres urbains de Fès, Sefrou, Rabat, Tetouan, Tanger, Moulay Idriss, citadinisation des parlers hilaliens dans les villes modernes de Casablanca, Rabat, Fés Jdîd, diffusion d'une koinè marocaine qui emprunte à la fois aux parlers pré-hilaliens et hilaliens et qui devient le marocain "standard".
L'archéologue P. Cressier se pose la question de la concomitance des processus d'arabisation/islamisation et urbanisation. Il indique que si l'islamisation est un phénomène facilement repérable pour un archéologue, il n'en est pas de même pour l'urbanisation car cela pose les problèmes de la définition des critères de l'urbain. Quant à l'arabisation, elle est extrêmement difficile à déterminer par les sources archéologiques seules. Il souligne donc la nécessité d'avancer avec prudence car il est par exemple très difficile de définir des techniques (poterie, céramique, architecture) comme plus ou moins berbères ou arabes. C'est ici toute la question des frontières culturelles… Très peu d'éléments nous permettent d'affirmer ou d'infirmer la présence de villes berbères avant la conquête arabe. Les groupes tribaux semblent avoir joué un rôle important dans la genèse des villes mais il y aurait eu le plus souvent un phénomène d'émulation entre des groupes locaux (berbères) et des groupes allochtones (orientaux). La formation de centres urbains n'implique pas toujours une arabisation linguistique ou culturelle.
L'historien B. Rosenberger reprend cette question de la relation entre urbanisation/arabisation en s'appuyant sur les témoignages des historiens arabes. Il pense que les villes ont été les vecteurs de l'arabisation, mais d'une arabisation toute relative. Les premiers conquérants arabes ont créé des villes car ils étaient eux-mêmes des citadins, des Mecquois. Mais les Arabes étaient peu nombreux et rapidement les villes ont été peuplées par des populations arabisées ou bilingues. Le Maroc a été peu urbanisé et la population d'origine arabe était très minoritaire dans les premiers temps de la conquête. Les processus d'arabisation linguistique ont donc été lents, limités. Les locuteurs arabisés ou bilingues étaient le principal vecteur de ce processus d'arabisation. Ici données historiques et linguistiques se complètent pour mettre en lumière la spécificité des parlers marocains.
Les articles de F. Corriente et I. Ferrando traitent de l'arabe andalou. Celui de Corriente indique la diversité dialectale régnant au sein du domaine andalou et souligne la difficulté posé par l'analyse diachronique du fait de la disparité des sources disponibles. Là encore le linguiste doit être prudent avant de conclure à la présence ou l'absence de similitudes entre les différents dialectes. En se basant sur le traitement de l'accent dans une forme tardive du parler de Grenade il passe en revue la question d'un accent phonémique en arabe andalou. I ; Ferrando compare les parlers andalous et maghrébins qui ont une origine commune mais des évolutions très différentes. La comparaison se fait entre arabe andalou et parlers marocains pré-hilaliens et pose là encore le problème de la disparité des sources. Celles pour l'arabe andalou sont médiévales alors que celles de l'arabe marocain sont contemporaines. Mais les sources andalouses apportent des éléments intéressants pour l'analyse de la phase médiévale des dialectes marocains. Il passe en revue de nombreuses isoglosses phonologiques, morphologiques et lexicales et indique que certains traits de l'arabe marocain non présents en andalou 'standard' (la koinè litéraire) se trouvent dans des formes substandards. Certains phénomènes (cf. la chute des voyelles courtes inaccentuées en marocain) sont donc plus anciens qu'on ne le pensait auparavant.
J. Grand'Henry élargi la perspective historique et géographique puisqu'il parle de l'ensemble des parlers pré-hilaliens de l'Occident arabe médiéval, incluant le Maltais. Il postule l'unité profonde de ces parlers en se basant sur les ouvrages de lahn al-'âmma (grammaires des fautes) des grammairiens médiévaux maghrébins. Il considère que ces ouvrages témoignent de la situation dialectale entre le Xe et le XIIe siècle et permettent ainsi, en comparant avec les dialectes contemporains, d'établir des repères chronologiques. Il reprend les travaux non publiés de P. Molon (1978) mais s'appuie sur les nouvelles données de l'arabe andalou, du maltais et de la dialectologie maghrébine. Après avoir étudié un certain nombre de traits morpho-phonologiques spécifiques à l'arabe maghrébin, il en conclut que ces traits étaient déjà fixés dès le XII siècle.
P. Behnsted décrit la frontière orientale des parlers maghrébins, l'Égypte, zone de transition entre les parlers maghrébins, palestinien, égyptiens et bédouins. Plusieurs régions en Égypte connaissent des parlers présentant des traits maghrébins : l'ouest du Delta, les parlers de la Haute Égypte et surtout ceux des Oasis occidentaux. Dans ces régions la migration des groupes arabes d'origine maghrébine est attestée dès les Xe-XIIIe siècles au Delta, à partir du XVe siècle en Haute Égypte. La population des oasis apparaît comme mixte. Mais tous ces parlers ont des traits maghrébins et non-maghrébins et se pose la question de leur classification et de leur formation. Est-ce que ce sont des parlers égyptiens qui ont pris des traits maghrébins ou l'inverse ? P. Behnsted pose ici l'intéressante question de la représentativité des isoglosses et critique une classification purement linguistique qui ne prend pas en compte des éléments extra linguistiques (traits culturels, techniques traditionnelles, histoire orale, histoire du peuplement, etc.). Il souligne également la nécessité de comparer avec des formes plus anciennes. Ainsi le parler de Farafra apparaît comme ayant conservé des traits maghrébins archaïques présents en arabe andalou. Là encore l'article appelle à la prudence en soulignant que le dialectologue ne doit pas se contenter des faits contemporains mais doit s'appuyer sur des faits historiques dans l'établissement de ces catégories.
M. Vanhove fait le point sur l'histoire très particulière du parler maltais qui s'est trouvé isolé du reste du monde arabe à partir du XIIIe siècle. Le maltais a donc évolué de façon indépendante et apparaît comme un parler très mélangé sous l'influence de l'italien et de l'anglais. Il connaît d'autre part de nombreuses variantes dialectales. Son isolement en fait un domaine intéressant pour la dialectologie historique comparée puisque la comparaison entre les dialectes maghrébins et le maltais (comme avec l'arabe andalou) permet d'élaborer des hypothèses concernant l'évolution des dialectes maghrébins après le XIIIe siècle. Mais avant d'entreprendre la comparaison d'une liste d'isoglosses, M. Vanhove pose les jalons d'une réflexion théorique. Elle relativise l'unicité des dialectes arabes citadins pré-hilaliens dont le maltais fait partie. Elle suppose une mosaïque de dialectes pré-hilaliens qui ont par la suite connu des forces de différenciation et de koinisation. Elle insiste également sur la distinction entre critères novateurs et conservateurs car seuls les traits qui représentent des innovations renseignent sur le sens de l'évolution. Là encore l'auteur appelle à la prudence avant d'établir des classifications et de postuler des chronologies évolutives.
Les articles suivants (E. Nativadad, A. Vicente, Z. Iraqui-Sinaceur, J. Aguadé, M. Yaacoubi et L. Messaoudi) décrivent des dialectes locaux urbain, ruraux, montagnards ou bédouin en s'interrogeant sur la classification établie par Colin. Tous reprennent à peu près la même liste d'isoglosses, ce qui permet au lecteur de vérifier ainsi les comparaisons. Le parler de Chefchaouen (Natividad) est décrit comme citadin pré-hilalien archaïque avec un substrat berbère important et partageant plusieurs traits avec les parlers juifs du Maghreb. Sa survivance questionne l'origine historique de cette ville (ville ancienne ou ville née d'une migration ?). La description du parler d'Anjra, dialecte montagnard de type pré-hilalien septentrional (Vicente) s'appuie sur une liste de proverbes recueillis par Westermack au début du XXe siècle. Le parler d'Anjra reste très mal connu et les travaux de Westermack fournisse un témoignage de l'état de ce dialecte (registre élevé) au début du siècle. On y retrouve des traits communs avec Chefchaouen, en particulier la présence des interdentales et de plusieurs voyelles brèves. L'article d' Iraqui-Zinaceur reprend aussi un manuscrit arabe inédit rédigé par un informateur tangérois de Colin en 1930. Colin avait établi une version en caractères latins de ce texte mais en gommant les traits les plus locaux et en le transposant en koinè marocaine. L'article établit une comparaison entre la version tangéroise et la koinè et compare également avec les autres dialectes citadins du Maroc. Elle propose un tableau des parlers arabes du Maroc et distingue quatre types de dialectes citadins. Celui de Tanger comme celui de Chefchaouen serait un parler citadin influencé par les parlers montagnards. On regrettera ici l'absence d'une comparaison plus systématique entre le texte arabe et les travaux de W. Marçais sur cette ville. L'article de J. Aguadé s'appuie également sur un ouvrage de 1915, les textes arabes de Zaër de V. Loubignac. Le parler de Zaër (Z'îr) est un parler bédouin Maaqil. Les Maaqil, probablement originaires du Yémen, s'installèrent au Maroc vers le XIIème siècle et sont actuellement au sud de Rabat. Aguadé fournit les principaux traits qui caractérisent le parler des Z'îr en comparant avec d'autres dialectes marocains ou arabes. On regrettera l'absence d'une conclusion permettant de mieux situer ce dialecte. El Yaacoubi présente un dialecte du Sud marocain, celui de l'oasis de Skûra très peu étudié jusqu'ici. Il s'agit d'un dialecte hilalien dans une zone berbérophone mais qui malgré sa position méridionale partage des traits avec les dialectes citadins alors que rien ne permet de supposer l'existence d'un vieux substrat urbain. Se pose donc la question de l'origine de ces traits. L. Messaoudi présente les trait du parler ancien de Rabat (parler citadin pré-hilalien) utilisé par les familles d'origine andalouse, parler actuellement en voie de disparition du fait de l'évolution urbaine et de la diffusion des parlers ruraux en voie de citadinisation (koinè marocaine). L. Messaoudi établit donc une comparaison entre le parler ancien de Rabat et la koinè marocaine.
Comme M. Vanhove, D. Caubet s'interroge sur la classification "traditionnelle" des dialectes maghrébins établie par P. & W. Marçais et reprise par Colin. Elle postule également la diversité des parlers pré-hilaliens. Elle souligne que les frontières linguistiques ne sont pas seulement géographiques, qu'elles peuvent traverser une même famille mais peuvent aussi s'abolir. Son étude sociolinguistique porte sur les usages linguistique d'une famille de Fès à travers trois générations. La branche maternelle de cette famille est d'origine fassie alors que la branche paternelle est d'origine rifaine en partie citadinisée. L'analyse de chaque idiolecte (les deux grands mères, les parents, les enfants) indique quels traits des parlers fassi et ruraux sont conservés, empruntés ou abandonnés par chaque locuteur. Elle montre ainsi comment s'établit la sélection des traits à l'intérieur d'une même famille et comment s'élaborent des parlers mixtes. L'analyse de cette famille semble indiquer que les traits caractéristiques du dialecte fassi sont gommés plus vite que les traits d'origine paysanne. Bien que prestigieux, le dialecte fassi est maintenant considéré comme trop marqué face à la koinè marocaine en formation. L'intérêt de cette étude est de montrer très concrètement comment s'élabore cette koinè en formation qui possède des traits citadins, ruraux, bédouins et qui ne s'est pas formé autour d'un ancien dialecte citadin prestigieux comme celui de Fès. Comme le souligne D. Caubet, ce genre d'étude sur la variation peut certainement nous aider dans notre analyse historique du changement linguistique.
Pour conclure, on soulignera donc encore une fois le mérite de cette entreprise collective qui fournit les bases méthodologiques et théoriques pour mieux connaître l'histoire de l'arabisation au Maghreb. L'approche historique et sociolinguistique apparaît en complémentarité indissociable avec l'élaboration d'un atlas linguistique du Maroc (en préparation) car elle permet de ne pas s'enfermer dans des cadres géographiques trop rigides. La lecture de cet ouvrage soulève de nombreuses questions et l'on aimerait que ce type de projet soit effectué dans d'autres pays arabes pour élargir le champ comparatif. Je regretterai seulement que les éditeurs n'aient pas rédigé une conclusion provisoire récapitulant pour le lecteur les principaux acquis de ce séminaire en particulier en ce qui concerne la classification des dialectes et en soulignant les principaux domaines à explorer.
La vitalité et le renouvellement de la dialectologie marocaine est également illustrée par une publication de la Faculté des lettres et Sciences humaines de Rabat sous la direction de A. Benhallam: Langues et littératures. Contact et évolution historique des langues au Maroc. Vol XVI, 1998. Il s'agit également des Actes d'une table ronde qui s'est tenue à Marrakech le 12-15 janvier 1995 sur le thème de l'évolution des parlers et des phénomènes de contact. On y retrouve plusieurs auteurs de l'ouvrage précédent (Aguade, Caubet, Levy) et de nombreux autres spécialistes de la dialectologie marocaine ou du berbère (Benhallam, Bennis, Boudlal, Chetrit, Durand, ElMedlaoui, Iazzi, Youssi). Les deux ouvrages sont donc complémentaires (en particulier les articles de S. Bennis, D. Caubet et S. Levy). S. Bennis montre comment un parler (celui de Tadla), considéré comme hilalien, a en fait emprunté des traits considérés comme spécifiques aux parlers pré-hilaliens ou judéo-arabes et comment une variante traditionnellement considérée comme norme citadine l'est actuellement comme une norme bédouine. D. Caubet fait le point sur les problèmes de classification dialectale en reprenant les textes fondateurs de W. Marçais et en insistant sur les nuances que cet auteur avait apportées. Citant D. Cohen, elle insiste sur les questions d'évolution, de strate, d'emprunts etc. et fait un plaidoyer pour un renouveau dialectologique. De même S. Levy reprend ce problème de classification pour le Maroc et fournit de nombreuses références sur les recherches en cours qui permettent de renouveler les catégories. Le très riche texte de J. Chetrit concerne la communauté juive du Maroc et ses interactions avec la communauté musulmane. L'auteur, qui adopte une démarche socio-pragmatique, souligne "la polyphonie socioculturelle permanente". La communauté juive du Maroc ne peut pas être appréhendée comme une seule entité et il distingue trois grands groupes sociaux : les lettrés rabbiniques, les hommes et les femmes, enfin, ayant des usages linguistiques différents. Le premier groupe a été le plus influencé par la diglossie judéo-arabe/hébraico-araméen du fait de son contact avec les textes sacrés. J. Chetrit décrit les différentes phases de l'arabisation des communautés juives avec une première dès le début de la conquête arabe suivie d'une déstructuration de ces communautés et une nouvelle phase avec l'arrivée des réfugiés andalous. Le judéo-arabe est souvent rattaché aux dialectes pré-hilaliens mais l'analyse historique montre qu'il y a eu discontinuité et que selon les régions les communautés juives avaient des pratiques linguistiques différentes, certaines communautés du Sud marocain étant devenues berbérophones. J. Chetrit décrit la spécificité de la production textuelle juive mais aussi l'appropriation et l'intégration linguistique d'un très vaste corpus de littérature oral (contes, proverbes, poèmes, chants, récits narratifs) d'origine musulmane, réinséré dans la culture juive. Il présente également des cas de transfert inverses où des locuteurs musulmans ont intégré des spécificités du judéo-arabe. Son article apporte des éléments très documentés sur la question de la spécificité du judéo-arabe. Il souligne que l'interférence d'une langue à une autre ne doit pas être envisagée du seul point de vue grammatical et lexical mais aussi dans ses dimensions culturelles et religieuses. On retrouve cette approche pragmatique dans l'article de A. Yussi sur les langues secrètes. O. Durand, dans un article très technique sur la phonologie du marocain (découpage syllabique, accent, prosodie) insiste sur l'influence du berbère (amazigh) dans la phonétique de l'arabe marocain. M. ElMedlaoui poursuit dans la même direction en montrant à quel point l'évolution de l'arabe marocain est en partie fonction d'un ensemble de contraintes issues du berbère. Cette théorie de la contrainte apparaît comme très importante pour comprendre l'évolution diachronique d'une langue. E.M. Iazzi aborde la question fondamentale de l'unité vs. la diversité de la langue amazighe et considère que les berbérisants ont trop eu tendance à se focaliser sur les différences phonologiques et lexicales et à sous-estimer l'unicité du système morphologique. Il m'apparaît très important qu'un tel ouvrage collectif, regroupant des articles sur les parlers arabes et berbères, ait pu être publié au Maroc car ce type de travail reste encore malheureusement rare dans la plupart des pays arabes. Espérons qu'une ère nouvelle s'ouvre ici....



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