Algérie

Pétrole et paradis : un peuple, deux au-delà



Pour les Algériens, il existe deux au-delà : à l'un, ils pensent tout le temps. A l'autre, presque jamais ou seulement par à-coups. Le premier, c'est après la mort. Le second, c'est l'après-pétrole.
L'au-delà de la mort est une préoccupation majeur chez les Algériens : cela se traduit par le chiffre de 40.000 imams promis par le gouvernement (ils sont 26.000 actuellement pour un parc de 15.000 mosquées), par un ministère des Affaires religieuses, par des mosquées dans chaque quartier, plusieurs partis islamistes, le projet de la plus grande mosquée d'Afrique, des milliers de livres en circulation et une remontée du religieux et du conservatisme. Pour gérer leur au-delà et investir, des Algériens portent des kamis, ferment des bars, pourchassent des minijupes, vont à La Mecque, prient et émettent des fatwas. Il s'agit d'une question de vie et de mort, après la mort : un choix lourd à faire entre le feu de l'enfer et le gazon du paradis. On le voit, la question est sérieuse.
Reste le second au-delà. Celui de l'après-pétrole. Comment les Algériens y font face ' En n'y pensant pas. Il est supposé que le pétrole sera éternel, inépuisable et toujours plus demandé, surtout avec les guerres sur les ressources. Au pétrole, s'ajoute la manne du gaz dont l'Algérie est l'un des trois principaux exportateurs vers la riche Europe, les tensions au Moyen-Orient et le miracle du gaz schiste que l'on annonce six fois supérieur aux réserves en gaz conventionnel et pour lequel l'Algérie va investir 12 milliards de dollars en recherches et exploitation selon le PDG de Sonatrach. Du coup, l'après-pétrole est loin, même si des ministres ou des experts en annoncent l'imminence dans deux décennies ou six. Autant que le peuple, le gouvernement, les gouvernements de l'indépendance algérienne, personne n'y songe. D'ailleurs, les discours sur les énergies alternatives sonnent comme des caprices dans cette en Algérie et qui repose sur un pied, un coude, une rente.
Pire encore, et dans une sorte d'inversement de l'eschatologie et des discours de fin de monde, à force d'en annoncer les dates, la fin du pétrole est moquée en Algérie, alors que la fin du monde, version religieuse, est prise au sérieux par les esprits. L'après-pétrole en est devenu une prédiction peu sérieuse alors que l'on écoute avec avidité les cheikhs analysant les signes du Jugement Dernier : excès de dépravation, dénudement des femmes, difformités génétiques, veau à deux têtes, séismes et crise en Palestine. La fin du monde est une science religieuse, la fin du pétrole est une prédiction « politique ». Des signes déjà '
« Aussi, parmi les petits signes, il y a que des montagnes vont disparaître, la multiplication des tremblements de terre, la multiplication des maladies que les gens ne connaissaient pas auparavant, la multiplication des charlatans et des orateurs du mal et tout ceci s'est déjà produit (…) De même le changement de l'état de l'air, en été il devient comme en hiver et en hiver il devient comme en été, la diminution de la science de la religion et la grande ignorance de la religion, la multiplication des meurtres, de l'injustice, le temps qui semble court, le rapprochement des marchés les uns des autres et les différentes communautés qui attaquent la communauté de notre prophète comme des gens affamés se précipitent et entourent un plat de nourriture » disent les livres religieux. Cela ressemble étrangement à des troubles sociaux après un crash pétrolier, mais personne n'y songe de cette façon ou ne veut voir dans les prédictions religieuses une angoisse d'épuisement des ressources et des puits
Aux politiques et experts algériens qui songent à cet au-delà pétrolier imminent et de mort collective, on répond presque par un sourire moqueur. La rente pétrolière a rendu aveugle non seulement les prévisions mais aussi les imaginations et les créations : le Sahara algérien, riche en soleil, se vend mieux en barils qu'en énergie solaire par exemple.
Pourquoi en parler aujourd'hui ' A cause des salons sur les énergies alternatives et qui sont en mode ces temps-ci. On en organise un peu partout dans le pays, mais en vain : les salons sur l'après-pétrole restent moins fréquentés que les mosquées : l'après-pétrole est encore loin et pour l'au-delà religieux, il suffit de trébucher, ne pas respirer, de se fossiliser et de prier et de creuser des forages avec son front.


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