Petite philosophie des cent pas

Parmi les cérémonials qui ponctuaient jadis une journée bien remplie, figuraient les cent pas que l'on faisait le soir, de préférence sur la place centrale d'une ville ou d'un village, en attendant de rentrer chez soi. L'accélération du temps et l'extension de l'espace utilitaire de la majorité des individus ont remisé au placard ce passe-temps, désormais en voie de disparition. Faire les cent pas n'a strictement rien à voir avec le «vulgaire» jogging, aujourd'hui à la mode, ni avec la promenade champêtre du week-end.C'est d'ailleurs moins un exercice physique qu'une espèce d'art de vivre citadin de l'époque ancienne.
Faire les cent pas sur une place publique, c'est, par définition, marcher quelques centaines de mètres puis revenir à son point de départ avant de repartir de nouveau, et tout cela en entretenant une conversation agréable. Dans cette répétition de l'effort minimum mais étudié, cette manie de rabâcher son itinéraire et parfois ses idées, se cache peut-être une manière d'appréhender les événements de la vie, bons ou mauvais.
Faire les cent pas, c'est faire l'éloge de la prudence et de la mesure, c'est le contraire de la passion désordonnée et de la hâte, c'est la République des instituteurs qui monte la garde avant de rentrer se coucher.
Ce plaisir simple de fin de journée exhume un parfum discret qui évoque davantage l'âge mûr et les cheveux grisonnants que la fougue révolutionnaire d'une jeunesse qui veut, à bon droit, changer la vie. «Cours camarade, le vieux monde est derrière toi !» scandaient à Paris, en mai 1968, les étudiants en colère. Dans ces conditions, faire les cent pas, ç'aurait été encourir le risque de passer soit pour fou soit pour un sage, au choix !