Algérie

Petite arnaque et gros chagrin


Petite arnaque et gros chagrin
L'autre fois, un ami de Lakhdaria particulièrement attaché aux belles et bonnes choses du terroir nous racontait un de ses plus récents dépits. Avant de passer à l'objet de sa colère, il nous fait un long et succulent détour où il était question de «peau fine», une orange au goût et à l'arôme unique qui fait la réputation des vergers de Kadiria. Dans sa longue digression, l'ami de Palestro nous apprend entre autres que «la peau fine», dans un glissement sémantique aussi savoureux que le fruit lui-même, a donné «el pouffina», un terme depuis longtemps consacré par le génie populaire du pays profond comme nom de la belle et bonne orange.L'ami de Palestro a longtemps parlé d'el pouffina. De sa? peau quasiment transparente que seules des mains patientes et expérimentées peuvent arracher à la chair à laquelle elle colle jusqu'à n'en plus pouvoir, de son jus qui éclabousse les bouches au point de provoquer des étouffements et avaler de travers, de son volume assez modeste et de sa couleur au ton bien particulier. Il a aussi parlé de ces fameux vergers des propriétaires qui s'y sont succédé, de la ferme coloniale au domaine autogéré des premières années de l'indépendance, des coopératives de la révolution agraire à leur statut retrouvé d'exploitation privée à part entière.El pouffina fait partie du paysage local et n'importe quel habitant de la localité vous dira que cette orange unique est née ici et elle n'est en est jamais sortie, ce qui, bien sûr, est un gros mensonge. L'ami de Palestro sourit malicieusement à cette «certitude» locale que personne n'a réussi à extirper à ceux qui continuent de l'entretenir comme un trésor.Il sait qu'el pouffina est une variété d'orange comme tant d'autres, et comme toutes les variétés, elle a d'autres champs d'épanouissement que sa petite localité. Mais l'ami sourit encore en disant qu'il y a des «mensonges» tellement attendrissants et partagés qu'il n'y a aucune raison de s'en inquiéter. Mais notre ami a déjà arrêté de sourire. Il avait vraiment pris avec sérieux et passion les différentes digressions qu'il ne pouvait d'ailleurs pas éviter, mais il fallait bien arriver à la raison de sa dernière colère, qu'il considérait comme «l'essentiel» de notre entretien. Alors, avec le verbe dur de celui qui accable et le geste alerte de celui qui est prêt à en découdre, il se lance sans retenue.De quoi s'agit-il au fait ' Eh, bien d'el pouffina. Qu'on ne s'y méprenne pas, ce n'est pas parce qu'on est en pleine saison des agrumes qu'il s'agira de récolte. En la matière, l'année n'est ni particulièrement bonne ni particulièrement mauvaise. Il n'y a eu non plus ni pluies diluviennes qui auraient menacé les orangers, ni incendies qui en auraient brûlé une partie. Non, la «peau fine» des vergers de Kadiria n'a été ni chapardé ni au centre de transactions frauduleuses.Il n'y a non plus aucun nouveau projet d'irrigation ni d'extension de ses surfaces. Il y a seulement de petits futés qui font feu de tout bois en matière de petite arnaque, en attendant d'avoir les moyens de s'attaquer aux grandes. Ces petits roublards parfois vieux, conscients de la réputation d'el pouffina et de son espace de prédilection, alignent des caisses d'oranges de n'importe quelle variété de seconde zone sur l'autoroute, à hauteur de Kadiria et Lakhdaria pour faire croire que le fruit provient des orangeraies du coin. Et ça, notre ami de Palestro ne peut pas le supporter.Petite arnaque certes, mais gros chagrin. Il est ainsi, notre ami, toujours aussi attaché aux belles et bonnes choses du terroir. Tellement chagriné qu'il ne veut même pas savoir si on peut vendre des oranges sur l'autoroute. Qu'elles aient la peau fine ou plus épaisse.laouarisliman@gmail.com


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